Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 342085, lecture du 13 février 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:342085.20130213

Décision n° 342085
13 février 2013
Conseil d'État

N° 342085
ECLI:FR:CESSR:2013:342085.20130213
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème et 10ème sous-sections réunies
Mme Emmanuelle Mignon, rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public
SCP MONOD, COLIN, avocats


Lecture du mercredi 13 février 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, enregistré le 2 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°09PA00099 du 20 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé, à la demande de M. B... A..., le jugement n°0315201/2 en date du 31 octobre 2008 du tribunal administratif de Paris et l'a déchargé des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes mises à sa charge au titre des années 1998 à 2000 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rétablir M. A... au rôle de l'impôt sur le revenu à raison des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes mises à sa charge au titre des années 1998 à 2000 ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 janvier 2013, présentée pour M. A... ;

Vu la convention signée le 31 août 1994 entre la France et les Etats-Unis en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi que l'avenant signé le 8 décembre 2004 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Mignon, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M.A...,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod, Colin, avocat de M. A... ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article 8 du code général des impôts : " I. (...) les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. (...) Il en est de même, sous les mêmes conditions : 1° des membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes visées au 1 de l'article 206 et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 " ; que les sociétés ainsi régies par l'article 8 du code général des impôts ont une personnalité distincte de celle de leurs membres et exercent une activité qui leur est propre ; que, dès lors que cette activité est exercée en France, les bénéfices réalisés par ces sociétés y sont en principe imposables entre les mains de leurs membres, y compris de ceux qui résident hors de France, à proportion des droits qu'ils détiennent dans la société ; qu'il incombe toutefois au juge de l'impôt de rechercher si une convention internationale relative aux doubles impositions fait obstacle à l'imposition en France de revenus qui y sont imposables en application du droit interne ; qu'en l'absence, dans la convention applicable au litige, de stipulations relatives aux revenus réalisés ou perçus par une société relevant du régime des sociétés de personnes, prévu notamment par les dispositions de l'article 8 du code général des impôts, il lui appartient de faire application de la convention à cette société qui, eu égard à son régime rappelé ci-dessus, est susceptible d'être regardée comme résidente de France et de vérifier qu'aucune de ses stipulations ne s'oppose à l'imposition en France de ces revenus ; que si tel est le cas, il lui revient également de vérifier qu'aucune stipulation de la convention ne s'oppose à ce que l'impôt dû en France à raison de ces revenus soit réclamé aux associés ; qu'en l'absence d'une telle stipulation, l'associé non résident de cette société ne peut se prévaloir ni des stipulations de la convention relatives aux divers revenus qu'elle mentionne, ni de celles de l'article précisant le régime d'imposition des autres revenus, dès lors que l'ensemble de ces stipulations ne sont applicables qu'aux revenus réalisés en propre par la société et non à ceux sur lesquels l'associé non résident est imposé au prorata de sa participation au capital de cette société ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., résident des Etats-Unis d'Amérique, détenait, au cours des années 1998 à 2000, 99 % des parts de la société civile immobilière (SCI) La Bret, dont le siège social était situé à Combrit (Finistère) ; que cette SCI possédait un ensemble immobilier constitué notamment d'une salle de restaurant, de deux discothèques, d'une salle de congrès et de deux piscines qu'elle avait donné en location à la SARL Le Calao Saintfont dont M. A... détenait également 95 % des parts ; qu'à l'issue d'une vérification, la comptabilité de la SARL s'est révélée entachée de graves irrégularités, ce qui a conduit l'administration à reconstituer les recettes de cette société ; qu'après avoir ensuite interrogé la SCI sur la discordance entre les loyers prévus au bail et les loyers effectivement versés par la SARL, qui étaient significativement inférieurs, l'administration a estimé que cette différence avait le caractère d'une libéralité de la SCI au profit de la SARL et l'a réintégrée dans les revenus fonciers de M. A..., à concurrence de ses droits dans la SCI ; que, par l'arrêt attaqué du 20 mai 2010, la cour administrative d'appel de Paris a fait droit à la requête de M. A... et l'a déchargé des suppléments d'impositions et des pénalités mis à sa charge à la suite de ces redressements ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la convention fiscale signée le 31 août 1994 entre la France et les Etats-Unis : " 1. Les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant, d'où qu'ils proviennent, qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente convention, ne sont imposables que dans cet Etat. 2. Les dispositions du paragraphe 1 ne s'appliquent pas aux revenus autres que les revenus provenant de biens immobiliers tels qu'ils sont définis au paragraphe 2 de l'article 6 (revenus immobiliers), lorsque le bénéficiaire de tels revenus, résident d'un Etat contractant, exerce dans l'autre Etat contractant, soit une activité industrielle et commerciale par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, soit une profession indépendante au moyen d'une base fixe qui y est située, et que le droit ou le bien générateur des revenus s'y rattache effectivement. Dans ce cas, les dispositions de l'article 7 (bénéfices des entreprises) ou de l'article 14 (professions indépendantes), suivant les cas, sont applicables " ;

4. Considérant que, pour faire échec à l'imposition à laquelle M. A... a été assujetti en France sur le fondement des dispositions de droit interne précitées, la cour administrative d'appel de Paris a d'abord relevé qu'il était en principe imposable en France à raison de la quote-part de bénéfices lui revenant au titre de sa participation au capital de la SCI La Bret ; qu'elle a ensuite recherché si une stipulation de la convention franco-américaine relative aux doubles impositions ne réservait pas aux Etats-Unis le droit d'imposer de tels profits ; qu'après avoir constaté, d'une part, que les revenus de M. A... provenant des droits qu'il détient dans la SCI La Bret ne sont pas traités par les articles précédents de la convention franco-américaine, dès lors notamment qu'ils ne constituent pas des revenus immobiliers au sens de l'article 6, d'autre part, que le " droit générateur " des revenus litigieux ne se rattache ni à un établissement stable, ni à une base fixe par l'intermédiaire duquel M. A... exercerait en France une activité industrielle ou commerciale ou une profession libérale, la cour en a déduit que les revenus qu'il retire de ses parts dans la SCI La Bret ne sont imposables qu'aux Etats-Unis dont il est résident, selon les stipulations du 1. de l'article 22 dont elle a relevé d'office l'application ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que de telles stipulations ne s'appliquent qu'aux revenus réalisés en propre par la société de personnes et non à ceux sur lesquels l'associé non résident est imposé au prorata de sa participation au capital de cette société, la cour a commis une erreur de droit ; qu'il suit de là que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant que, dans les mémoires qu'il a produits devant le Conseil d'Etat, M. A... a repris, dans l'hypothèse d'une annulation de l'arrêt attaqué suivie d'un règlement de l'affaire au fond, certains des moyens qu'il avait présentés devant les juges du fond, sans se référer pour le surplus à ses autres moyens de première instance et d'appel ; que, dans ces conditions, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de se prononcer sur les seuls moyens ainsi invoqués par M. A... dans le dernier état de ses écritures ;

Sur le principe de l'imposition en France :

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'au cours des années d'imposition en litige, la SCI La Bret exerçait exclusivement en France son activité de location d'un ensemble immobilier ; que cette société n'avait pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés ; que, dès lors, en application de l'article 8 du code général des impôts, les bénéfices réalisés par la SCI La Bret, au titre des années 1998 à 2000, étaient en principe imposables en France entre les mains de M. A..., au prorata de sa participation au capital de cette société de personnes ;

8. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 4 de la convention fiscale franco-américaine : " Au sens de la présente convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat ou pour la fortune qui y est située " ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la SCI La Bret doit être regardée comme résidente de France au sens de cette convention ; que si le iv du paragraphe 2 de son article 4, dans sa rédaction issue de l'article 1er de l'avenant signé le 8 décembre 2004 - laquelle est applicable aux années d'imposition litigieuses en vertu de l'article 7 de ce même avenant - comporte des stipulations spécifiques relatives aux revenus réalisés ou perçus par des sociétés relevant du régime des sociétés de personnes, ces stipulations ne sont pas applicables aux revenus que l'associé non résident tire de sa participation dans une société de personnes exerçant son activité en France, pour l'octroi des avantages de la convention au titre de l'impôt français ; qu'aucune autre stipulation de cette convention relative aux divers revenus qu'elle mentionne, ni, ainsi qu'il a été dit, celles du paragraphe 1 de l'article 22 relatif aux revenus non dénommés, ne sont applicables à cette quote-part de bénéfices de la SCI ; qu'enfin, aucune stipulation de cette convention ne s'oppose à ce que l'impôt dû en France à raison de cette quote-part soit réclamé aux associés ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A..., associé non résident de la SCI La Bret, n'est pas fondé à soutenir que ces bénéfices ne pouvaient être imposés en France ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée " ; qu'aux termes de l'article L. 53 du même livre, dans sa rédaction applicable aux années litigieuses : " En ce qui concerne les sociétés dont les associés sont personnellement soumis à l'impôt pour la part des bénéfices correspondant à leurs droits dans la société, la procédure de vérification des déclarations déposées par la société est suivie entre l'administration des impôts et la société elle-même " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'en ce qui concerne les sociétés régies par l'article 8 du code général des impôts, la procédure contradictoire de redressement de l'imposition doit être suivie entre la société et l'administration fiscale et non entre cette dernière et chacun des membres de la société ; qu'en revanche, l'administration ne peut légalement mettre de suppléments d'imposition à la charge personnelle des associés sans leur avoir notifié, dans les conditions prévues à l'article L. 57, les corrections apportées aux déclarations qu'ils ont eux-mêmes souscrites, en motivant cette notification au moins par une référence aux rehaussements apportés aux bénéfices sociaux de la société et par l'indication de la quote-part de ces bénéfices à raison de laquelle les intéressés seront imposés ;

11. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que M. A... avait souscrit des déclarations en France au titre des revenus qu'il percevait de sa participation dans la SCI La Bret ; que dès lors, les raisons pour lesquelles, bien que de nationalité américaine et ne résidant pas en France, il devait être imposé en France au titre de ces revenus ne sont, en tout état de cause, pas au nombre des motifs que l'administration devait faire figurer sur la notification de redressement qu'elle lui a adressée ou sur celle qu'elle a adressée à la SCI ; que, d'autre part, cette notification de redressement mentionnait les rehaussements apportés aux bénéfices sociaux de la SCI, lesquels avaient été notifiés le même jour au représentant de cette SCI qui était aussi le représentant de M. A... en France, et indiquait au contribuable la quote-part de ces bénéfices à raison de laquelle il serait imposé ; qu'elle était donc suffisamment motivée ;

12. Considérant enfin que, s'il résulte de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales que la réponse par laquelle l'administration rejette les observations du contribuable doit être motivée, M. A... n'avait présenté d'observations que sur le bien-fondé des rehaussements des bénéfices de la SCI ; que, par suite, la circonstance que la lettre par laquelle le service y a répondu se bornait à indiquer que le redressement était maintenu n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure d'imposition ;

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

13. Considérant que, si M. A... soutient que la SARL locataire de la SCI avait d'importantes difficultés de trésorerie, qui auraient amené le bailleur à réduire le montant des loyers durant les années en litige, il résulte de ses propres déclarations qu'il n'a découvert les malversations de son gérant et les difficultés de la SARL que postérieurement aux années d'imposition en litige, et il ne produit dans l'instance aucun document témoignant de sa préoccupation à l'égard de la situation économique de son preneur et de l'intérêt propre de la SCI à renoncer à la perception d'une partie des loyers ; que, dans ces conditions, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de ce que les loyers ainsi abandonnés ont constitué des libéralités ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions de M. A... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. A... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :
--------------

Article 1er : L'arrêt du 20 mai 2010 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. A... devant la cour administrative d'appel de Paris et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à M. B... A....



Voir aussi