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Ariane Web: Conseil d'État 335045, lecture du 22 février 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:335045.20130222

Décision n° 335045
22 février 2013
Conseil d'État

N° 335045
ECLI:FR:CESSR:2013:335045.20130222
Inédit au recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
M. Jean-Claude Hassan, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, avocats


Lecture du vendredi 22 février 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi, enregistré le 28 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'état ; le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la reforme de l'état demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2 et 3 de l'arrêt n° 07LY02295 du 27 octobre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, annulant l'article 1er du jugement du 29 mai 2007 du tribunal administratif de Grenoble, a, d'une part, déchargé M. et Mme B...A...des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1997 et des pénalités dont elles ont été assorties, d'autre part, mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Claude Hassan, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. et Mme A...,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. et Mme A...;



1. Considérant, d'une part, qu'aux termes du 4 du I ter de l'article 160 du code général des impôts, applicable aux impositions en litige : " L'imposition de la plus-value réalisée à compter du 1er janvier 1991 en cas d'échange de droits sociaux résultant d'une opération de fusion, scission ou d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B " ; qu'aux termes du II de l'article 92 B du même code, alors en vigueur : " 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échange de titres résultant d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d' absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, peut être reportée au moment où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des titres reçus lors de l'échange. (...) " ;

2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement. " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ;

3. Considérant que, lorsque l'administration entend remettre en cause les conséquences fiscales d'une opération qui s'est traduite par un report d'imposition, au motif que les actes passés par le contribuable ne lui sont pas opposables, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'en effet, une telle opération, dont l'intérêt fiscal est de différer l'imposition, entre dans le champ d'application de cet article, dès lors qu'elle a nécessairement pour effet de minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable ; que, par suite, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat est fondé à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble pour irrégularité, que le fait pour un contribuable de placer et de maintenir, sous le régime du report d'imposition prévu au 4 du I ter de l'article 160 du code général des impôts, une plus-value réalisée à l'occasion d'un apport de droits sociaux ne déguisait, par lui-même, ni une réalisation, ni un transfert de bénéfices ou de revenus au sens du b) de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que le ministre est dès lors fondé à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative pour régler l'affaire au fond et de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. et Mme A...devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à la décharge des impositions et pénalités litigieuses ;

5. Considérant que le placement en report d'imposition d'une plus-value réalisée par un contribuable, lors de l'apport de titres à une société qu'il contrôle, et qui a été suivi de leur cession par cette société, est constitutif d'un abus de droit s'il s'agit d'un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l'apport ; qu'il n'a en revanche pas ce caractère s'il ressort de l'ensemble de l'opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit de cette cession dans une activité économique ;

6. Considérant que Mme A...a constitué le 4 août 1997, avec son époux, ses trois enfants et deux autres personnes la société anonyme Les Trois Arcs dont l'objet social consiste en " la prise de participations, la fourniture de prestations de gestion et l'exercice d'une activité industrielle ou commerciale " ; que, le même jour, MmeA..., qui détenait 3 564 actions de la SA Veto-Centre, a fait apport à la SA Les Trois Arcs de 1430 d'entre elles et a reçu en échange 25 166 actions de la SA Les Trois Arcs ; que, le 29 août 1997, la SA Les Trois Arcs a cédé à la SA Domes Finances les 1 430 actions apportées par Mme A...le 4 août 1997 ; que, le même jour, Mme A...a cédé à la SA Domes Finances les 2 134 actions de la SA Veto-Centre qu'elle détenait et n'avait pas apportées à la SA Les Trois Arcs ; que, faisant application de la procédure de répression des abus de droit, l'administration a remis en cause le report d'imposition, prévu par les dispositions combinées du 4 du I ter de l'article 160 du code général des impôts et du II de l'article 92 B du même code, sous le régime duquel M. et Mme A... avaient placé la plus-value d'apport réalisée le 4 août 1997 ; que le comité prévu à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales a émis le 6 décembre 2002 un avis favorable au maintien des redressements notifiés par l'administration ;

7. Considérant que l'administration fiscale soutient que l'apport par Mme A..., le 4 août 1997, de 1 430 actions de la SA Veto-Centre à la SA Les Trois Arcs créée le même jour, suivi le 29 août de leur vente à la SA Domes Finances, a été réalisé dans un but exclusivement fiscal aux fins d'éviter à Mme A...de supporter immédiatement l'imposition des plus values qui aurait été due si elle avait cédé ces actions directement à la SA Domes Finances, comme elle l'a fait pour les actions qu'elle n'a pas apportées à la SA Les Trois Arcs, et de permettre ainsi aux contribuables de se placer abusivement dans le champ d'application des dispositions du 4 du I ter de l'article 160 et de l'article 92 B, II du code général des impôts ; que l'administration fiscale fait valoir que la vente à un tiers de l'ensemble des 3 864 actions de la SA Veto-Centre détenues par Mme A...et ses enfants était envisagée avant même la création de la SA Les Trois Arcs et l'apport par Mme A...à cette société de 1 430 de ces 3 864 actions ; qu'elle soutient en outre que les actions de la SA Veto-Centre détenues par Mme A...et ses enfants et par la SA Les Trois Arcs, dont Mme A...possédait la quasi totalité du capital, ont été cédées dès le 29 août 1997, soit seulement vingt-cinq jours après la création de la SA Les Trois Arcs ; que l'administration fiscale invoque également l'absence d'intérêt de cette dernière société à détenir les titres de la SA Veto-Centre pendant un délai aussi court, l'absence de réinvestissement du produit de la vente de ces titres à des fins économiques ainsi que le caractère tardif des premières démarches entreprises en vue d'un tel réinvestissement ;

8. Considérant que M. et Mme A...font valoir que la vente des actions de la SA Veto-Centre résultait d'un désaccord avec le dirigeant de cette société ; que la création de la SA Les Trois Arcs et l'apport par Mme A...à cette société de 1 430 titres de la SA Veto-Centre puis leur revente à la société Domes-Finances s'inscrivaient dans un projet de réinvestissement à caractère économique du produit de la vente de ces titres ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en février 1998, six mois après la vente des titres de la SA Veto-Centre à la SA Domes Finances, la SA Les Trois Arcs a donné mandat au cabinet Mazars et Guerard, spécialisé dans l'audit et le conseil aux entreprises, pour l'aider à acquérir une activité industrielle ; que ce délai de six mois n'était pas anormal eu égard à l'importance tant de l'investissement que du changement de secteur d'activité qu'envisageaient M. et Mme A...; qu'à partir du mois de mai 1998, après avoir identifié comme acquisition potentielle le groupe Aqua Bio 7 (AB 7), qui comprenait principalement la société AB 7 industrie, le cabinet mandaté a effectué des démarches actives en vue de mener à bien cette acquisition, dont le montant avoisinait celui du produit de la cession des actions de la SA Veto-Centre dont Mme A...avait fait apport à la SA Les Trois Arcs ; qu'il a notamment procédé à une étude de faisabilité pour le compte de cette dernière comprenant des visites des sites industriels et une analyse de l'outil industriel et commercial des sociétés du groupe AB 7 ; que ce même cabinet a organisé et conduit des négociations avec les époux A...et les dirigeants de ce groupe ; que ces négociations ont en définitive échoué à la fin de l'année 1998, les dirigeants du groupe AB 7 préférant la procédure d'apurement collectif du passif aux dernières propositions de la SA Les Trois Arcs ; que le cabinet Mazars et Guerard a alors effectué des démarches aux fins de présenter pour le compte de sa cliente, la SA Les Trois Arcs, une proposition de plan de redressement de ce groupe, qui est restée sans réponse ; que le cabinet a facturé à la société Les Trois Arcs, le 18 février 1999, ses honoraires relatifs à son intervention dans ce projet d'acquisition, pour un montant de 291 214,03 francs ;

10. Considérant que si, à la date du contrôle fiscal et de la notification de redressements, les sommes en cause n'avaient pas été réinvesties, il résulte de l'instruction que la société Les Trois Arcs avait sollicité à nouveau le cabinet Mazars et Guerard aux fins de rechercher une nouvelle cible après l'échec des négociations sur la société Aqua Bio 7 et que ces recherches n'ont été suspendues à la demande de la société qu'à la suite de la réception de la notification de redressements du 20 octobre 1999, eu égard au montant des redressements annoncés, proche de la moitié du produit de la cession des titres de la SA Veto-Centre par la SA Les Trois Arcs ;

11. Considérant que, dans ces conditions, eu égard aux démarches effectuées par la société Les Trois Arcs en vue de réinvestir dans une activité économique le produit de la vente des actions de la SA Veto-Centre qu'elle avait détenues, aux difficultés liées à l'importance et à la nature de l'investissement projeté ainsi qu'aux circonstances qui ont entraîné l'interruption du processus, M. et Mme A...établissent que les actes passés à l'occasion de la création de la société Les Trois Arcs et de l'apport par MmeA..., suivi de la cession, par cette société, qu'elle contrôlait, de moins de la moitié des titres de la société Veto-Centre qu'elle détenait avant cet apport, ne constituaient pas un montage qui n'aurait pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que les intéressés, s'ils n'avaient pas passé ces actes, auraient normalement supportées eu égard à leur situation et à leurs activités réelles ; que, par suite, l'administration fiscale n'était pas fondée à remettre en cause, selon la procédure de répression des abus de droit, le régime du report d'imposition de la plus-value réalisée le 4 août 1997 par les intéressés ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A...sont fondés à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1997, et des pénalités dont elles ont été assorties, à raison de la remise en cause du report d'imposition d'une plus-value de droits sociaux ;

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à M. et MmeA..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt n° 07LY02295 de la cour administrative d'appel de Lyon du 27 octobre 2009 sont annulés.

Article 2 : M. et Mme A...sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1997, et des pénalités dont elles ont été assorties, à raison de la remise en cause du report d'imposition d'une plus-value de droits sociaux.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à M. et Mme B...A....