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Ariane Web: Conseil d'État 342825, lecture du 8 février 2012, ECLI:FR:CESEC:2012:342825.20120208

Décision n° 342825
8 février 2012
Conseil d'État

N° 342825
ECLI:FR:CESEC:2012:342825.20120208
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Bernard Stirn, président
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public


Lecture du mercredi 8 février 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 27 août 2010, 13 septembre 2010 et 16 janvier 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 58487 du 23 juin 2010 par lequel la Cour des comptes a constitué M. Jean Gastou débiteur du Port autonome de Bordeaux pour les sommes, au titre de l'exercice 2006, de 55 143,94 euros et, au titre de l'exercice 2007, de 114 148,80 euros, augmentées des intérêts de droit à compter du 15 septembre 2009 ;



Vu les observations, enregistrées le 24 décembre 2010, présentées par le grand port maritime de Bordeaux ;

Vu les observations, enregistrées le 5 janvier 2011, présentées par M. Gastou ;

Vu les observations, enregistrées le 25 novembre 2011, présentées par le ministre des finances, de l'économie et de l'industrie ;

Vu les observations, enregistrées le 21 décembre 2011, présentées par le procureur général près la Cour des comptes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, chargé des fonctions de Maître des Requêtes ;

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;




Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;

Considérant qu'en vertu de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu'une dépense a été irrégulièrement payée ; que selon le VI de l'article 60, le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est ainsi engagée ou mise en jeu a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense payée à tort ; que s'il n'a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l'article 60, constitué en débet par le juge des comptes ;

Considérant qu'en vertu de l'article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances, personnellement et pécuniairement responsables de l'exercice régulier des contrôles prévus aux articles 12 et 13 ; qu'aux termes de l'article 12 du même décret : " Les comptables sont tenus d'exercer : / (...) B. - En matière de dépenses, le contrôle : (...) De la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après (...) " ; qu'aux termes de l'article 13 du même décret : " En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / La justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ; / L'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications (...) " ; qu'aux termes de l'article 37 du même décret : " Lorsque, à l'occasion de l'exercice du contrôle prévu à l'article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l'ordonnateur. (...) " ; qu'enfin, en vertu de l'article 47 du même décret, les opérations de dépense " doivent être appuyées des pièces justificatives prévues dans les nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l'accord du ministre intéressé " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et s'il leur appartient alors d'en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité ; qu'enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu'à ce que l'ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justification des dépenses engagées au titre de prestations fournies par la société RABA SARP Sud-ouest, l'agent comptable du Port autonome de Bordeaux a été destinataire de pièces intitulées " bons de commande " dont les dates étaient toutes postérieures à celles d'émission des factures correspondantes ; que, pour retenir qu'il lui appartenait, contrairement à ce qu'il a fait, de suspendre le paiement des sommes réclamées, la Cour des comptes a estimé que les bons de commande litigieux ne pouvaient être considérés par le comptable public comme des pièces justificatives valides au regard des exigences posées à l'article 5 du code des marchés publics relatives à la définition préalable des besoins ; que s'il appartenait au comptable, en cas de doute quant au caractère suffisant des justifications produites, de suspendre le paiement et de demander à l'ordonnateur de lui communiquer tout élément de nature à lui permettre d'exercer pleinement le contrôle de la régularité des pièces qui lui incombe, en revanche, il n'avait pas à se faire juge de la légalité des " bons de commande " en cause ; qu'en l'espèce, en reprochant au comptable de ne pas avoir suspendu le paiement des sommes litigieuses au seul motif que les bons de commande étaient d'une date postérieure à celle des factures qui se rattachaient à eux, le juge des comptes a en réalité exigé du comptable qu'il exerce un contrôle de légalité sur les pièces justificatives fournies par l'ordonnateur alors que celles-ci ne présentaient, à elles seules et quelle que soit en tout état de cause leur validité juridique, ni incohérence au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable ni incohérence au regard de la nature et de l'objet de la dépense engagée ; que, dès lors, la Cour des comptes a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la Cour des comptes du 23 juin 2010 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour des comptes.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, au grand port maritime de Bordeaux et à M. Jean Gastou.
Copie en sera adressée pour information au procureur général près la Cour des comptes et au ministre des finances, de l'économie et de l'industrie.


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