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Ariane Web: Conseil d'État 357064, lecture du 28 mars 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:357064.20130328

Décision n° 357064
28 mars 2013
Conseil d'État

N° 357064
ECLI:FR:CESSR:2013:357064.20130328
Inédit au recueil Lebon
4ème et 5ème sous-sections réunies
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur
M. Rémi Keller, rapporteur public


Lecture du jeudi 28 mars 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu 1°, sous le n° 357064, la requête et le mémoire, enregistrés les 23 février et 29 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par l'Union syndicale des magistrats administratifs (U.S.M.A.), dont le siège est 7 rue de Jouy, à Paris (75004), représentée par son président ; l'Union syndicale des magistrats administratifs demande au Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner la suspension et d'annuler pour excès de pouvoir le chapitre 1er du décret n° 2011-1950 du 23 décembre 2011 modifiant le code de justice administrative ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 35 euros en remboursement des droits acquittés au titre de l'article 1635 bis Q du code général des impôts et la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu 2°, sous le n° 359893, la requête, enregistrée le 1er juin 2012, présentée par le Syndicat de la juridiction administrative (S.J.A.), représenté par sa présidente ; le Syndicat de la juridiction administrative demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le chapitre 1er du décret n° 2011-1950 du 23 décembre 2011 ou, subsidiairement, de l'annuler, éventuellement en différant les effets de cette annulation, en tant qu'il inclut dans la liste des matières où les litiges sont susceptibles d'être dispensés de conclusions du rapporteur public le contentieux de l'entrée, du séjour et de l'éloignement des étrangers à l'exception des expulsions ;


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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-629 DC du 12 mai 2011 ;

Vu le code de justice administrative, modifié notamment par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Louis Dutheillet de Lamothe, Auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 732-1 du code de justice administrative, introduit par l'article 188 de la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit : " Dans des matières énumérées par décret en Conseil d'Etat, le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience ses conclusions sur une requête, eu égard à la nature des questions à juger " ; que, par sa décision n° 2011-629 DC du 12 mai 2011, le Conseil constitutionnel a notamment jugé, d'une part, que cette disposition permet de dispenser le rapporteur public de prononcer des conclusions sur des litiges se rapportant à certaines matières contentieuses qui doivent être déterminées en se fondant sur des critères objectifs, d'autre part, que " le législateur a entendu qu'une telle dispense puisse être décidée lorsque la solution de l'affaire paraît s'imposer ou ne soulève aucune question de droit nouvelle " ;

2. Considérant que le chapitre 1er du décret attaqué du 23 décembre 2011, pris pour l'application de l'article L. 732-1 du code de justice administrative, modifie diverses dispositions réglementaires de ce code et y insère un nouvel article R. 732-1-1 aux termes duquel : " Sans préjudice de l'application des dispositions spécifiques à certains contentieux prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant des contentieux suivants :/ 1° Permis de conduire ;/ 2° Refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice /; 3° Naturalisation ;/ 4° Entrée, séjour et éloignement des étrangers, à l'exception des expulsions ;/ 5° Taxe d'habitation et taxe foncière sur les propriétés bâties afférentes aux locaux d'habitation et à usage professionnel au sens de l'article 1496 du code général des impôts ainsi que contribution à l'audiovisuel public ;/ 6° Aide personnalisée au logement ;/ 7° Carte de stationnement pour personne handicapée " ;

3. Considérant les requérants soutiennent que le chapitre 1er du décret attaqué méconnait, d'une part, le principe constitutionnel d'égalité devant la justice, au motif qu'il prive certaines catégories de requérants de la possibilité d'entendre un membre indépendant et impartial de la juridiction exposer son opinion sur leur affaire et que les conditions tirées de l'absence de doute sérieux sur la solution du litige et de l'absence de question de droit nouvelle ne sont pas objectives, d'autre part, un principe constitutionnel garantissant l'indépendance du rapporteur public qui s'opposerait à ce que le président de la formation de jugement puisse dispenser le rapporteur public de conclure ; que, toutefois, les dispositions dont la constitutionnalité est critiquée ne sont pas propres au décret mais ne font que reprendre les dispositions de l'article L. 732-1 du code de justice administrative, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel ; que, par suite, ces moyens ne peuvent qu'être écartés ; qu'au demeurant, s'agissant du respect du principe constitutionnel d'égalité, le Conseil constitutionnel a déjà examiné et écarté explicitement ce grief dans sa décision du 12 mai 2011 mentionnée au point 1 ;

4. Considérant que les stipulations de l'article 6 de cette convention ne font pas obstacle à ce que le rapporteur public ne prononce pas de conclusions sur certaines requêtes ; que, lorsque le rapporteur public ne prononce pas de conclusions sur une requête, les parties, d'une part, en sont informées, en application de l'article R. 711-3 du code justice administrative, dans sa rédaction issue de l'article 5 du décret attaqué, d'autre part, ont la parole à l'audience immédiatement après le rapport sur l'affaire, en application de l'article R. 732-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de l'article 7 du décret attaqué, de sorte qu'elles sont mises à même de discuter ce choix procédural ; qu'enfin, l'absence de conclusions ne saurait créer une rupture de l'égalité des armes entre les parties ; qu'il suit de là que les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés ;

5. Considérant que l'article L. 732-1 du code de justice administrative, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel à la lumière du principe constitutionnel d'égalité, n'autorise la dispense de conclusions du rapporteur public que dans certaines matières déterminées selon des critères objectifs et lorsque la solution de l'affaire paraît s'imposer ou ne soulève aucune question de droit nouvelle ;

6. Considérant que les contentieux énumérés à l'article R. 732-1-1 ajouté au code de justice administrative par le décret attaqué, sont, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de présentation du décret, " des contentieux en nombre statistiquement significatif pour les juridictions administratives, dont les questions de droit sont supposées déjà tranchées et qui posent, de façon récurrente, des questions de fait analogues " ; que, d'une part, les critères qui ont présidé au choix des matières retenues sont objectifs et pertinents au regard des finalités de l'article L. 732-1 du code de justice administrative ; que, d'autre part, les contentieux relatifs à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers, à l'exception des décisions d'expulsion, aux refus de concours de la force publique, à la carte de stationnement pour personne handicapée et aux décisions de naturalisation, contestés par les requérants, répondent aux critères ainsi retenus ; que la circonstance que, dans ces matières, surviennent des litiges ne justifiant pas la dispense prévue par la loi, ne permet pas d'en déduire que le décret méconnaîtrait les exigences posées par le Conseil constitutionnel, dès lors que seuls les litiges dont la solution paraît s'imposer ou qui ne soulèvent aucune question de droit nouvelle peuvent être dispensés de conclusions du rapporteur public ; que, par suite, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait contraire à l'article L. 732-1 du code de justice administrative, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel, et au principe d'égalité devant la justice doivent être écartés ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions des syndicats requérants tendant à l'annulation du chapitre 1er du décret attaqué doivent être rejetées ; que, dès lors, les conclusions de l'Union syndicale des magistrats administratifs tendant à la suspension de ces dispositions sont devenues sans objet et qu'il n'y a plus lieu d'y statuer ;

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser la contribution pour l'aide juridique prévue par l'article 1635 bis Q du code général des impôts à la charge de l'Union syndicale des magistrats administratifs ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'Union syndicale des magistrats administratifs et du Syndicat de la juridiction administrative sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale des magistrats administratifs (U.S.M.A.), au syndicat de la juridiction administrative (SJA), au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.