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Ariane Web: Conseil d'État 347444, lecture du 12 septembre 2011, ECLI:FR:CESSR:2011:347444.20110912

Décision n° 347444
12 septembre 2011
Conseil d'État

N° 347444
ECLI:FR:CESSR:2011:347444.20110912
Mentionné au tables du recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
M. Christian Vigouroux, président
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur
Mme Claire Landais, rapporteur public
SCP LESOURD ; FOUSSARD, avocats


Lecture du lundi 12 septembre 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le mémoire, enregistré le 14 juin 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. et Mme DION, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. et Mme DION demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt du 18 janvier 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leur requête contre le jugement du 18 juin 2009 du tribunal administratif de Grenoble rejetant leur demande tendant à l'annulation de la décision du 2 juillet 2008 par laquelle le maire de la commune de Megève a décidé de préempter l'immeuble cadastré BB n° 107 et 108, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de l'urbanisme, notamment ses articles L. 210-1 et L. 300-1 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lesourd, avocat de M. et Mme DION et de Me Foussard, avocat de la commune de Megève,

- les conclusions de Mme Claire Landais, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lesourd, avocat de M. et Mme DION et à Me Foussard, avocat de la commune de Megève ;




Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 300-1 du même code, dans sa version applicable au litige : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels (...) " ; que M. et Mme DION soutiennent qu'en raison notamment de l'interprétation que lui a donnée le Conseil d'Etat par sa jurisprudence récente, l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme méconnaît le droit de propriété et la liberté contractuelle ;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la circonstance que le Conseil d'Etat a, dans ses formations contentieuses, fixé sur certains points l'interprétation à donner des dispositions législatives en litige, ne fait pas obstacle à ce qu'il statue, ainsi que le lui prescrit l'article 61-1 de la Constitution, sur le bien-fondé du renvoi au Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité qu'ils soulèvent et n'est, en tout état de cause, pas incompatible avec les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte des dispositions en litige de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain ne peuvent légalement exercer ce droit que si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du même code cité ci-dessus, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date ; qu'au regard de cette exigence et des motifs d'intérêt général qui s'attachent à la réalisation des actions et opérations d'aménagement limitativement énumérées à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, les dispositions de l'article L. 210-1 du même code ne portent pas au droit de propriété ou à la liberté contractuelle une atteinte contraire à la Constitution ;

Considérant que M. et Mme DION soutiennent également qu'en ne précisant pas suffisamment aux articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme les conditions d'exercice du droit de préemption, le législateur n'aurait pas pleinement exercé la compétence qui lui est confiée par l'article 34 de la Constitution ; que toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, auquel renvoie l'article L. 210-1 litigieux, en énonçant de manière limitative la liste des objets auxquels les actions et les opérations d'aménagement envisagées doivent répondre pour justifier de l'exercice du droit de préemption à des fins d'intérêt général, ont institué des garanties suffisantes à la protection du droit de propriété et de la liberté contractuelle et, dès lors, ne méconnaissent pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré par M. et Mme DION, à l'appui de leur pourvoi en cassation, de ce que l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être regardé comme non sérieux ;


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme DION.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme DION, à la commune de Megève, à la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au Conseil Constitutionnel.


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