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Ariane Web: Conseil d'État 343435, lecture du 19 janvier 2011, ECLI:FR:CESSR:2011:343435.20110119

Décision n° 343435
19 janvier 2011
Conseil d'État

N° 343435
ECLI:FR:CESSR:2011:343435.20110119
Publié au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Arrighi de Casanova, président
M. Frédéric Dieu, rapporteur
M. Boulouis Nicolas, rapporteur public
SCP RICHARD ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, avocats


Lecture du mercredi 19 janvier 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre et 6 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le GRAND PORT MARITIME DU HAVRE, dont le siège est Terre-Plein de la Barre BP 1413, Le Havre Cedex (76067) ; le GRAND PORT MARITIME DU HAVRE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1002253 du 6 septembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant en application de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Philippe Lassarat, déclaré nul le marché attribué à la société Travaux Industriels Maritimes et Terrestres (Timt) et relatif à la remise en état de la porte Q3 de l'écluse Quinette de Rochemont du port du Havre ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la société Philippe Lassarat ;

3°) de mettre à la charge de la société Philippe Lassarat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Richard, avocat du GRAND PORT MARITIME DU HAVRE et de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la société Philippe Lassarat,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Richard, avocat du GRAND PORT MARITIME DU HAVRE et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la société Philippe Lassarat ;


Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section " ; qu'aux termes de l'article L. 551-14 de ce code : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours " ; qu'aux termes de l'article L. 551-15 : " Le recours régi par la présente section ne peut être exercé ni à l'égard des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l'égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité. / La même exclusion s'applique aux contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a envoyé aux titulaires la décision d'attribution du contrat et observé un délai de seize jours entre cet envoi et la conclusion du contrat, délai réduit à onze jours si la décision a été communiquée à tous les titulaires par voie électronique. " ; qu'aux termes de l'article L. 551-18 du même code : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat. " ; qu'aux termes de l'article L. 551-19 : " Toutefois, dans les cas prévus à l'article L. 551-18, le juge peut sanctionner le manquement soit par la résiliation du contrat, soit par la réduction de sa durée, soit par une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l'entité adjudicatrice, si le prononcé de la nullité du contrat se heurte à une raison impérieuse d'intérêt général. / Cette raison ne peut être constituée par la prise en compte d'un intérêt économique que si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l'intérêt économique atteint n'est pas directement lié au contrat, ou si le contrat porte sur une délégation de service public. " ; qu'enfin, selon l'article L. 551-20 : " Dans le cas où le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière. " ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte de ces dispositions que sont seuls recevables à saisir le juge d'un référé contractuel, outre le préfet, les candidats qui n'ont pas engagé un référé précontractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas communiqué la décision d'attribution aux candidats non retenus ou n'a pas observé, avant de signer le contrat, un délai de onze jours après cette communication et, s'agissant des contrats non soumis à publicité préalable et des contrats non soumis à l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas rendu publique son intention de conclure le contrat ou n'a pas observé, avant de le signer, ce même délai, ainsi que ceux qui ont engagé un référé précontractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas respecté l'obligation de suspendre la signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 du code de justice administrative ou ne s'est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé ;

Considérant, d'autre part, qu'en ce qui concerne l'ensemble des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, les manquements susceptibles d'être utilement invoqués dans le cadre du référé contractuel sont, comme les sanctions auxquelles ils peuvent donner lieu, limitativement définis aux articles L. 551-18 à L. 551-20 du même code ; qu'ainsi, le juge des référés ne peut prononcer la nullité mentionnée à l'article L. 551-18 - c'est-à-dire annuler le contrat - ou, le cas échéant, prendre les autres mesures prévues aux articles L. 551-19 et L. 551-20, que dans les conditions prévues à ces articles ;

Considérant que, s'agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l'obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d'attribution, l'annulation d'un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l'article L. 551-18, c'est-à-dire de l'absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique ;

Considérant que le juge du référé contractuel doit également annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, ou prendre l'une des autres mesures mentionnées à l'article L. 551-20 dans l'hypothèse où, alors qu'un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s'est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé contractuel que le GRAND PORT MARITIME DU HAVRE a lancé une procédure adaptée en vue de l'attribution d'un marché portant sur la réfection et l'entretien de la porte d'une écluse ; qu'à l'issue de cette procédure, il a, après avoir écarté l'offre de la société Philippe Lassarat, attribué le marché à la société Travaux Industriels Maritimes et Terrestres (Timt) ; que le contrat a été signé le 30 juin 2010 ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant en application de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Philippe Lassarat, prononcé la nullité du marché ;

Considérant que, pour ce faire, après avoir relevé, d'une part, qu'en n'ayant pas rendu publique son intention de conclure le marché et observé un délai de onze jours après cette publication, le GRAND PORT MARITIME DU HAVRE n'avait pas permis à la société Philippe Lassarat d'engager un référé précontractuel et, d'autre part, qu'en retenant une offre non conforme au règlement de la consultation, il avait commis un manquement à ses obligations de mise en concurrence ayant affecté les chances de la société Philippe Lassarat d'obtenir le contrat, le juge des référés en a déduit que les conditions posées par les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative étaient remplies ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui a été dit plus haut que l'annulation d'un marché à procédure adaptée ne peut être prononcée sur le fondement de ces dispositions et dans ces conditions que si le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 du code de justice administrative ou n'a pas respecté la décision juridictionnelle rendue sur le référé précontractuel, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 6 septembre 2010 doit être annulée ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Philippe Lassarat ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les manquements dont se prévaut la société Philippe Lassarat ne se rattachent à aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office ; que, par suite, sa demande tendant à ce que soit prononcée la nullité du marché ne peut qu'être rejetée ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du GRAND PORT MARITIME DU HAVRE qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Philippe Lassarat et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le GRAND PORT MARITIME DU HAVRE au titre de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la société Philippe Lassarat le versement d'une somme de 3 000 euros ;








D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance n° 1002253 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 6 septembre 2010 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Philippe Lassarat devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen est rejetée.

Article 3 : La société Philippe Lassarat versera au GRAND PORT MARITIME DU HAVRE une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au GRAND PORT MARITIME DU HAVRE, à la société Philippe Lassarat et à la société Travaux Industriels Maritimes et Terrestres.
Copie en sera adressée à la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


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