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Ariane Web: Conseil d'État 247986, lecture du 30 juillet 2003, ECLI:FR:CESSR:2003:247986.20030730

Décision n° 247986
30 juillet 2003
Conseil d'État

N° 247986
ECLI:FR:CESSR:2003:247986.20030730
Inédit au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Robineau, président
M. Thiellay, rapporteur
M. Guyomar, commissaire du gouvernement
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 30 juillet 2003
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la requête, enregistrée le 19 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION NATIONALE D'ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS (ANAFE), dont le siège est 176 rue de Grenelle à Paris (75007), AMNESTY INTERNATIONAL, dont le siège est 76, boulevard de la Villette à Paris (75940 Cedex 19), l'ASSOCIATION DES CHRETIENS POUR L'ABOLITION DE LA TORTURE, dont le siège est 7 rue Georges Lardennois à Paris (75019), l'ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES ETRANGERS (ADDE), dont le siège est boulevard Malesherbes à Paris (75017), le COMITE MEDICAL POUR LES EXILES (COMEDE), dont le siège est 78 rue du Général Leclerc au Kremlin-Bicêtre (94270), la CIMADE dont le siège est 176 rue de Grenelle à Paris (75007), DROITS D'URGENCE, dont le siège est 221 rue de Belleville à Paris (75019), FORUM REFUGIES, dont le siège est BP 1054 à Villeurbanne (69612 cedex), le GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), dont le siège est 3 Villa Marcès à Paris (75011), la LIGUE FRANCAISE DES DROITS DE L'HOMME (LDH), dont le siège est 138 rue Marcadet à Paris (75018), MEDECINS DU MONDE, dont le siège est 62 rue Marcadet à Paris (75018), le MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L'AMITIE ENTRE LES PEUPLES (MRAP), dont le siège est 43 boulevard de Magenta à Paris (75010) et le SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, dont le siège est 6, Passage Salarnier à Paris (75011) ; l'ANAFE et les autres requérants demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'édiction de mesures réglementaires, notamment par voie de modification du décret n° 95-507 du 2 mai 1995, de nature à garantir les droits des personnes maintenues en zone d'attente en application de l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre ces dispositions dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ;




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le décret n° 95-507 du 2 mai 1995 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thiellay, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'ASSOCIATION NATIONALE D'ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS et autres,

- les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;



Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête ;

Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation ou à la modification d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ; que les requérants ont, par une lettre reçue le 19 février 2002, demandé au Premier ministre de prendre diverses mesures réglementaires, notamment par voie de modification du décret n° 95-507 du 2 mai 1995, de nature à garantir les droits des personnes maintenues en zone d'attente en application de l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet de cette demande ;

Considérant qu'aux termes de l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : I- L'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui soit n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans une zone d'attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international et désignée par arrêté, un port ou un aéroport pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s'il est demandeur d'asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée./ Il est immédiatement informé de ses droits et de ses devoirs, s'il y a lieu par l'intermédiaire d'un interprète. Mention en est faite sur le registre mentionné ci-dessous, qui est émargé par l'intéressé./ (...) II- Le maintien en zone d'attente est prononcé pour une durée qui ne peut excéder quarante-huit heures par une décision écrite et motivée du chef du service de contrôle aux frontières (...). Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l'état civil de l'intéressé et la date et l'heure auxquelles la décision de maintien lui a été notifiée. (...). Elle peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée. / L'étranger est libre de quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France. Il peut demander l'assistance d'un interprète et d'un médecin et communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix. (...) V- Pendant toute la durée du maintien en zone d'attente, l'étranger dispose des droits qui lui sont reconnus au deuxième alinéa du II (...). / Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'accès du délégué du haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés ou de ses représentants ainsi que des associations humanitaires à la zone d'attente ;

Considérant, en premier lieu, que, compte tenu du rôle d'observateur dévolu aux associations humanitaires et des nécessités du fonctionnement de la zone d'attente, le Premier ministre a pu légalement limiter, par le décret du 2 mai 1995, les conditions dans lesquelles elles peuvent accéder à ces zones d'attente ; qu'il a notamment pu prévoir qu'une autorisation spéciale devait être délivrée pour chaque visite et qu'un nombre limité de personnes pouvaient, pour chaque association, être habilitées à effectuer des visites dans les zones d'attente ; qu'aucune disposition n'implique que les associations humanitaires puissent assurer une présence permanente dans la zone d'attente ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le Premier ministre ne pouvait légalement refuser de compléter ce décret pour prévoir notamment des conditions d'accès plus souples et concernant l'ensemble des espaces composant les zones ;

Considérant, en deuxième lieu, que si le législateur a prévu que la faculté de communiquer avec un conseil doit s'exercer pendant toute la durée du maintien en zone d'attente , cette disposition implique seulement que les personnes dans cette situation puissent demander l'assistance d'un conseil, sans qu'il soit nécessaire qu'un avocat soit, grâce à une permanence sur place, accessible à tout moment ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le refus de prendre les mesures réglementaires imposant une telle permanence dans chaque zone d'attente procéderait d'une inexacte application des dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;

Considérant enfin que, par une décision en date de ce jour statuant sur la requête n° 247940 du Syndicat des avocats de France, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé pour excès de pouvoir le refus de l'autorité investie du pouvoir réglementaire de prendre les dispositions nécessaires pour, d'une part, permettre aux avocats et aux interprètes d'accéder à tout moment aux zones d'attente lorsqu'un étranger maintenu en formule la demande et, d'autre part, prévoir que, dans chaque zone d'attente, sera installé un local adapté permettant la confidentialité des échanges et équipé notamment d'une ligne téléphonique et d'un télécopieur ; qu'ainsi les conclusions de la requête tendant à l'annulation de cette décision de refus ont perdu leur objet ; qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que l'injonction liée à cette annulation ayant été prononcée par la décision susmentionnée du Conseil d'Etat statuant au contentieux, les conclusions de la requête tendant aux mêmes fins ont perdu leur objet ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle porte refus de prendre les mesures réglementaires pour, d'une part, permettre aux avocats et aux interprètes d'accéder à tout moment aux zones d'attente lorsqu'un étranger maintenu en formule la demande et, d'autre part, prévoir que, dans chaque zone d'attente, sera installé un local adapté permettant la confidentialité des échanges et équipé notamment d'une ligne téléphonique et d'un télécopieur, non plus que sur les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit enjoint à l'autorité investie du pouvoir réglementaire de prendre lesdites mesures.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'ANAFE et des autres requérants est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION NATIONALE D'ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGER (ANAFE), à AMNESTY INTERNATIONAL, à l'ASSOCIATION DES CHRETIENS POUR L'ABOLITION DE LA TORTURE (ACAT), à l'ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES ETRANGERS (ADDE), au COMITE MEDICAL POUR LES EXILES (COMEDE), à la CIMADE, à DROITS D'URGENCE, à FORUM REFUGIES, au GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), à la LIGUE FRANCAISE DES DROITS DE L'HOMME (LDH), à MEDECINS DU MONDE, au MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L'AMITIE ENTRE LES PEUPLES (MRAP), au SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et au ministre des affaires étrangères.