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Ariane Web: Conseil d'État 333573, lecture du 22 février 2012, ECLI:FR:CESSR:2012:333573.20120222

Décision n° 333573
22 février 2012
Conseil d'État

N° 333573
ECLI:FR:CESSR:2012:333573.20120222
Mentionné au tables du recueil Lebon
4ème et 5ème sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur
Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public
SCP ODENT, POULET, avocats


Lecture du mercredi 22 février 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le pourvoi et le mémoire, enregistrés les 4 novembre 2009 et 8 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Gilles A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision n° 622 du 9 juin 2009 par laquelle le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire, a prononcé sa mise à la retraite d'office ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'éducation ;

Vu le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ;

Vu le décret n° 92-131 du 5 février 1992 ;

Vu le décret n° 92-657 du 13 juillet 1992 ;

Vu le décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Louis Dutheillet de Lamothe, Auditeur,

- les observations de la SCP Odent, Poulet, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Odent, Poulet, avocat de M. A,



Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 232-38 du code de l'éducation : " Le président du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire convoque chacune des personnes intéressées devant la formation de jugement par lettre recommandée, avec demande d'avis de réception, quinze jours au moins avant la date de la séance de jugement. Ce délai est réduit à sept jours lorsque l'affaire est soumise à la formation mentionnée à l'article R. 232-34 / (...) S'il l'estime nécessaire, le président peut entendre des témoins à l'audience. Sur sa demande, le président ou le directeur d'un établissement mentionné aux articles 2 et 3 du décret n° 92-657 du 13 juillet 1992 cité à l'article R. 232-33 ou son représentant, est entendu ainsi que le recteur d'académie ou son représentant, s'il est l'auteur des poursuites disciplinaires ou de l'appel. La personne déférée et son conseil sont entendus dans leurs observations. La personne déférée a la parole en dernier" ;

Considérant que, eu égard à la nature et à l'objet de la procédure suivie devant cette juridiction disciplinaire, le délai prévu au premier alinéa de l'article R. 232-38 a non seulement pour objet d'informer l'intéressé de la date de l'audience mais aussi de lui laisser un délai suffisant pour préparer utilement sa défense ; qu'il en résulte que la lettre recommandée convoquant le mis en cause doit lui parvenir ou, s'il est absent, lui être présentée au moins quinze jours avant la date de la séance ;

Considérant que la section disciplinaire de l'université de Lyon III, saisie par le président de cette université, a, par une décision du 14 mars 2007, jugé que M. A n'avait pas commis de faute disciplinaire ; que le recteur de l'académie de Lyon a fait appel de cette décision auprès du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire qui a, par une décision du 10 juin 2008, prononcé à l'encontre du mis en cause la sanction de la mise à la retraite d'office ; que le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi de M. A, a annulé cette décision le 20 mars 2009 et renvoyé l'affaire au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a informé la juridiction, par un courrier daté du 9 avril 2009, qu'il se rendrait aux Etats-Unis du 14 avril 2009 au 25 juillet 2009 et que les actes de procédures devaient être envoyés pendant cette période à sa nouvelle adresse à Minneapolis ; que le courrier du 15 mai 2009 envoyé à cette nouvelle adresse et convoquant l'intéressé à la séance de jugement du 9 juin 2009, qui a été présenté à cette adresse en son absence le 29 mai 2009 et a été retiré par l'intéressé le 12 juin 2009, n'a pas permis d'avertir régulièrement M. A de la date de l'audience ; qu'il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier que M. A ait été régulièrement convoqué quinze jours avant la date de la séance de jugement ; que la circonstance qu'il ait écrit le 24 avril 2009 au président de l'université de Lyon III qu'il estimait que sa présence à l'audience n'était pas nécessaire ne dispensait pas la juridiction de l'avertir régulièrement du jour de cette audience ; que, dès lors, M. A est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision attaquée ;

Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, dès lors, de régler l'affaire au fond ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par M. A en appel :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 37 du décret du 13 juillet 1992 : " L'appel et l'appel incident peuvent être formés devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire contre les décisions des sections disciplinaires des établissements publics d'enseignement supérieur, par les personnes à l'encontre desquelles ces décisions ont été rendues, par leurs représentants légaux, par le président ou directeur d'établissement ou par le recteur d'académie. / L'appel est formé dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. (...) " ; qu'aux termes de l'article 38 du même décret : " L'appel est adressé au président de la section disciplinaire. Celui-ci en informe par écrit les personnes mentionnées au deuxième alinéa de l'article 35 et transmet immédiatement l'ensemble du dossier au secrétariat du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. " ;

Considérant que la décision de la section disciplinaire de l'université de Lyon III du 14 mars 2007 a été notifiée au recteur de l'académie de Lyon le 26 mars 2007 ; que, conformément aux dispositions précitées, celui-ci a adressé sa requête d'appel à l'université de Lyon III, qui l'a enregistrée le 24 mai 2007, soit avant l'expiration du délai de recours contentieux ; qu'ainsi le moyen tiré de la tardiveté de l'appel formé par le recteur doit être écarté ;

Considérant, en second lieu, que si M. A a soutenu, dans le dernier état de ses écritures, résultant de son mémoire enregistré le 27 mai 2008 au secrétariat du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire, que l'appel formé par le recteur serait irrecevable au motif que " le premier moyen d'appel est inopérant ", cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur la recevabilité de l'appel ;

Considérant que, par suite, les fins de non-recevoir opposées par M. A en appel doivent être écartées ;

Sur les griefs contenus dans la requête d'appel du recteur de l'académie de Lyon :

Considérant qu'il est fait grief à M. A d'avoir privilégié le recrutement de sa soeur pour dispenser un enseignement à l'université de Lyon III qu'il présidait, en commettant à cette fin le délit de prise illégale d'intérêt ; que, par un arrêt du 27 février 2008, rendu irrévocable par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 17 décembre 2008, la cour d'appel de Lyon statuant en matière correctionnelle a constaté qu'un enseignant en gestion ayant fait valoir ses droits à la retraite de façon anticipée en mai 2002, M. A a signé, le 2 septembre 2002, en qualité de président de l'université de Lyon III, un contrat recrutant sa soeur pour dispenser un enseignement en communication durant l'année universitaire 2002-2003 ; que la cour d'appel de Lyon a estimé que le seul fait, pour M. A, d'avoir signé en connaissance de cause, en sa qualité de président de l'université, ce contrat d'enseignement engageant sa soeur démontrait qu'il avait pris indirectement un intérêt moral dans le recrutement d'un membre de sa famille et que, étant à la fois président de l'université et particulier tirant un avantage moral indirect de l'embauche de sa soeur sur un poste vacant, alors que celle-ci ne pouvait plus bénéficier du statut de vacataire, il avait commis un abus de fonction ; que la cour d'appel de Lyon a jugé, sur cette base, que le délit de prise illégale d'intérêt était constitué ; que, contrairement à ce qu'a estimé la section disciplinaire de l'université de Lyon III, le fait d'avoir signé, dans les circonstances ainsi rappelées, un contrat recrutant un membre de sa famille, constitue une faute disciplinaire ;

Sur les autres griefs reprochés à M. B au cours de l'instruction :

Considérant que le juge disciplinaire peut légalement se fonder, pour infliger une sanction disciplinaire, sur des faits et des griefs qui n'ont pas été dénoncés dans la plainte initiale, à condition toutefois d'avoir mis au préalable l'intéressé en mesure de présenter utilement sa défense ; que M. B a été mis en mesure de présenter utilement sa défense sur l'ensemble des griefs qui n'étaient pas contenus dans la plainte initiale du recteur ;

Considérant qu'aux termes de l'article 28 du code des marchés publics alors applicable, issu du décret du 7 mars 2001, qui était entré en vigueur le 8 septembre 2001 : " Les marchés peuvent être passés sans formalités préalables lorsque le seuil de 90 000 euros hors taxes n'est pas dépassé. " ; qu'aux termes de l'article 27 du même code, qui était entré en vigueur le 1er janvier 2002 : " Lorsqu'il est fonction d'un seuil, le choix de la procédure applicable est déterminé dans les conditions suivantes. (...) III. - En ce qui concerne les services, est prise en compte, quel que soit le nombre de prestataires auxquels la personne responsable du marché fait appel : (...) b) Si les besoins de la personne publique donnent lieu à des réalisations récurrentes de prestations homogènes et concourant à une même opération, la valeur de l'ensemble des prestations correspondant aux besoins d'une année " ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un arrêt du même jour que celui mentionné ci-dessus, également rendu irrévocable par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 17 décembre 2008, la cour d'appel de Lyon statuant en matière correctionnelle a constaté que le montant des dépenses de l'université de Lyon III relatives aux services de traiteurs était supérieur depuis plusieurs années au seuil de 90 000 euros et avait dépassé, courant 2002, 202 000 euros ; qu'elle a estimé que ces faits auraient dû conduire M. A, président de l'université de Lyon III du 1er septembre 1997 au 31 août 2002, à procéder, en application des dispositions rappelées ci-dessus, à la mise en concurrence des prestataires de services, alors que l'intéressé a laissé en connaissance de cause se prolonger la pratique du traitement de gré à gré avec les prestataires des années précédentes, et qu'elle a jugé que le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics puni par l'article 432-14 du code pénal était constitué ; que ces faits constituent des manquements à la vigilance et à la probité dont doit faire preuve un président d'université, au surplus professeur des universités en gestion ;

Considérant qu'il résulte en outre de l'instruction que l'ensemble de ces faits ont porté gravement atteinte à l'image et à la réputation de l'université de Lyon III ; qu'au vu des griefs ainsi retenus, le recteur de l'académie de Lyon est fondé à soutenir que c'est à tort que la section disciplinaire de l'université de Lyon III a relaxé M. A des poursuites engagées contre lui ; qu'il y a lieu de prononcer à son encontre la sanction de la mise à la retraite d'office ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université de Lyon III du 14 mars 2007 et la décision du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire du 9 juin 2009 sont annulées.
Article 2 : M. A est mis à la retraite d'office.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Gilles A et au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.


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