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Ariane Web: Conseil d'État 400442, lecture du 24 novembre 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:400442.20171124

Décision n° 400442
24 novembre 2017
Conseil d'État

N° 400442
ECLI:FR:CECHR:2017:400442.20171124
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Géraud Sajust de Bergues, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats


Lecture du vendredi 24 novembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 6 juin 2016 et le 2 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération paysanne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 décembre 2015 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, portant extension d'un accord interprofessionnel relatif au financement des actions conduites par le Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants (GNIS) pour les campagnes 2015-2016, 2016-2017 et 2017-2018 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2000/29/CE du Conseil du 8 mai 2000 ;
- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 62-585 du 18 mai 1962 ;
- l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, du ministre de l'outre-mer et du secrétaire d'Etat chargé du budget du 26 février 2015 relatif aux demandes d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat du groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants (GNIS) ;



Considérant ce qui suit :

1. La Confédération paysanne demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 2 décembre 2015 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, portant extension d'un accord interprofessionnel relatif au financement des actions conduites par le Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants (GNIS) pour les campagnes 2015-2016, 2016-2017 et 2017-2018.

Sur l'intervention de la Coordination rurale-Union nationale :

2. La Coordination rurale-Union nationale justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté attaqué. Ainsi, son intervention au soutien de la requête de la Confédération paysanne est recevable.

Sur la légalité externe :

3. Aux termes de l'article 165 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles: " Dans le cas où les règles (...) d'une organisation interprofessionnelle sont étendues au titre de l'article 164 et lorsque les activités couvertes par ces règles présentent un intérêt économique général pour les opérateurs économiques dont les activités sont liées aux produits concernés, l'Etat membre qui a accordé la reconnaissance peut décider, après consultation des acteurs concernés, que les opérateurs économiques individuels ou les groupes d'opérateurs non membres de l'organisation qui bénéficient de ces activités sont redevables à l'organisation de tout ou partie des contributions versées par les membres, dans la mesure où ces dernières sont destinées à couvrir les coûts directement liés à la conduite des actions concernées ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 26 février 2015 relatif aux demandes d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue : " La consultation des acteurs concernés lors d'une demande d'extension d'un accord en application de l'article 165 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 susvisé est réalisée par une publication pendant trois semaines au Bulletin officiel du ministère chargé de l'agriculture (BO-agri) d'un avis, auquel est annexé le document mentionné au point 8 de l'article 1 ". Le document mentionné au point 8 de l'article 1er de cet arrêté correspond au tableau qui est prévu par l'annexe 1 de ce dernier et qui précise, en premier lieu, la période couverte par l'accord, en deuxième lieu, pour les différentes actions prévisionnelles qui sont financées par les cotisations interprofessionnelles, leur financement prévisionnel par les contributions des acteurs et, en troisième lieu, les modalités de financement par ces contributions.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'avant la publication de l'arrêté attaqué a été publié l'avis imposé par les dispositions précitées de l'article 3 de l'arrêté du 26 février 2015, qui ne prévoient pas que l'accord dont l'extension est envisagée soit lui-même soumis à consultation. Si le tableau joint à cet avis n'a pas été complété pour certaines actions prévisionnelles, il n'est pas établi que celles-ci sont financées par des cotisations interprofessionnelles instituées par l'accord étendu par l'arrêté attaqué. Et s'agissant des missions de contrôle et de certification, que le GNIS exerce pour le compte de l'Etat et dont l'accord ne précise pas la part des cotisations volontaires obligatoires qui en assure le financement, elles sont mentionnées dans la rubrique " utilisation de semences certifiées et contrôle de qualité des produits ", qui a été assortie de la description suivante : " mission de contrôle de la qualité des semences ", " actions d'information sur la réglementation des semences " et " actions de développement de l'utilisation des semences certifiées " et qui a été renseignée. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité de procédure invoquée, tenant au caractère insuffisant de la consultation qui a été menée au regard de l'arrêté du 26 février 2015, doit être écarté.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de représentativité du GNIS :

5. Aux termes, d'une part, de l'article 164 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " 1. Dans le cas où une organisation de producteurs reconnue, une association d'organisations de producteurs reconnue ou une organisation interprofessionnelle reconnue opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées d'un État membre est considérée comme représentative de la production ou du commerce ou de la transformation d'un produit donné, l'État membre concerné peut, à la demande de cette organisation, rendre obligatoires, pour une durée limitée, certains accords, certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtés dans le cadre de cette organisation pour d'autres opérateurs, individuels ou non, opérant dans la ou les circonscriptions économiques en question et non membres de cette organisation ou association./ (...) / 3. Une organisation ou association est considérée comme représentative lorsque, dans la ou les circonscriptions économiques concernées d'un État membre, elle représente : a) en proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés: i) pour les organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes, au moins 60 % ; ou ii) dans les autres cas, au moins deux tiers ; et b) dans le cas des organisations de producteurs, plus de 50 % des producteurs concernés. Toutefois, lorsque, dans le cas des organisations interprofessionnelles, la détermination de la proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques, un État membre peut fixer des règles nationales afin de déterminer le niveau précis de représentativité visé au premier alinéa, point a) ii) ".

6. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime : " Pour l'application de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil, la représentativité des organisations interprofessionnelles est appréciée en tenant compte de la structuration économique de chaque filière. Les volumes pris en compte sont ceux produits, transformés ou commercialisés par les opérateurs professionnels auxquels sont susceptibles de s'appliquer les obligations prévues par les accords. En outre, lorsque la détermination de la proportion du volume de la production ou de la commercialisation ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques, l'organisation interprofessionnelle est regardée comme représentative si elle représente deux tiers de ces opérateurs ou de leur chiffre d'affaires. / Pour la production, ces conditions sont présumées respectées lorsque des organisations syndicales d'exploitants agricoles représentant au total au moins 70 % des voix aux élections des chambres d'agriculture participent à l'organisation interprofessionnelle, directement ou par l'intermédiaire d'associations spécialisées adhérentes à ces organisations. / Pour tout secteur d'activité, ces conditions sont présumées respectées lorsque l'organisation interprofessionnelle démontre que l'accord dont l'extension est demandée n'a pas fait l'objet, dans le mois suivant sa publication par cette organisation, de l'opposition d'organisations professionnelles réunissant des opérateurs économiques de ce secteur d'activité représentant au total plus du tiers des volumes du secteur d'activité concerné ".

7. Il ressort des pièces du dossier, en particulier, des éléments qui ont été produits par le GNIS ainsi que par le ministre chargé de l'agriculture et qui n'ont pas été contestés par la requérante, que ce groupement représente, à travers ses adhérents, près de 80 % des volumes de semences produites, 90 % des volumes de semences transformées et 88 % de la valeur du marché des semences qui sont commercialisées, en ce qui concerne les espèces auxquelles sont susceptibles de s'appliquer les cotisations prévues par l'accord étendu par l'arrêté attaqué. Il peut, dès lors, être regardé comme représentant au moins les deux tiers des volumes de production, de la transformation et de la commercialisation de ces semences. Il satisfait, à ce titre, à la condition posée par l'article 164, paragraphe 3, sous a), ii), du règlement du 17 décembre 2013, reprise par l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime, et doit, dès lors, être regardé comme une organisation interprofessionnelle représentative, au sens de cet article, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur le respect des autres conditions prévues par ces dispositions.

En ce qui concerne le moyen tiré d'une violation de la directive 2000/29/CE du Conseil, du 8 mai 2000 :

8. Aux termes de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime : " Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente dès lors qu'ils prévoient des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne ". Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, sous g), ii), de la directive 2000/29/CE du Conseil, du 8 mai 2000, concernant les mesures de protection contre l'introduction dans la Communauté d'organismes nuisibles aux végétaux ou aux produits végétaux et contre leur propagation à l'intérieur de la Communauté : " Les organismes officiels responsables d'un Etat membre peuvent, conformément à la législation nationale, déléguer leurs tâches visées par la présente directive, à accomplir sous leur autorité et leur contrôle, à toute personne morale, de droit public ou de droit privé, qui, en vertu de ses statuts officiellement agréés, est chargée exclusivement de tâches d'intérêt public spécifiques, à condition que cette personne morale et ses membres ne tirent aucun profit personnel du résultat des mesures qu'ils prennent ".

9. La confédération paysanne soutient que les missions qui sont confiées au GNIS et qui sont financées par les cotisations volontaires obligatoires prévues par l'accord étendu par l'arrêté attaqué ne sont pas compatibles avec les dispositions précitées de l'article 2 de la directive 2000/29/CE du 8 mai 2000.

10. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 2 du décret du 18 mai 1962 relatif au groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants : " Le groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants a pour objet de représenter les diverses professions et catégories professionnelles intéressées par la sélection, la multiplication, la production, le commerce et l'utilisation des graines de semence et des plants et d'étudier et de proposer toutes mesures tendant à organiser la production et la commercialisation desdites graines de semence et plants. Il poursuit des objectifs choisis, notamment, parmi ceux énumérés au c du 1 de l'article 157 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, selon une procédure déterminée par son conseil d'administration ". Il en résulte que le GNIS poursuit un but précis prenant en compte les intérêts de ses membres et ceux des consommateurs, au sens de l'article 157, paragraphe 1, sous c), du règlement du 17 décembre 2013, et que ses activités, qui présentent un intérêt économique général pour les opérateurs économiques dont les activités sont liées aux produits concernés, au sens de l'article 165 de ce règlement citées au point 3, constituent des tâches d'intérêt public spécifiques, au sens des dispositions précitées de la directive du 8 mai 2000.

11. En second lieu, aux termes du 2° de l'article 2 du même décret: " Pour l'application des dispositions qui le désignent comme autorité compétente en matière de contrôle des activités relatives aux semences et plants et en matière de certification de ces produits, le groupement : / a) élabore un statut définissant les obligations réciproques et les charges des diverses professions, en fixe les modalités d'application et en surveille l'exécution ; / b) organise le contrôle de la production, de la conservation et de la distribution des graines de semence et des plants ; / c) propose, en liaison avec le comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées mentionné à l'article D. 661-1 du code rural et de la pêche maritime, les zones affectées, le cas échéant, sur un territoire donné, à une production déterminée de graines de semence ; / d) assure l'exécution des décisions prises en matière de contrôle par l'autorité administrative, notamment en ce qui concerne la certification variétale et sanitaire ". En vertu de l'article 6 de ce décret, l'exécution de ces tâches de contrôle est assurée par un service technique dont le chef, désigné après avis du conseil d'administration par le ministre de l'agriculture, est un fonctionnaire détaché auprès du conseil dans les conditions fixées par le statut général des fonctionnaires. Il en résulte que le GNIS ou ses adhérents ne tirent aucun profit personnel des activités de contrôle qui lui sont confiées, dès lors que celles-ci sont assurées par un service indépendant.

12. Par suite, le moyen de la Confédération paysanne tiré de la violation de l'article 2 de la directive du 8 mai 2000 doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré d'une violation des articles 107 et 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

13. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". Aux termes du paragraphe 3 de l'article 108 du même traité : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ".

14. La Confédération paysanne soutient que les cotisations volontaires obligatoires instituées par l'accord étendu par l'arrêté litigieux qui sont destinées à financer les missions de contrôle et de certification que le GNIS exerce pour le compte de l'Etat constituent, au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'union européenne, des aides d'Etat qui n'ont pas été notifiées préalablement à la Commission européenne, en méconnaissance de l'article 108, paragraphe 3, du même traité. Toutefois, les missions en cause se rattachent à l'exercice de prérogatives de puissance publique. Dès lors, leur financement ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme susceptible de fausser la concurrence et, donc, comme constituant une aide d'Etat, au sens de ces dispositions. Par suite, le moyen invoqué doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, la Confédération paysanne n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par la Confédération paysanne ainsi que par la Coordination rurale-Union nationale soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Confédération paysanne le versement au GNIS de la somme de 3 000 euros au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Coordination rurale-Union nationale est admise.
Article 2 : La requête de la Confédération paysanne ainsi que les conclusions présentées par la Coordination rurale-Union nationale au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La Confédération paysanne versera au Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Confédération paysanne, au Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants, à la Coordination rurale-Union nationale, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au ministre de l'économie et des finances.