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Ariane Web: Conseil d'État 329290, lecture du 13 mai 2011, ECLI:FR:CEASS:2011:329290.20110513

Décision n° 329290
13 mai 2011
Conseil d'État

N° 329290
ECLI:FR:CEASS:2011:329290.20110513
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP ODENT, POULET ; SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du vendredi 13 mai 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juin et 28 septembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Viviane A, demeurant ... ; Mme A, agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs Christelle et Loïc, tous héritiers de M. Alain A, décédé, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA03630-07PA03717 du 6 octobre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête de M. et Mme A tendant à l'annulation du jugement du 24 juillet 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Cochin à leur verser la somme de 138 925,24 euros en réparation des conséquences dommageables résultant de la myopathie de leur fils Loïc à la suite d'une erreur de diagnostic commise en 1992 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution et, notamment, ses articles 61-1 et 62 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;

Vu la décision n° 329290 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux en date du 14 avril 2010 ;

Vu la décision n° 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel en date du 11 juin 2010 ;

Vu la décision n° 2010-108 QPC du Conseil constitutionnel en date du 25 mars 2011 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des requêtes-rapporteur,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A, de la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et de la SCP Odent, Poulet, avocat de la caisse de prévoyance de la SNCF-antenne de Bordeaux,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A, à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la SCP Odent, Poulet, avocat de la caisse de prévoyance de la SNCF-antenne de Bordeaux ;




Considérant qu'il résulte des pièces soumises aux juges du fond que Mme A a donné naissance, le 8 décembre 1995, au centre hospitalier Robert-Boulin de Libourne, à un garçon prénommé Loïc qui s'est révélé atteint de la maladie de la myopathie de Duchenne ; que M. et Mme A ont recherché la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) au motif qu'une erreur de diagnostic aurait été commise, en 1992, par le service de laboratoire de biochimie génétique du centre hospitalier Cochin, qui dépend de l'AP-HP, sur le risque encouru par Mme A de transmettre la maladie de la myopathie de Duchenne à un enfant de sexe masculin ; que Mme A, agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs Christelle et Loïc, héritiers de M. Alain A, décédé, se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 6 octobre 2008 qui, faisant application du régime de responsabilité défini par l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, a rejeté leur requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 24 juillet 2007 ayant rejeté leur demande ;

Sur le régime de responsabilité applicable :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation. " ; qu'aux termes du deuxième alinéa de son article 62 : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause " ; qu'aux termes du troisième alinéa du même article : " Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. " ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 62 de la Constitution qu'une disposition législative déclarée contraire à la Constitution sur le fondement de l'article 61-1 n'est pas annulée rétroactivement mais abrogée pour l'avenir à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ; que par sa décision n° 2010-108 QPC en date du 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que " si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration " ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la codification par le 1 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 de dispositions qui figuraient antérieurement aux trois premiers alinéas du I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance /(...) / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. " ; qu'aux termes du 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005, reprenant en les adaptant des dispositions qui figuraient antérieurement au dernier alinéa du I de l'article 1er de loi du 4 mars 2002 : " Les dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles tel qu'il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation. " ; qu'en prévoyant l'application des dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles aux instances en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, le législateur a nécessairement entendu que ces dispositions s'appliquent également à la réparation de dommages dont le fait générateur était antérieur à la date d'entrée en vigueur de cette loi mais qui, à cette date, n'avaient pas encore donné lieu à une action indemnitaire ;

Considérant que, par une décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, publiée au Journal officiel le 12 juin, le Conseil constitutionnel a, sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, déclaré le 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 contraire à la Constitution, au motif qu'il n'existait pas d'intérêt général suffisant pour justifier la remise en cause des droits des personnes ayant, avant le 7 mars 2002, date d'entrée en vigueur du I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002, engagé une procédure en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice ; que le Conseil constitutionnel a en revanche relevé qu'il existait des motifs d'intérêt général pouvant justifier l'application des règles nouvelles à des instances engagées après le 7 mars 2002 au titre de situations juridiques nées avant cette date ; qu'il résulte de la décision du Conseil constitutionnel et des motifs qui en sont le support nécessaire qu'elle n'emporte abrogation, conformément au deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, du 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 que dans la mesure où cette disposition rend les règles nouvelles applicables aux instances en cours au 7 mars 2002 ; que la décision du Conseil Constitutionnel ne définit par ailleurs pas d'autres conditions et limites pour la remise en cause des effets que cette disposition avait produits avant cette date ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les consorts A n'ont engagé une instance en réparation des conséquences dommageables résultant de la myopathie de leur fils Loïc, né en 1995, que postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ; que la disposition déclarée contraire à la Constitution, relative aux personnes disposant d'une instance en cours au 7 mars 2002 comme il a été dit ci-dessus, ne leur était ainsi pas applicable ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Paris a pu, sans commettre d'erreur de droit, leur faire application du régime de responsabilité défini au premier et au troisième alinéas de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ;

Considérant que le moyen tiré de ce que l'application du régime de responsabilité défini au premier et au troisième alinéas de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles aux préjudices résultant de la naissance d'enfants atteints d'un handicap non décelé pendant la grossesse antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, serait incompatible avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est nouveau en cassation et ne peut, par suite, être utilement invoqué pour critiquer le bien fondé de l'arrêt attaqué ;

Sur la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris :

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A, issue d'une famille présentant des antécédents de la myopathie de Duchenne, maladie qui n'atteint que les enfants de sexe masculin, a en 1989, alors qu'elle était enceinte de deux jumeaux, interrompu sa grossesse en raison du risque de handicap ; que des examens ont été pratiqués sur les foetus au laboratoire de biochimie génétique de l'hôpital Cochin ; qu'interrogé en 1992 par Mme A sur les résultats de ces examens, le chef du service du laboratoire a indiqué par lettre du 28 octobre 1992 que, en l'état de l'expérience du laboratoire, les résultats permettaient de dire que les foetus n'étaient pas atteints de la maladie, que Mme A n'était pas conductrice et que l'équipe médicale disposerait bientôt d'autres moyens de détecter et de localiser la mutation du gêne et de vérifier son raisonnement ;

Considérant, en premier lieu, que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le régime de responsabilité défini à l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles s'applique à l'ensemble des actes tendant au diagnostic de malformations foetales et, notamment, aux tests et études génétiques effectués avant même la conception sur la foi desquels une grossesse ayant conduit à la naissance d'un enfant porteur d'un handicap non décelé a été engagée ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'après avoir relevé que si le chef du service du laboratoire génétique du centre hospitalier Cochin, saisi de l'interprétation à donner des résultats de l'examen pratiqué en 1989, avait indiqué à Mme A dans son courrier du 28 octobre 1992, qu'elle n'était pas conductrice du gène responsable de la myopathie de Duchenne, la cour a également relevé que cette analyse comportait un double tempérament tiré, d'une part, de ce que le résultat correspondait aux données de la science médicale en 1992, et d'autre part, de ce que d'autres moyens devaient permettre à l'avenir de vérifier l'analyse ; qu'en estimant, au vu de ces constatations, que cet avis ne pouvait, par sa teneur, être considéré comme ayant donné à Mme A des assurances catégoriques que ses grossesses futures ne comporteraient pas le risque de transmission de la maladie génétique de Duchenne, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier soumis à son examen ;

Considérant, enfin, qu'eu égard aux précautions formulées dans l'avis du laboratoire génétique du centre hospitalier Cochin et à la circonstance que cet avis n'avait pas été émis à l'occasion d'une grossesse mais avait vocation à éclairer, le cas échéant, l'équipe médicale chargée du suivi d'une future grossesse de Mme A, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en jugeant que l'interprétation ainsi donnée en 1992, bien que n'étant pas accompagnée d'une information explicite sur la marge d'erreur habituelle qui pouvait, à cette époque, en affecter la fiabilité, n'était pas constitutive d'une faute qui, par son intensité et son évidence, devrait être regardée comme caractérisée au sens du troisième alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ; que ce motif étant de nature à justifier, à lui seul, le dispositif de l'arrêt de la cour, les moyens soulevés par Mme A à l'encontre des autres motifs de l'arrêt sur le principe de responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris sont inopérants ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 6 octobre 2008 ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de Mme A présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre des ces mêmes dispositions par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;





D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi présenté par Mme A est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Viviane A, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la caisse de prévoyance de la SNCF.
Copie en sera adressée pour information au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.


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