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Ariane Web: Conseil d'État 312833, lecture du 26 janvier 2011, ECLI:FR:CESSR:2011:312833.20110126

Décision n° 312833
26 janvier 2011
Conseil d'État

N° 312833
ECLI:FR:CESSR:2011:312833.20110126
Publié au recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
M. Gilles Pellissier, rapporteur
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; FOUSSARD, avocats


Lecture du mercredi 26 janvier 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 février et 30 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Marcel A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 26 octobre 2007 par laquelle la Commission des recours des réfugiés a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 30 août 2002 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'admission au statut de réfugié ;

2°) réglant l'affaire au fond, de lui reconnaître la qualité de réfugié ;

3°) de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

Vu la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 ;

Vu le décret n° 53-377 du 2 mai 1953 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gilles Pellissier, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A et de Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides,

- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A et à Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;



Considérant que, par une décision du 26 octobre 2007, la Commission des recours des réfugiés a rejeté la demande de M. A, de nationalité rwandaise et d'origine hutue, tendant à la reconnaissance de la qualité de réfugié, au motif qu'il existait de sérieuses raisons de penser qu'il s'était rendu personnellement coupable de complicité dans le génocide commis au Rwanda en 1994 ; que M. A demande l'annulation de cette décision ;

Considérant qu'aux termes du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés : " Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes (...) " ; que l'article III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 punit le génocide et la complicité dans le génocide ; que le complice est celui qui, sciemment, a, par ses agissements, contribué à la préparation ou à la réalisation du crime ou en a facilité la commission ou a assisté à son exécution sans chercher à aucun moment, eu égard à sa situation, à le prévenir ou à s'en dissocier ;

Considérant que, pour juger que M. A s'était rendu complice du génocide perpétré au Rwanda en 1994, la commission a souverainement constaté qu'à l'arrivée de miliciens poursuivant les réfugiés d'origine tutsie qu'il avait accueilli dans la paroisse dont il était vicaire, M. A avait pris la fuite en remettant aux autorités locales les clés des bâtiments où se trouvaient les réfugiés, les livrant ainsi à leurs assassins ; qu'elle a ensuite relevé qu'il n'avait pas " entrepris toutes les diligences nécessaires pour tenter d'assurer la sécurité des réfugiés " et qu'il " ne pouvait ignorer " ni l'appartenance des autorités locales à un mouvement politique dont la responsabilité dans le génocide serait ultérieurement établie, ni le fait que la présence de miliciens vouait à une mort certaine les réfugiés qu'il avait accueillis ; qu'en déduisant de ces circonstances qu'il existait de sérieuses raisons de penser qu'il s'était rendu complice du crime de génocide, alors qu'elles ne sont pas de nature à établir qu'il aurait eu l'intention de permettre ou de faciliter la réalisation du crime ou qu'il aurait sciemment omis de le prévenir ou de s'en dissocier, la commission a commis une erreur de droit ; que M. A est, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, fondé à demander l'annulation de la décision attaquée de la Commission des recours des réfugiés ;

Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. A craint avec raison d'être persécuté en cas de retour dans son pays d'origine du fait de son appartenance ethnique, des fonctions sacerdotales qu'il a exercées dans la commune de Mubuga et des opinions politiques qui lui sont imputées par les autorités rwandaises ;

Considérant que s'il résulte de l'instruction que M. A a accueilli dans sa paroisse, à partir du 10 avril 2004, des personnes d'origine tutsie poursuivies par des miliciens puis s'est enfui, le 14 avril, les laissant aux mains des autorités locales qui ne se sont pas opposées à leur massacre par les miliciens, ces seuls faits, en l'état du dossier, ne permettent pas de fonder de sérieuses raisons de penser que M. A aurait manifesté l'intention, ce faisant, de permettre ou de faciliter la commission de ces crimes, ou aurait sciemment omis de les prévenir ou de s'en dissocier, dès lors d'une part que ses fonctions ne lui conféraient aucune autorité sur leurs auteurs et que toute résistance de sa part aurait probablement mis sa vie en danger, d'autre part qu'aucun autre élément n'est de nature à établir son approbation du génocide, notamment pas le fait qu'il ait bénéficié de la protection de militaires dont il affirme sans être contredit avoir acheté les services ; qu'ainsi les circonstances de l'espèce telles que rapportées par les parties ne font pas apparaître au titre de la présente procédure de raison sérieuse de penser que M. A s'est personnellement rendu coupable ni qu'il peut être regardé comme complice d'un crime de génocide au sens et pour l'application des stipulations du a) de l'article 1.F de la convention du 28 juillet 1951 ; que M. A ne peut donc être exclu de statut de réfugié pour un tel motif ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la qualité de réfugié doit être reconnue à M. A sur le fondement des stipulations de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le versement à M. A de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés tant devant la Commission de recours des réfugiés que devant le Conseil d'Etat ;


D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Commission des recours des réfugiés du 26 octobre 2007 est annulée.

Article 2 : La décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en date du 30 août 2002 est annulée.

Article 3 : La qualité de réfugié est reconnue à M. A.
Article 4 : L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera à M. A une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés tant devant la Commission de recours des réfugiés que devant le Conseil d'Etat.
Article 5 : Les conclusions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Marcel A et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


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