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Ariane Web: Conseil d'État 351010, lecture du 17 octobre 2011, ECLI:FR:CESSR:2011:351010.20111017

Décision n° 351010
17 octobre 2011
Conseil d'État

N° 351010
ECLI:FR:CESSR:2011:351010.20111017
Inédit au recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Philippe Martin, président
M. Pierre Chaubon, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP DEFRENOIS, LEVIS, avocats


Lecture du lundi 17 octobre 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu l'ordonnance n° 10NCO813 du 12 juillet 2011, enregistrée le 18 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle la cour administrative d'appel de Nancy, avant de statuer sur la requête de la SOCIETE GRANDE BRASSERIE PATRIE SCHUTZENBERGER tendant à l'annulation du jugement n° 081873 du 17 mars 2010 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 janvier 2008 du préfet de la région Alsace portant inscription au titre des monuments historiques d'un certain nombre d'éléments composant l'ensemble immobilier de la brasserie Schutzenberger à Schiltighein, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 621-25, L. 621-26, L. 621-27 et L. 621-29 du code du patrimoine ;

Vu le mémoire, enregistré le 1er juin 2011 au greffe de la cour administrative d'appel de Nancy, présenté par la SOCIETE GRANDE BRASSERIE PATRIE SCHUTZENBERGER, dont le siège est 8, rue de la Patrie à Schiltighein (67300), en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code du patrimoine, notamment ses articles L. 621-25, L. 621-26, L. 621-27 et L. 621-29 ;

Vu la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 ;

Vu la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 ;

Vu l'ordonnance n° 2004-178 du 20 février 2004 ;

Vu l'ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 ;

Vu l'ordonnance n° 2005- 1527 du 8 décembre 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Chaubon, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la SOCIÉTÉ GRANDE BRASSERIE PATRIE SCHUTZENBERGER,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Defrenois, Levis, avocat de la SOCIÉTÉ GRANDE BRASSERIE PATRIE SCHUTZENBERGER ;



Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat lui a transmis, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changements des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant que la cour administrative d'appel de Nancy est saisie d'une requête de la SOCIETE GRANDE BRASSERIE PATRIE SCHUTZENBERGER tendant à l'annulation du jugement du 17 mars 2010 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 janvier 2008 du préfet de la région Alsace portant inscription au titre des monuments historiques d'un certain nombre d'éléments composant l'ensemble immobilier de la brasserie Schutzenberger à Schiltigheim ; que la SOCIETE GRANDE BRASSERIE PATRIE SCHUTZENBERGER soutient, à l'appui de la requête d'appel qu'elle a formée contre le jugement du 17 mars 2010 du tribunal administratif de Strasbourg, que les dispositions des articles L. 621-25, L. 621-26, L. 621-27 et L. 621-29 du code du patrimoine sont contraires au droit de propriété et au principe d'égalité devant les charges publiques, respectivement garantis par les articles 2 et 17, et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

Considérant, en premier lieu, que les articles ainsi contestés du code du patrimoine sont issus de l'ordonnance du 20 février 2004 relative à la partie législative de ce code et ont, pour certains d'entre eux, été modifiés par l'ordonnance du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés et par l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme ; que si l'ordonnance du 20 février 2004 a été ratifiée par l'article 78 XIV de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, et celle du 8 décembre 2005 par l'article 6 de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, celle du 8 septembre 2005 n'a fait l'objet d'aucune ratification législative ; qu'il en résulte, après examen des modifications introduites par l'ordonnance non ratifiée du 8 septembre 2005, que les dispositions des 3ème et 4ème alinéas de l'article L. 621-27 du code du patrimoine ont un caractère réglementaire et ne sont pas au nombre des dispositions législatives visées par l'article 61-1 de la Constitution et l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; qu'elles ne sont, en conséquence, pas susceptibles de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité ; que les autres dispositions , qui n'ont pas été modifiées par l'ordonnance du 8 septembre 2005 ou l'ont été de façon très limitée et dans une mesure qui n'est pas contestée dans le cadre de la présente question prioritaire de constitutionnalité, présentent un caractère législatif au sens de l'article 61-1 de la Constitution et de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;

Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l'article L. 621-26 du code du patrimoine, selon lesquelles " sont notamment compris parmi les immeubles susceptibles d'être inscrits au titre des monuments historiques les monuments mégalithiques, les stations préhistoriques ainsi que les terrains qui renferment des champs de fouilles pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie ", ne sauraient être regardées, au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, comme applicables au litige dont est saisie la cour administrative d'appel de Nancy ;

Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de l'article L. 621-25, des 1er et 2ème alinéas de l'article L. 621-27 et de l'article L.621-29 du code du patrimoine, qui définissent le régime de l'inscription au titre des monuments historiques, sont applicables au présent litige ; qu'elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce que le régime de l'inscription au titre des monuments historiques défini par ces dispositions porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, compte tenu de l'insuffisance des garanties, en particulier de l'absence d'information préalable du propriétaire de l'immeuble inscrit, et donc de l'impossibilité pour lui de formuler des observations au cours de la procédure d'inscription soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel, dans cette mesure, la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;


D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 621-25, des 1er et 2ème alinéas de l'article L. 621-27 et de l'article L. 621-29 du code du patrimoine est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'elle porte sur l'article L. 621-26 et les 3ème et 4ème alinéas de l'article L. 621-27 du code du patrimoine.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE GRANDE BRASSERIE PATRIE SCHUTZENBERGER et au ministre de la culture et de la communication.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à la cour administrative d'appel de Nancy.