Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 343893, lecture du 28 octobre 2010, ECLI:FR:CEORD:2010:343893.20101028

Décision n° 343893
28 octobre 2010
Conseil d'État

N° 343893
ECLI:FR:CEORD:2010:343893.20101028
Mentionné au tables du recueil Lebon
Juge des référés
M. Glaser, président
M. Emmanuel Glaser, rapporteur
DE NERVO, avocats


Lecture du jeudi 28 octobre 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





Vu le recours, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 19 octobre 2010, présenté par le MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance n° 1003542 du 1er octobre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au préfet de la Gironde d'indiquer à M. et Mme Youssoupov un lieu susceptible de les héberger, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros ;


il soutient que la situation de M. et Mme Youssoupov ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu'en effet, ils ne peuvent se prévaloir de la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile, puisqu'ils n'ont pas été admis au séjour ; qu'ainsi le préfet était fondé à ne pas leur offrir une solution d'hébergement en application des dispositions des articles R. 348-1 du code de l'action sociale et des familles et à ne pas leur verser l'allocation temporaire d'attente prévue par les articles L. 5423-8 et suivants du code du travail ;


Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2010, présenté par M. et Mme Youssoupov, qui concluent au rejet du recours et demandent que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; ils soutiennent que le recours est irrecevable parce que tardif ; que la privation de conditions matérielles d'accueil décentes constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ; que la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 prévoit que des mesures d'accueil doivent être prises à l'égard de l'ensemble des demandeurs d'asile tant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire d'un Etat membre en qualité de demandeurs d'asile ; que ces dispositions s'appliquent même en cas de demande d'asile sous plusieurs identités différentes faisant l'objet d'un traitement prioritaire par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ; que leur nouvelle demande d'asile se fonde sur des persécutions nouvellement subies au Daghestan ; que le ministre ne justifie pas de l'épuisement des capacités d'hébergement d'urgence, ni du caractère temporaire de l'indisponibilité ; qu'il ne justifie pas des diligences accomplies ; que le refus d'hébergement a emporté de graves conséquences sur leur famille ; qu'en effet, ils ont dû dormir, avec leurs trois enfants mineurs, sous une tente à Bordeaux, pendant 17 jours ; qu'ils n'ont jamais reçu de bons du centre d'accueil d'information et d'orientation ; qu'au surplus, le refus d'hébergement opposé par la préfecture méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE et, d'autre part, M. et Mme Youssoupov ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du lundi 25 octobre 2010 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- la représentante du MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE ;
- Me de Nervo, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de M. et Mme Youssoupov ;


Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ;



Sur la recevabilité du recours :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 751-8 du code de justice administrative : Lorsque la notification d'une décision du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être faite à l'Etat (...) l'expédition doit dans tous les cas être adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige ; que si le deuxième alinéa de cet article prévoit que lorsque le tribunal statue dans l'une des matières mentionnées à l'article R. 811-10-1, parmi lesquelles figurent l'entrée et le séjour des étrangers, la notification est adressée au préfet, cette dérogation ne s'applique, conformément à l'objet de l'article R. 811-10-1, que lorsque le préfet est compétent pour représenter l'Etat en appel ; qu'en application de l'article L. 523-1 du même code, l'appel des décisions rendues sur le fondement de l'article L. 521-2 est porté devant le Conseil d'Etat, où seul le ministre et non le préfet peut représenter l'Etat ; que, par suite, la notification des décisions rendues par le tribunal administratif en application de l'article L. 521-2 doit être adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux en date du 1er octobre 2010, si elle a été adressée le jour même au préfet de la Gironde par télécopie, n'a pas été notifiée au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ; que, par suite, le délai de recours n'a pas couru et l'appel de ce ministre, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 19 octobre, n'était pas tardif ;



Sur les conclusions du recours :

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres : Aux fins de la présente directive, on entend par : ... conditions matérielles d'accueil : les conditions d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ainsi qu'une allocation journalière ; qu'aux termes de son article 3 : La présente directive s'applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d'asile à la frontière ou sur le territoire d'un Etat membre tant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d'asile ; qu'aux termes de son article 13 : ...2. Les Etats membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs. ...5. Les conditions d'accueil matérielles peuvent être fournies en nature ou sous la forme d'allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules. Lorsque les Etats membres remplissent les conditions matérielles d'accueil sous forme d'allocations financières ou de bons, l'importance de ces derniers est fixée conformément aux principes définis dans le présent article ; qu'aux termes de l'article 14 : modalités des conditions matérielles d'accueil :... 8. Pour les conditions matérielles d'accueil, les Etats membres peuvent, à titre exceptionnel, fixer des modalités différentes de celles qui sont prévues dans le présent article, pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, lorsque : - une première évaluation des besoins spécifiques du demandeur est requise, - les conditions matérielles d'accueil prévues dans le présent article n'existent pas dans une certaine zone géographique, - les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées, - le demandeur d'asile se trouve en rétention ou à un poste frontière, dans un local qu'il ne peut quitter. Ces différentes conditions couvrent, en tout état de cause, les besoins fondamentaux. ;

Considérant qu'en application des dispositions des articles L. 348-1 et suivants et R. 348-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles, les demandeurs d'asile peuvent être admis à l'aide sociale pour être accueillis dans les centres pour demandeurs d'asile et ceux qui ne bénéficient pas d'un niveau de ressources suffisant bénéficient d'une allocation mensuelle de subsistance, dont le montant est fixé par l'article 3 de l'arrêté du 31 mars 2008 portant application de l'article R. 348-4 du code de l'action sociale et des familles ; qu'ils ont également vocation à bénéficier, outre du dispositif d'accueil d'urgence spécialisé pour demandeurs d'asile, qui a pour objet de les accueillir provisoirement dans des structures collectives ou dans des hôtels en attente d'un accueil en centre pour demandeurs d'asile, du dispositif général de veille sociale prévu par l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles, lequel peut conduire à leur admission dans un centre d'hébergement d'urgence ou un centre d'hébergement et de réinsertion sociale ; qu'enfin, en vertu des articles L. 5423-8 et L. 5423-9 du code du travail, les demandeurs d'asile peuvent bénéficier, sous condition d'âge et de ressources, d'une allocation temporaire d'attente à condition de ne pas être bénéficiaires d'un séjour en centre d'hébergement pris en charge au titre de l'aide sociale ;

Considérant que la notion de liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative englobe, s'agissant des ressortissants étrangers qui sont soumis à des mesures spécifiques réglementant leur entrée et leur séjour en France, et qui ne bénéficient donc pas, à la différence des nationaux, de la liberté d'entrée sur le territoire, le droit constitutionnel d'asile qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, dont l'obtention est déterminante pour l'exercice par les personnes concernées des libertés reconnues de façon générale aux ressortissants étrangers ; que la privation du bénéfice des mesures, prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté ; que le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente ;

Mais considérant que selon l'article L. 348-2 du code de l'action sociale et des familles, la mission des centres d'accueil pour demandeurs d'asile, qui est d'assurer l'accueil, l'hébergement ainsi que l'accompagnement social et administratif des demandeurs d'asile en possession de l'un des documents de séjour mentionnés à l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pendant la durée d'instruction de leur demande d'asile, prend fin à l'expiration du délai de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou à la date de la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, sauf à ce que les personnes accueillies y soient maintenues à titre exceptionnel et pour une durée limitée dans les conditions prévues à l'article R. 348-3 ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 5423-9 du code du travail : Ne peuvent bénéficier de l'allocation temporaire d'attente : 1° Les demandeurs d'asile qui, à la suite d'une décision de rejet devenue définitive, présentent une demande de réexamen à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, à l'exception des cas humanitaires signalés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans les conditions prévues par voie réglementaire ; qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu ne pas maintenir le bénéfice de l'accueil en centre d'accueil comme de l'allocation temporaire d'attente aux demandeurs d'asile dont la demande a été définitivement rejetée, à compter de la date à laquelle ce rejet est devenu définitif, même s'ils ont formé après ce rejet une demande de réexamen et ont été autorisés à se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides se prononçant selon la procédure prévue au second alinéa de l'article L. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant que si l'article 3 de la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 énonce que la directive s'applique à ceux qui déposent une demande d'asile tant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d'asile , les termes du c) de l'article 2 de la directive définissent le demandeur d'asile comme le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride ayant présenté une demande d'asile sur laquelle il n'a pas encore été statué définitivement ; que l'article 16 de la directive prévoit, en outre, que Les Etats membres peuvent limiter ou retirer le bénéfice des conditions d'accueil ... lorsqu'un demandeur d'asile ... a déjà introduit une demande dans le même Etat membre ; que, dans ces conditions, les dispositions de l'article L. 348-2 du code de l'action sociale et des familles et de l'article L. 5423-9 du code du travail, excluant du bénéfice des conditions d'accueil les demandeurs d'asile dont la demande a été définitivement rejetée alors même qu'ils auraient présenté une demande de réexamen, n'apparaissent pas manifestement incompatibles avec les objectifs de la directive du 27 janvier 2003 ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme Youssoupov, de nationalité russe, originaires du Daghestan, sont entrés en France le 6 septembre 2010 avec leurs enfants, Saida, née le 13 septembre 2001, Abakar, né le 24 août 2004 et Kamilla, née le 12 février 2007 ; qu'ils n'ont pas été admis au séjour, leur demande ayant été considérée par le préfet de la Gironde comme abusive, au motif que le couple avait déjà déposé une demande d'asile en Suède en 2003, une autre en Autriche en 2005, deux demandes d'asile, en 2006, dans les départements de Loire-Atlantique et du Morbihan sous des identités différentes et enfin une demande d'asile dans le département de la Vendée en 2007, laquelle a été rejetée par décision du directeur de l'OFPRA en date du 10 mars 2008 ; qu'ils se sont désistés de leur requête contre ce refus pendante devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et ont été reconduits dans leur pays d'origine, en 2009, dans le cadre du dispositif d'aide volontaire au retour ; que la famille Youssoupov, dépourvue d'hébergement stable comme de ressources, n'a pas été accueillie dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile après le dépôt de leur demande de réexamen auprès de la préfecture de la Gironde en date du 13 septembre 2010 ; qu'il résulte toutefois de ce qui a été dit précédemment qu'en s'abstenant de leur proposer un hébergement en centre d'accueil, dès lors que leur demande d'asile avait été définitivement rejetée et que leur nouvelle demande faisait l'objet, alors même que les intéressés seraient entre temps rentrés au Daghestan, d'un examen par l'OFPRA selon la procédure prévue au second alinéa de l'article L. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Gironde a fait application des dispositions législatives précitées et n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;

Considérant que si M. et Mme Youssoupov soutiennent qu'en s'abstenant de leur proposer un hébergement, le préfet de la Gironde a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, une telle abstention, alors que, comme il a été dit ci-dessus, les intéressés ne bénéficient pas d'un droit à être accueillis dans un centre d'accueil ou dans une autre structure d'hébergement en urgence, ne peut être regardée comme portant une atteinte manifestement illégale au droit d'asile justifiant que le juge des référés ordonne au préfet, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de leur trouver un hébergement ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a enjoint au préfet de la Gironde d'indiquer à M. et Mme Youssoupov un lieu susceptibles de les héberger ;




O R D O N N E :
------------------

Article 1er : L'ordonnance n° 1003542 du 1er octobre 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux est annulée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. et Mme Youssoupov devant le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux ainsi que leurs conclusions devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3: La présente ordonnance sera notifiée au MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L 'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE et à M. Mourad Youssoupov et Mme Zaïra Youssoupov.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Gironde.


Voir aussi