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Ariane Web: Conseil d'État 357976, lecture du 29 juin 2012, ECLI:FR:CESSR:2012:357976.20120629

Décision n° 357976
29 juin 2012
Conseil d'État

N° 357976
ECLI:FR:CESSR:2012:357976.20120629
Publié au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Frédéric Dieu, rapporteur
M. Nicolas Boulouis, rapporteur public
SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD ; SCP ODENT, POULET, avocats


Lecture du vendredi 29 juin 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mars et 11 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société PRO 2C, dont le siège est Immeuble Néfissa, 31 rue des Entrepreneurs, Chargula II, à
Tunis-Carthage (2035), Tunisie ; la société PRO 2C demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1202933/3-5 du 12 mars 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant en application des articles L. 551-1 et L. 551-13 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant initialement à l'annulation de la procédure d'appel à candidature lancée par le consulat général de France à Tunis en vue de l'externalisation de la collecte des demandes de visa puis à l'annulation du contrat signé à l'issue de cette procédure avec la société TLS Contact ;

2°) statuant en référé, d'annuler le contrat conclu le 2 février 2012 entre le consulat général de France à Tunis et la société TLS Contact et, subsidiairement, de prononcer l'une des autres mesures prévues par l'article L. 551-20 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement n° 810/2009 (CE) du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009 ;


Vu le code des marchés publics ;

Vu le décret n° 81-778 du 13 août 1981, modifié par le décret n° 97-165 du 24 février 1997 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la société PRO 2C et de la SCP Odent, Poulet, avocat de la société TLS Contact,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la société PRO 2C et à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société TLS Contact ;


Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section " ; qu'aux termes de l'article L. 551-18 du même code : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat. " ; qu'aux termes de l'article L. 551-19 : " Toutefois, dans les cas prévus à l'article L. 551-18, le juge peut sanctionner le manquement soit par la résiliation du contrat, soit par la réduction de sa durée, soit par une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l'entité adjudicatrice, si le prononcé de la nullité du contrat se heurte à une raison impérieuse d'intérêt général. / Cette raison ne peut être constituée par la prise en compte d'un intérêt économique que si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l'intérêt économique atteint n'est pas directement lié au contrat, ou si le contrat porte sur une délégation de service public " ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis publié sur son site internet à compter du 30 septembre 2011, le consulat général de France à Tunis a lancé un appel à candidature ayant pour objet le choix d'un prestataire de services extérieur, chargé des tâches matérielles liées à la collecte des dossiers de demandes de visa ; que, par un courrier du consulat général de France à Tunis daté du 31 janvier 2012 et notifié le 8 février 2012, la société PRO 2C a été informée du rejet de son offre ; qu'après avoir saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à l'annulation de la procédure et appris, au cours de l'instruction de sa requête, que la " décision portant agrément d'un prestataire de services extérieur entre les demandeurs de visas et le service des visas " avait été signée par la responsable du consulat général de France à Tunis et la société TLS Contact le 2 février 2012, la société PRO 2C a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-13 du même code, d'annuler cette " décision " qualifiée par elle de contrat ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande ;

Considérant qu'aux termes de l'article 40, intitulé " Formes de coopération ", du règlement du Parlement et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas : " 1. Chaque Etat membre est responsable de l'organisation des procédures ayant trait aux demandes. En principe, les demandes sont introduites auprès du consulat d'un Etat membre (...) / 3. Dans des circonstances particulières ou pour des raisons liées à la situation locale, par exemple : a) lorsque le nombre élevé de demandeurs ne permet pas d'organiser la réception des demandes et le recueil des données en temps utile et dans des conditions convenables ou b) il n'est possible d'assurer d'aucune autre manière une couverture géographique satisfaisante dans le pays tiers concerné ; et lorsque les formes de coopération visées au paragraphe 2, point b), s'avèrent inappropriées pour les Etats membres concernés, un Etat membre peut, en dernier ressort, coopérer avec un prestataire de services extérieur conformément à l'article 43 " ; qu'aux termes de l'article 43, intitulé " Coopération avec les prestataires de services extérieurs ", du même règlement : " 1. Les Etats membres s'efforcent de coopérer avec un prestataire de services extérieur conjointement avec un ou plusieurs Etats membres, sans préjudice des règles applicables aux marchés publics et des règles de la concurrence. / 2. La coopération avec un prestataire de services extérieur se fonde sur un instrument juridique qui respecte les exigences énoncées à l'annexe X (...) " ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la " décision portant agrément d'un prestataire de services extérieur entre les demandeurs de visas et le service des visas ", signée par la responsable du consulat général de France à Tunis et la société TLS Contact le 2 février 2012, confie à cette dernière, pour une durée de deux ans et comme le permettent les dispositions précitées de l'article 43 du règlement du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009, les tâches matérielles liées à la collecte des dossiers des demandeurs de visa pour la France résidant dans la circonscription du consulat ; que ces tâches ainsi que les obligations du prestataire et les modalités de sa rémunération auprès des demandeurs de visa, et donc le prix payé par les usagers, sont fixées dans le cahier des charges annexé à la " décision d'agrément " et également signé par le consulat et la société TLS Contact ; que, par suite, cet acte doit être regardé comme un contrat de prestations de services ; que ce contrat, conclu après avis des ministres des affaires étrangères et de l'intérieur dans les conditions prévues par le règlement du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009, renvoie aux règles de droit interne relatives à la délivrance des visas, en particulier au décret du 13 août 1981, modifié par le décret du 24 février 1997, fixant le tarif des droits à percevoir dans les chancelleries diplomatiques et consulaires et, en territoire français, par le ministère des relations extérieures, ainsi qu'aux règles de droit interne relatives à la protection des données à caractère personnel ; que ce contrat est, par suite, régi par la loi française ; que, dès lors qu'il comporte des clauses exorbitantes du droit commun, notamment en ce qui concerne le droit permanent de visite et de contrôle de l'administration et la possibilité de résiliation unilatérale au bénéfice de l'administration, il constitue un contrat administratif ; que le juge administratif, compétent pour connaître des litiges nés de la passation et de l'exécution de contrats administratifs qui sont régis par la loi française, est, par suite, compétent pour en connaître ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-14 du même code : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours " ;

Considérant que le contrat litigieux a pour objet, ainsi qu'il a été dit, de confier à un prestataire de services les tâches matérielles liées à la collecte des dossiers de demandes de visa en contrepartie d'un prix ; qu'un tel contrat de prestations de services est au nombre de ceux dont le juge du référé précontractuel peut connaître, en vertu de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; que ce contrat, s'il n'est pas soumis au code des marchés publics dès lors qu'il a été conclu à l'étranger pour être exécuté hors du territoire français, est cependant soumis aux principes de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats et à la règle de transparence des procédures qui en découle ; que, dès lors que ce contrat entre dans les catégories énumérées à l'article L. 551-1 du code de justice administrative, auquel se réfère l'article L. 551-14 du même code, le juge du référé contractuel peut être valablement saisi des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise sa passation ; que, par suite, en jugeant que le consulat général de France à Tunis avait pu légalement se dispenser du respect de ces principes, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit ; que, dès lors, son ordonnance doit être annulée ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société PRO 2C ;

Considérant, en premier lieu, que, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de la règle de transparence des procédures qui en découle, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats ; que, dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères ; qu'il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné ; qu'en l'espèce, il résulte de l'instruction que la grille d'analyse des offres, communiquée aux candidats avec le cahier des charges relatif aux obligations du prestataire de services extérieur, permettait à ces derniers de connaître les critères d'attribution du contrat et les conditions de leur mise en oeuvre ; que, par suite, la société PRO 2C n'est pas fondée à soutenir que le consulat général de France à Tunis a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en n'informant pas les candidats des critères de sélection des offres et des conditions de leur mise en oeuvre ;

Considérant, en second lieu, que les principes de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats ainsi que la règle de transparence des procédures qui en découle, n'imposent aux pouvoirs adjudicateurs ni d'indiquer aux candidats évincés les motifs du rejet de leurs offres ni de respecter un délai raisonnable entre la notification de ce rejet et la conclusion du contrat ; que, par suite, la société PRO 2C n'est pas fondée à soutenir que le consulat général de France en Tunisie a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne lui communiquant pas les motifs de rejet de son offre et en ne respectant pas un délai raisonnable entre la notification de ce rejet et la signature du contrat avec la société TLS Contact ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de la société PRO 2C doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière une somme de 3 000 euros à verser à la société TLS Contact au titre du même article ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 12 mars 2012 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société PRO 2C devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société PRO 2C versera une somme de 3 000 euros à la société TLS Contact au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société PRO 2C, à la société TLS Contact, au ministre de l'intérieur et au ministre des affaires étrangères.


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