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Ariane Web: Conseil d'État 334878, lecture du 19 juillet 2010, ECLI:FR:CESSR:2010:334878.20100719

Décision n° 334878
19 juillet 2010
Conseil d'État

N° 334878
ECLI:FR:CESSR:2010:334878.20100719
Publié au recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
M. Vigouroux, président
Mme Constance Rivière, rapporteur
Mme Bourgeois-Machureau Béatrice, rapporteur public
SCP PEIGNOT, GARREAU, avocats


Lecture du lundi 19 juillet 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 21 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRÉS (GISTI), dont le siège est 3, villa Marcès à Paris (75011), la CIMADE, dont le siège est 64, rue Clisson à Paris (75013), du COMITE MEDICAL POUR LES EXILES (COMEDE), dont le siège est 78, rue du Général Leclerc au Kremlin-Bicêtre (94272), d'EMMAÜS-FRANCE, dont le siège est 47, avenue de la résistance à Montreuil (93100), de la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE SOLIDARITE AVEC LES TRAVAILLEURS IMMIGRES (FASTI) dont le siège est 58, rue des Amandiers à Paris (75020), de la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME (LDH), dont le siège est 138, rue Marcadet à Paris (75018), de MEDECINS DU MONDE, dont le siège est 62, rue Marcadet à Paris (75018), du MRAP, dont le siège est 43, boulevard Magenta à Paris (75010), du SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE, dont le siège est 34, rue Saint-Lazare à Paris (75009), de SOS RACISME, dont le siège est 51, avenue de Flandres à Paris (75019), et du SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, dont le siège est 12-14, rue Charles Fourier à Paris (75013), agissant par leurs représentants légaux en exercice ; le GISTI et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la circulaire du ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire du 23 novembre 2009 aux préfets définissant les conditions de mise en oeuvre des dispositions des articles L. 622-1 et L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que la circulaire du même jour du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés aux parquets, par ailleurs annexée à la précédente circulaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;








Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive n° 2002/90/CE du 28 novembre 2002 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment ses articles L. 622-1 et L. 622-4 ;

Vu le code pénal, notamment son article 122-7 ;

Vu le code de procédure pénale, notamment ses articles 30 et 78-2 ;

Vu le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Constance Rivière, Auditeur,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, avocat du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;






Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 Euros (...) ; qu'aux termes de l'article L. 622-4 du même code : Sans préjudice des articles L. 621-1, L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait : (...) 3° De toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ;

Considérant que la circulaire du garde des sceaux a pour objet de clarifier, à l'intention des parquets, les conditions d'application de l'immunité prévue à l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au bénéfice des personnes physiques et morales oeuvrant dans un contexte humanitaire auprès des étrangers en situation irrégulière ; que la circulaire du ministre chargé de l'immigration transmet aux préfets celle du garde des sceaux en leur demandant d'en assurer la diffusion auprès de leurs services et de tenir compte, en matière de police administrative, des préconisations faites en matière de contrôle des lieux où est délivrée une assistance humanitaire à des étrangers en situation irrégulière ;

Sur le moyen tiré de l'incompétence du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés pour préciser le champ de l'exception au délit d'aide au séjour irrégulier applicable à l'assistance humanitaire à des étrangers en situation irrégulière :

Considérant que les requérants soutiennent que le garde des sceaux a incompétemment réduit le champ d'application de cette exception, d'une part, en renvoyant au seul article L. 622-4 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'autre part, en interprétant dans un sens restrictif le champ d'application de cet article en le limitant aux associations qui travaillent dans le domaine des étrangers et qui leur fournissent un certain type de prestations telles que des repas, un hébergement ou même des conseils juridiques et aux actes qui n'ont d'autres objectifs que d'assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger en situation irrégulière , alors que la loi s'applique à toute personne physique ou morale, lorsque l'acte est nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 122-7 du code pénal : N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ; que la circonstance que la circulaire du garde des sceaux, qui a pour seul objet de préciser à l'intention des parquets les conditions d'application de l'article L. 622-4 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne fasse qu'une référence à l'état de nécessité prévu par l'article 122-7 du code pénal, ne saurait avoir pour effet de prescrire d'écarter l'application de cet article lorsque l'exception prévue à l'article L. 622-4 3° précité ne trouve pas à s'appliquer ; qu'en outre, cette référence n'a pas non plus pour objet d'assimiler les deux dispositions et de restreindre la portée de l'exception prévue à l'article L. 622-4 3° au critère de l'état de nécessité prévu par le code de procédure pénale ;

Considérant, en second lieu, que si la circulaire fait état, s'agissant de l'immunité pénale résultant du 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des membres des associations qui travaillent dans le domaine des étrangers , cette mention n'a pas pour objet d'exclure du bénéfice de ces dispositions les actes réalisés par des personnes autres que les membres de ces associations ; qu'il en est de même s'agissant des prestations citées à titre d'exemple qui ne revêtent qu'un caractère informatif, la circulaire n'ayant pas pour objet de fixer de manière exhaustive la liste des actions relevant de l'exception prévue à l'article L. 622-4 3° de ce code ; qu'enfin, la référence à l'objectif des actes en cause doit s'entendre comme rappelant que les actes ayant donné lieu à contrepartie sont exclus du bénéfice de ces dispositions ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de la circulaire ne sont pas entachées d'incompétence ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance par le 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des objectifs de la directive n° 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 :

Considérant que l'article 1er de la directive n° 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002, dont l'objectif est de rapprocher les dispositions juridiques existantes, notamment en ce qui concerne la définition précise de l'infraction considérée, dispose que : 1. Chaque État membre adopte des sanctions appropriées : / a) à l'encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d'un État membre à pénétrer sur le territoire d'un État membre ou à transiter par le territoire d'un tel État, en violation de la législation de cet État relative à l'entrée ou au transit des étrangers ; / b) à l'encontre de quiconque aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d'un État membre à séjourner sur le territoire d'un État membre en violation de la législation de cet État relative au séjour des étrangers ; / 2. Tout État membre peut décider de ne pas imposer de sanctions à l'égard du comportement défini au paragraphe 1, point a), en appliquant sa législation et sa pratique nationales, dans les cas où ce comportement a pour but d'apporter une aide humanitaire à la personne concernée ;

Considérant qu'il résulte clairement de ces dispositions que les Etats membres doivent prévoir des sanctions pour l'aide au séjour irrégulier lorsque cette aide est apportée en toute connaissance de cause et dans un but lucratif ; que la directive n'interdit en revanche pas aux Etats membres de sanctionner aussi l'aide au séjour irrégulier à des fins non lucratives ; que dès lors la circulaire, qui ne fait que réitérer les dispositions du 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en permettant de sanctionner l'aide au séjour irrégulier non seulement dans un but lucratif mais aussi dans un but non lucratif, est conforme aux objectifs de cette directive ;

Sur le moyen tiré de l'erreur de droit à avoir donné instruction d'appliquer des circulaires abrogées :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires : Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation. / Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés (...) ; qu'aux termes de l'article 2 de ce décret : L'article 1er prend effet à compter du 1er mai 2009. / Les circulaires et instructions déjà signées sont réputées abrogées si elles ne sont pas reprises sur le site mentionné à l'article 1er (...) ;

Considérant, d'une part, que ces dispositions n'interdisent pas à l'auteur d'une circulaire de réitérer des circulaires antérieures, comme le fait la circulaire du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés du 24 novembre 2009 en ce qui concerne ses circulaires en date du 21 février 2006 et du 4 décembre 2006 ; que, d'autre part, la circonstance que les circulaires du 21 février 2006 et du 4 décembre 2006 n'aient pas été mises en ligne sur le site mentionné par ce décret est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la circulaire attaquée ;

Sur le moyen tiré de la violation, par la circulaire du ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire de l'article 78-2 du code de procédure pénale :

Considérant que si, dans sa circulaire, le ministre de l'immigration demande aux préfets de tenir compte, en matière de police administrative, des préconisations faites en matière de contrôle des lieux où est délivrée une assistance humanitaire à des étrangers en situation irrégulière , cette mention renvoie au passage de la circulaire du garde des sceaux relatif à la nécessité d'éviter d'entraver les actions humanitaires, et donc sur le caractère inopportun de procéder, au seul motif du séjour irrégulier de l'étranger ou de l'aide au séjour irréguliers des membres associatifs ou bénévoles, à des contrôles d'identité (...) dans les lieux d'intervention des associations humanitaires ou à proximité de ceux-ci ; qu'elle ne saurait, en tout état de cause, avoir pour effet de permettre aux préfets de décider de procéder à des contrôles d'identité en matière de police administrative en dehors des prévisions de la loi, notamment de l'article 78-2 du code de procédure pénale qui n'autorise ces contrôles que pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment une atteinte à la sécurité des personnes et des biens ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la circulaire permettrait de procéder à des contrôles des lieux ou des contrôles d'identité non prévus par la loi dans le cadre d'opérations de police administrative doit être écarté ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le GISTI et les autres requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par l'Etat ;


D E C I D E :
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Article 1er : La requête du GISTI et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRÉS, à la CIMADE, au COMITE MEDICAL POUR LES EXILES, à EMMAÜS-FRANCE, à la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE SOLIDARITE AVEC LES TRAVAILLEURS IMMIGRES, à la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME, à MEDECINS DU MONDE, au MRAP, au SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE, à SOS RACISME, au SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.




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