Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 403332, lecture du 28 janvier 2019

Analyse n° 403332
28 janvier 2019
Conseil d'État

N° 403332
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Lecture du lundi 28 janvier 2019



15-03-03-01 : Communautés européennes et Union européenne- Application du droit de l'Union européenne par le juge administratif français- Prise en compte des arrêts de la Cour de justice- Interprétation du droit de l'Union-

Société française ayant perçu des dividendes de sociétés, dont elle est un actionnaire minoritaire, établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne - Demande de restitution de l'avoir fiscal correspondant - 1) Principe - Application de la jurisprudence de la CJUE relative au précompte mobilier (1) - Existence - Conséquence - Droit à un crédit d'impôt permettant d'assurer un traitement fiscal identique à celui réservé aux dividendes versés par des sociétés établies en France - 2) Conditions - Nécessité pour le redevable de produire des éléments relatifs à la nature et au taux de l'impôt ayant effectivement frappé les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués - Tempérament - Cas où il justifie, dividende par dividende, de l'impossibilité matérielle de les produire sans que l'administration n'apporte d'élément en sens contraire.




1) Par l'arrêt Accor SA du 15 septembre 2011 (aff. C-310/09), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que les principes d'équivalence et d'effectivité ne font pas obstacle à ce que la restitution à une société mère des sommes de nature à garantir l'application d'un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de celle-ci établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans d'autres Etats membres, donnant lieu à redistribution par cette société mère, soit subordonnée à la condition que le redevable apporte les éléments qu'il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d'imposition effectivement appliqué et au montant de l'impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par les filiales installées dans les autres Etats membres, alors même que, à l'égard des filiales installées en France, ces mêmes éléments, connus de l'administration, ne sont pas exigés. Dès lors, il n'est pas suffisant d'apporter la preuve que la société distributrice a été imposée, dans son État membre d'établissement, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués, sans fournir les informations relatives à la nature et au taux de l'impôt ayant effectivement frappé ces bénéfices. La Cour de justice a précisé que la production de ces éléments ne peut cependant être requise que sous réserve qu'il ne se révèle pas pratiquement impossible ou excessivement difficile d'apporter la preuve du paiement de l'impôt par les filiales établies dans les autres Etats membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation de ces Etats se rapportant à la prévention de la double imposition et à l'enregistrement de l'impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu'à la conservation des documents administratifs. Tout en indiquant qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si ces conditions sont satisfaites, la Cour a précisé que les justificatifs requis ne devraient pas revêtir une forme particulière, l'appréciation ne devant pas être effectuée de manière trop formaliste. Elle a également souligné que l'administration fiscale n'a pas à répondre des difficultés rencontrées par la société mère pour fournir les informations requises relatives à l'impôt acquitté par sa filiale distributrice de dividendes, difficultés liées non pas à la complexité intrinsèque de celles-ci, mais au défaut de coopération éventuel de la part de la filiale concernée, et qu'en outre, la seule existence de mécanismes d'assistance mutuelle ne dispense pas la société mère bénéficiaire de dividendes d'apporter la preuve de l'impôt acquitté par la société distributrice dans un autre État membre. Les principes ainsi dégagés par la CJUE dans le cadre d'un contentieux concernant le précompte mobilier relatif à des distributions de dividendes relevant du régime mères et filiales sont également applicables dans le cas où les distributions de dividendes proviennent de sociétés, établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne, dans lesquelles la société qui sollicite une restitution ne détient que des participations minoritaires et où le crédit d'impôt dont elle réclame le bénéfice à vocation à s'imputer, non sur le précompte mobilier mais sur l'impôt sur les sociétés. Dans l'un et l'autre cas, la société qui perçoit les dividendes a droit à un crédit d'impôt permettant d'assurer un même traitement fiscal des dividendes provenant de sociétés établies en France et de ceux provenant de sociétés établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne. 2) Le caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve du paiement de l'impôt par les sociétés distributrices établies dans les autres Etats membres s'apprécie pour chaque dividende en litige et, le cas échéant, en fonction de circonstances exceptionnelles invoquées par le redevable, de nature à justifier l'impossibilité matérielle de produire les éléments requis. Lorsque le redevable produit des éléments ou se prévaut de l'impossibilité matérielle de les produire, il appartient à l'administration d'apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l'impôt de se déterminer au vu de l'instruction et d'apprécier, compte tenu de l'argumentation des parties, si, pour le dividende en litige, le redevable justifie de sa demande en restitution.





19-04-02-03-01-02 : Contributions et taxes- Impôts sur les revenus et bénéfices- Revenus et bénéfices imposables règles particulières- Revenus des capitaux mobiliers et assimilables- Revenus distribués- Avoir fiscal-

Société française ayant perçu des dividendes de sociétés, dont elle est un actionnaire minoritaire, établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne - Demande de restitution de l'avoir fiscal correspondant - 1) a) Principe - Application de la jurisprudence de la CJUE relative au précompte mobilier (1) - Existence - Conséquence - Droit à un crédit d'impôt permettant d'assurer un traitement fiscal identique à celui réservé aux dividendes versés par des sociétés établies en France - b) Conditions - Nécessité pour le redevable de produire des éléments relatifs à la nature et au taux de l'impôt ayant effectivement frappé les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués - Tempérament - Cas où il justifie, dividende par dividende, de l'impossibilité matérielle de les produire sans que l'administration n'apporte d'élément en sens contraire - 2) Application - Société produisant de nombreux éléments de nature à établir, d'une part, l'impossibilité matérielle de déterminer le taux effectif d'imposition des bénéfices sous-jacents, et, d'autre part, le taux d'imposition subi par d'autres sociétés distributrices, sans que l'administration n'apporte d'élément en sens contraire - Cour estimant ces éléments insuffisants - Méconnaissance des règles de dévolution de la charge de la preuve - Existence.




1) a) Par l'arrêt Accor SA du 15 septembre 2011 (aff. C-310/09), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que les principes d'équivalence et d'effectivité ne font pas obstacle à ce que la restitution à une société mère des sommes de nature à garantir l'application d'un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de celle-ci établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans d'autres Etats membres, donnant lieu à redistribution par cette société mère, soit subordonnée à la condition que le redevable apporte les éléments qu'il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d'imposition effectivement appliqué et au montant de l'impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par les filiales installées dans les autres Etats membres, alors même que, à l'égard des filiales installées en France, ces mêmes éléments, connus de l'administration, ne sont pas exigés. Dès lors, il n'est pas suffisant d'apporter la preuve que la société distributrice a été imposée, dans son État membre d'établissement, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués, sans fournir les informations relatives à la nature et au taux de l'impôt ayant effectivement frappé ces bénéfices. La Cour de justice a précisé que la production de ces éléments ne peut cependant être requise que sous réserve qu'il ne se révèle pas pratiquement impossible ou excessivement difficile d'apporter la preuve du paiement de l'impôt par les filiales établies dans les autres Etats membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation de ces Etats se rapportant à la prévention de la double imposition et à l'enregistrement de l'impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu'à la conservation des documents administratifs. Tout en indiquant qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si ces conditions sont satisfaites, la Cour a précisé que les justificatifs requis ne devraient pas revêtir une forme particulière, l'appréciation ne devant pas être effectuée de manière trop formaliste. Elle a également souligné que l'administration fiscale n'a pas à répondre des difficultés rencontrées par la société mère pour fournir les informations requises relatives à l'impôt acquitté par sa filiale distributrice de dividendes, difficultés liées non pas à la complexité intrinsèque de celles-ci, mais au défaut de coopération éventuel de la part de la filiale concernée, et qu'en outre, la seule existence de mécanismes d'assistance mutuelle ne dispense pas la société mère bénéficiaire de dividendes d'apporter la preuve de l'impôt acquitté par la société distributrice dans un autre État membre. Les principes ainsi dégagés par la CJUE dans le cadre d'un contentieux concernant le précompte mobilier relatif à des distributions de dividendes relevant du régime mères et filiales sont également applicables dans le cas où les distributions de dividendes proviennent de sociétés, établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne, dans lesquelles la société qui sollicite une restitution ne détient que des participations minoritaires et où le crédit d'impôt dont elle réclame le bénéfice à vocation à s'imputer, non sur le précompte mobilier mais sur l'impôt sur les sociétés. Dans l'un et l'autre cas, la société qui perçoit les dividendes a droit à un crédit d'impôt permettant d'assurer un même traitement fiscal des dividendes provenant de sociétés établies en France et de ceux provenant de sociétés établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne. b) Le caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve du paiement de l'impôt par les sociétés distributrices établies dans les autres Etats membres s'apprécie pour chaque dividende en litige et, le cas échéant, en fonction de circonstances exceptionnelles invoquées par le redevable, de nature à justifier l'impossibilité matérielle de produire les éléments requis. Lorsque le redevable produit des éléments ou se prévaut de l'impossibilité matérielle de les produire, il appartient à l'administration d'apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l'impôt de se déterminer au vu de l'instruction et d'apprécier, compte tenu de l'argumentation des parties, si, pour le dividende en litige, le redevable justifie de sa demande en restitution. 2) Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société requérante a produit, sur un support cd-rom, de nombreux documents tels que des attestations établies par une cinquantaine de sociétés distributrices et des données provenant de la base d'informations financières Bloomberg ainsi qu'un rapport d'expertise, réalisé en février 2015 par le cabinet Deloitte, analysant les données disponibles sur les impositions subies par les sociétés distributrices et faisant notamment état, pour certaines d'entre elles, d'un taux effectif d'imposition établi sur la base de données consolidées. La société requérante soutenait, par ailleurs, que son statut d'actionnaire minoritaire dans des sociétés étrangères cotées rendait extrêmement difficile l'obtention d'informations sur le taux d'imposition effectivement appliqué. Au soutien de cette affirmation, elle a produit des attestations selon lesquelles le montant d'impôt effectivement acquitté ne devait pas être dévoilé pour des raisons de confidentialité ou n'était pas connu. En outre, le rapport du cabinet Deloitte confirme que les déclarations fiscales des sociétés distributrices ne sont pas portées à la connaissance des actionnaires minoritaires. En estimant de façon globale, en dépit de la production de ces éléments, et alors que l'administration fiscale n'apportait pas d'élément en sens contraire, que la société ne pouvait être regardée, pour aucun des dividendes en litige, comme apportant les premiers éléments de vraisemblance quant au caractère quasiment impossible ou excessivement difficile de la preuve du paiement de l'impôt par les sociétés distributrices établies dans les autres Etats membres, une cour méconnaît les règles de dévolution de la charge de la preuve et ainsi commet une erreur de droit.


(1) Rappr., CJUE, 15 septembre 2011, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Accor SA, aff. C-310/09 ; CJUE, 4 octobre 2018, Commission européenne c/ République française, aff. C-416/17 ; CE, 10 décembre 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Société Rhodia, n° 317074, aux Tables sur un autre point ; CE, 10 décembre 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Société Accor, n° 317075, inédite au Recueil.

Voir aussi