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Ariane Web: Conseil d'État 340698, lecture du 8 février 2012, ECLI:FR:CESEC:2012:340698.20120208

Décision n° 340698
8 février 2012
Conseil d'État

N° 340698
ECLI:FR:CESEC:2012:340698.20120208
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Bernard Stirn, président
M. Raphaël Chambon, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public


Lecture du mercredi 8 février 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi, enregistré le 18 juin 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 57767 du 6 mai 2010 par lequel la Cour des comptes a confirmé le jugement du 30 avril 2009 de la chambre régionale des comptes de Franche-Comté, qui avait constitué M. Deroy débiteur envers le centre communal d'action sociale de Polaincourt, au titre de l'exercice 2006, de la somme de 15 238,55 euros augmentée des intérêts de droit ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

Vu le décret n° 2003-301 du 2 avril 2003 ;

Vu le décret n° 2006-975 du 1er août 2006 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Raphaël Chambon, Auditeur-rapporteur ;

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;



Considérant qu'en vertu de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu'une dépense a été irrégulièrement payée ; que selon le VI de l'article 60, le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est ainsi engagée ou mise en jeu a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense payée à tort ; que s'il n'a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l'article 60, constitué en débet par le juge des comptes ; que s'agissant des comptables locaux, l'article L. 1617-2 du code général des collectivités territoriales dispose que : " Le comptable d'une commune, d'un département ou d'une région ne peut subordonner ses actes de paiement à une appréciation de l'opportunité des décisions prises par l'ordonnateur. Il ne peut soumettre les mêmes actes qu'au contrôle de légalité qu'impose l'exercice de sa responsabilité personnelle et pécuniaire " ;

Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances, personnellement et pécuniairement responsables de l'exercice régulier des contrôles prévus aux articles 12 et 13 ; qu'aux termes de l'article 12 de ce décret : " Les comptables sont tenus d'exercer : (...) / B. - En matière de dépenses, le contrôle : / (...) De la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après (...) " ; que l'article 13 du même décret dispose que : " En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / La justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ; / L'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications (...) " ; qu'aux termes de l'article 37 du même décret : " Lorsque, à l'occasion de l'exercice du contrôle prévu à l'article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l'ordonnateur (...) " ; qu'en vertu de l'article 47 du même décret, les opérations de dépense " doivent être appuyées des pièces justificatives prévues dans les nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l'accord du ministre intéressé " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et s'il leur appartient alors d'en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité ; qu'enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu'à ce que l'ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ;

Considérant, en second lieu, d'une part, que selon le dernier alinéa de l'article L. 1617-3 du code général des collectivités territoriales : " La liste des pièces justificatives que le comptable peut exiger avant de procéder au paiement est fixée par décret " ; qu'aux termes de l'article D. 1617-19 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Avant de procéder au paiement d'une dépense ne faisant pas l'objet d'un ordre de réquisition, les comptables des communes, des départements, des régions et de leurs établissements publics (...) ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l'annexe I du présent code et établie conformément à celle-ci " ; que la liste des pièces justificatives figurant à l'annexe I du code général des collectivités territoriales était, à la date des paiements litigieux, fixée par le décret n° 2003-301 du 2 avril 2003 ; que le point 41 de cette annexe, relatif aux travaux, fournitures ou services entrant dans le champ d'application du code des marchés publics, dans sa rédaction issue de ce décret, précise que : " La dépense est présentée sous la seule responsabilité de l'ordonnateur selon l'une des modalités suivantes : / marché public sans formalités préalables : / - ne faisant pas l'objet d'un contrat écrit ; / - faisant l'objet d'un contrat écrit ; / marché public avec formalités préalables " ; que pour les dépenses présentées par l'ordonnateur comme correspondant à un marché public passé sans formalités préalables ne faisant pas l'objet d'un contrat écrit, les pièces justificatives exigées sont : " mémoire ou facture comportant les énonciations définies en annexe C " ; que pour les dépenses présentées par l'ordonnateur comme correspondant à un marché public passé sans formalités préalables faisant l'objet d'un contrat écrit, l'ordonnateur doit en outre produire, lors du premier paiement, le contrat ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 11 du code des marchés publics issu du décret du 1er août 2006 et en vigueur depuis le 1er septembre 2006, dans sa rédaction alors applicable : " Les marchés et accords-cadres d'un montant égal ou supérieur à 4 000 euros hors taxes sont passés sous forme écrite (...) " ;

Considérant qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus que lorsqu'elle distingue, parmi les marchés publics sans formalités préalables, entre ceux faisant l'objet d'un contrat écrit et ceux ne faisant pas l'objet d'un tel contrat, la nomenclature des pièces justificatives dont les comptables des collectivités territoriales et de leurs établissement publics doivent exiger la production doit être regardée comme se référant, pour déterminer les cas dans lesquels les marchés doivent faire l'objet d'un contrat écrit, aux dispositions de l'article 11 du code des marchés publics en vertu desquelles, dans leur rédaction alors applicable, les marchés d'un montant égal ou supérieur à 4 000 euros doivent être passés sous forme écrite ; qu'il suit de là que lorsque la dépense est présentée par l'ordonnateur, sous sa seule responsabilité, sous la forme d'un marché public sans formalités préalables et que la facture produite fait état d'un montant égal ou supérieur à 4 000 euros hors taxes, sans qu'un contrat écrit ne soit produit pour justifier la dépense engagée, il appartient au comptable, devant cette insuffisance apparente des pièces produites pour justifier la dépense correspondant à un marché public sans formalités préalables faisant nécessairement l'objet d'un contrat écrit en vertu de la réglementation applicable, de suspendre le paiement et de demander à l'ordonnateur la production des justifications nécessaires ; qu'en revanche, dès lors que l'ordonnateur a produit, en réponse à cette demande, un certificat administratif par lequel il déclare avoir passé un contrat oral et prend la responsabilité de l'absence de contrat écrit, il appartient au comptable, qui n'a pas à se faire juge de la légalité de la passation du marché en cause, de payer la dépense ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la dépense relative à des prestations de livraison de repas au foyer des personnes âgées du centre communal d'action sociale de Polaincourt avait été présentée par l'ordonnateur sous la forme d'un marché public sans formalités préalables et justifiée par la seule production de factures, établies à l'automne 2006, dont chacune était d'un montant supérieur à 4 000 euros, seuil qui, depuis l'entrée en vigueur du code des marchés publics de 2006 et dans la version alors applicable de l'article 11 de ce code, rendait obligatoire la passation du marché sous forme écrite ; qu'en fondant son arrêt sur le fait que M. Deroy, comptable du centre communal d'action sociale de Polaincourt, s'est à tort abstenu d'exiger avant tout paiement de la dépense, dès lors que les factures présentées étaient chacune d'un montant supérieur à 4 000 euros, la production d'un contrat écrit, sans rechercher si le comptable avait demandé et obtenu de l'ordonnateur un certificat par lequel ce dernier engageait sa responsabilité en justifiant l'absence de contrat écrit, la Cour des comptes a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, dès lors, être annulé ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la Cour des comptes du 6 mai 2010 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour des comptes.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, à M. Marc Deroy et au centre communal d'action sociale de Polaincourt.

Copie en sera adressée pour information au procureur général près la Cour des comptes et au ministre des finances, de l'économie et de l'industrie.


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