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Ariane Web: Conseil d'État 343265, lecture du 28 mars 2013, ECLI:FR:CESJS:2013:343265.20130328

Décision n° 343265
28 mars 2013
Conseil d'État

N° 343265
ECLI:FR:CESJS:2013:343265.20130328
Inédit au recueil Lebon
9ème sous-section jugeant seule
M. Matthieu Schlesinger, rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, avocats


Lecture du jeudi 28 mars 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 septembre et 8 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SARL Solitel, dont le siège est 9 rue Sainte-Marie à Lourdes (65100), représentée par son gérant ; la SARL Solitel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09BX01885 du 6 juillet 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0701331 du 4 juin 2009 du tribunal administratif de Pau rejetant sa demande tendant à la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 1999 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SARL Solitel,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SARL Solitel ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, que la SARL Solitel a acquis, en mars 1998, la propriété d'un immeuble situé rue Sainte-Marie à Lourdes, dont une partie du rez-de-chaussée était affectée à une activité commerciale de restauration ; que ce fonds de commerce était exploité en vertu d'un bail commercial consenti, le 29 novembre 1973, à M. et Mme Doucet et renouvelé, en dernier lieu, le 1er décembre 1991 pour une durée de neuf ans moyennant un loyer annuel de 78 383 francs pour 1999 et d'un contrat de location gérance consenti, le 18 janvier 1992, par les époux Doucet à la SARL Doucet, dont M. Doucet était le gérant, pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, moyennant une redevance annuelle de 240 000 francs ; que, par acte du 25 mars 1999, les époux Doucet et la SARL Solitel sont convenus de la résiliation anticipée, au 15 novembre 1999, du bail moyennant le versement aux époux Doucet d'une indemnité de résiliation de 6 200 000 francs ; que les locaux ont ensuite été loués, par acte du 23 mars 2000, à la SARL Selt, dont le gérant était co-gérant de la SARL Solitel et les associés également associés de la SARL Solitel, pour un loyer annuel de 460 000 francs ;

2. Considérant qu'il ressort en outre des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'occasion de la vérification de comptabilité dont la SARL Solitel a fait l'objet au titre des années 1999 à 2002, l'administration a estimé que l'indemnité versée, en 1999, aux époux Doucet au titre de la résiliation du bail avait, en réalité, été versée pour l'acquisition de la clientèle attachée au fonds de commerce qu'ils exploitaient ; qu'elle a, en conséquence, remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, la déduction de cette indemnité au titre des charges déductibles du bénéfice imposable ; que la société a contesté les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les pénalités résultant de ce redressement, d'un montant total de 688 085 euros ; que, par jugement du 4 juin 2009, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 juillet 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé ce jugement ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (...) b) Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. / (...) Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration n'a pas entendu fonder le redressement sur le caractère fictif du contrat de résiliation anticipée du bail conclu entre la SARL Solitel et les époux Doucet mais sur la circonstance que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, il n'avait pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales de la SARL Solitel ;

4. Considérant qu'après avoir indiqué, par des motifs non contestés de son arrêt, que le comité consultatif pour la répression des abus de droit ayant confirmé le bien-fondé de la mise en oeuvre, à l'égard de la SARL Solitel, de la procédure de répression des abus de droit, il lui incombait, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, d'apporter la preuve inverse, la cour a notamment relevé que la SARL Solitel ne justifiait pas que le versement de l'indemnité en litige était exclusivement justifié par la nécessité d'une résiliation anticipée de quelques mois du bail commercial consenti aux époux Doucet, en vue d'optimiser les conditions de location avec un nouveau preneur ; qu'en se fondant notamment sur cette circonstance pour en déduire que les conditions fixées par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales étaient remplies, alors qu'il incombait au contribuable de démontrer, non pas que l'acte de résiliation litigieux et l'indemnité correspondante se justifiaient exclusivement par un motif autre que fiscal mais seulement qu'ils n'avaient pas poursuivi un but exclusivement fiscal, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que la SARL Solitel est, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 6 juillet 2010 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SARL SOLITEL et au ministre de l'économie et des finances.