Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 345661, lecture du 4 avril 2011, ECLI:FR:CECHR:2011:345661.20110404

Décision n° 345661
4 avril 2011
Conseil d'État

N° 345661
ECLI:FR:Code Inconnu:2011:345661.20110404
Publié au recueil Lebon
7ème - 2ème SSR
M. Fabrice Aubert, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public


Lecture du lundi 4 avril 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu l'ordonnance n° 1006540 du 6 janvier 2011, enregistrée le 10 janvier 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon, avant qu'il soit statué sur la demande de Mme D...C...tendant à l'annulation des décisions du 6 octobre 2010 par lesquelles le préfet de l'Ardèche a rejeté sa demande de titre de séjour et assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français métropolitain à destination de Mayotte, du pays dont elle a la nationalité ou de tout autre pays dans lequel elle établit être légalement admissible, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment ses articles L. 111-2 et L. 111-3 issus de l'ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004, ratifiée par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 ;

Vu l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000, ratifiée par la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 ;

Vu le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, modifié notamment par le décret n° 2010-149 du 16 février 2010 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabrice Aubert, Auditeur,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;


Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, Mme D... C... demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'ordonnance du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ;

Sur l'intervention de Mme A...B... :

Considérant que Mme B...a présenté, dans le cadre d'un litige devant le tribunal administratif de Limoges, une question prioritaire de constitutionnalité mettant également en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le tribunal a différé sa décision en application des dispositions de l'article R. 771-6 du code de justice administrative, selon lesquelles une juridiction peut procéder ainsi, lorsqu'elle est saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d'Etat est déjà saisi, jusqu'à ce qu'elle soit informée de la décision du Conseil d'Etat ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel ; que, dès lors, Mme B...justifie d'un intérêt la rendant recevable à intervenir devant le Conseil d'Etat, au soutien de la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par MmeC... ; que, toutefois, le Conseil d'Etat, saisi en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, ne pouvant examiner des motifs d'inconstitutionnalité qui n'ont pas été soumis au tribunal administratif qui lui a transmis la question, l'intervenant n'est pas recevable à invoquer de tels motifs, hormis le cas où il établirait les avoir soumis à la juridiction qui a différé sa décision ; que, tel n'étant pas le cas de MmeB..., celle-ci ne peut soulever, au soutien de son intervention, des motifs d'inconstitutionnalité différents de ceux présentés par Mme C...à l'appui de la question transmise par le tribunal administratif de Lyon ;

Considérant que MmeB..., qui avait obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle devant le tribunal administratif de Limoges et qui a en a demandé le bénéfice pour soutenir son intervention devant le Conseil d'Etat, demande au Conseil d'Etat de surseoir à statuer, en se prévalant des dispositions de l'article 43-1 du décret du 19 décembre 1991, dont le premier alinéa dispose que " Sans préjudice de l'application des dispositions relatives à l'admission provisoire, la juridiction avisée du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle est tenue de surseoir à statuer dans l'attente de la décision statuant sur cette demande " ; que toutefois, il résulte des dispositions de l'article 53-1, inséré dans ce même décret par le décret du 16 février 2010, que l'aide juridictionnelle demeure acquise à son bénéficiaire en cas d'examen par le Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité, laquelle, au demeurant, est en l'espèce dispensée du ministère d'avocat par les dispositions de l'article R. 771-20 du code de justice administrative ; qu'en tout état de cause, le jugement d'une affaire ne peut, en vertu de l'article R. 632-1 du même code, être retardé par une intervention ; qu'ainsi, eu égard au délai de trois mois imparti au Conseil d'Etat par les dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 pour se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité, les conclusions à fin de sursis à statuer de Mme B...ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'y fassent obstacle les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dont elle se prévaut ;


Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

Considérant que l'article L. 111-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Le présent code régit l'entrée et le séjour des étrangers en France métropolitaine, dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon. / Il régit l'exercice du droit d'asile sur l'ensemble du territoire de la République. / Ses dispositions s'appliquent sous réserve des conventions internationales. / Les conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte (...) demeurent...: / 1° Ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 111-3 du même code : " au sens des dispositions du présent code, l'expression "en France" s'entend de la France métropolitaine, des départements d'outre-mer et de Saint-Pierre-et-Miquelon. " ; qu'il résulte de ces dispositions que les conditions d'entrée et de séjour d'un étranger à Mayotte ne sont pas régies par les règles de droit commun posées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais sont soumises aux règles spécifiques issues de l'ordonnance du 26 avril 2000 ; que les titres délivrés pour l'entrée et le séjour à Mayotte en application de cette ordonnance n'autorisent pas leurs détenteurs à entrer et séjourner en France métropolitaine ; que les étrangers séjournant à Mayotte et désirant se rendre en France métropolitaine sont tenus de solliciter à cette fin la délivrance d'un titre d'entrée ou de séjour en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant que Mme C...soutient, pour contester le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français métropolitain dont elle a fait l'objet, que les dispositions des articles L. 111-2 et L. 111-3 sont contraires à la liberté d'aller et venir ainsi qu'au principe d'égalité devant la loi, en tant qu'elles soumettent l'étranger résidant régulièrement à Mayotte en vertu d'un titre délivré en application de l'ordonnance du 26 avril 2000, et désirant entrer et séjourner en France métropolitaine, à l'obtention d'un visa ou d'un titre délivré en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant, en premier lieu, que le régime de l'entrée et du séjour des étrangers défini par les dispositions contestées tend à prendre en compte une situation particulière tenant à l'éloignement et à l'insularité de cette collectivité, ainsi qu'à l'importance des flux migratoires dont elle est spécifiquement l'objet et aux contraintes d'ordre public qui en découlent ; que les étrangers séjournant à Mayotte peuvent obtenir, sans aucune distinction en fonction de leurs origines, un titre d'entrée ou de séjour en France métropolitaine dans les conditions de droit commun ; que par suite, Mme C...et Mme B...ne sont pas fondées à soutenir que méconnaîtrait le principe d'égalité la circonstance que le titre d'entrée et séjour délivré à un étranger pour séjourner à Mayotte ne l'autorise pas à entrer et séjourner également en France métropolitaine ;

Considérant, en second lieu, que l'Etat est en droit de définir des conditions d'admission des étrangers sur son territoire, sous réserve des engagements internationaux de la France et du respect des principes à valeur constitutionnelle ; qu'en prévoyant l'octroi d'un titre d'entrée ou de séjour spécifique à la collectivité de Mayotte, ne dispensant pas son titulaire de solliciter un titre d'entrée ou de séjour en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour accéder à la métropole, le législateur n'a pas porté à la liberté d'aller et venir reconnue aux étrangers séjournant régulièrement sur le territoire une atteinte disproportionnée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'il n'y a, par suite, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de Mme B...est admise.

Article 2 : Les conclusions à fin de sursis à statuer présentée par Mme B...sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Lyon.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D...C..., à Mme A...B..., et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Copie en sera adressée pour information à Me F...E..., au Conseil constitutionnel, au tribunal administratif de Lyon et au tribunal administratif de Limoges.


Voir aussi