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Ariane Web: Conseil d'État 353956, lecture du 24 juin 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:353956.20130624

Décision n° 353956
24 juin 2013
Conseil d'État

N° 353956
ECLI:FR:CESSR:2013:353956.20130624
Inédit au recueil Lebon
8ème et 3ème sous-sections réunies
M. Maxime Boutron, rapporteur
Mme Nathalie Escaut, rapporteur public


Lecture du lundi 24 juin 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 9 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le syndicat national des enseignements du second degré, dont le siège est 46 avenue d'Ivry à Paris (75647 cedex 13) ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2011-1101 du 12 septembre 2011 instituant une indemnité spécifique en faveur des personnels enseignants, des personnels de direction, des personnels d'éducation et des personnels administratifs, sociaux et de santé exerçant dans les écoles, collèges, lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'éducation ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 ;

Vu le décret n°85-899 du 21 août 1985 ;

Vu le décret n° 90-806 du 11 septembre 1990 ;

Vu le décret n° 2002-828 du 3 mai 2002 ;

Vu le décret n° 2010-1065 du 8 septembre 2010 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Maxime Boutron, Auditeur,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;


1. Considérant que le programme d'actions intitulé " Collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite " (Clair), annoncé à la suite des " Etats généraux de la sécurité à l'école " des 7 et 8 avril 2010, visait, dans les établissements identifiés comme rencontrant le plus de difficultés, à favoriser la réussite des élèves et à prévenir la violence ; que ce programme d'expérimentations, dont les modalités d'application ont été définies par une circulaire du 7 juillet 2010 du ministre de l'éducation nationale, a été mis en oeuvre, pour l'année scolaire 2010-2011, dans des établissements scolaires qui ont, à cette fin, fait usage de la faculté d'expérimentation pédagogique qu'ils tiennent de l'article L. 401-1 du code de l'éducation ; qu'il a ensuite inclus dans son périmètre les établissements de l'enseignement primaire et est devenu à la rentrée scolaire suivante le programme " Ecoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite " (Eclair) ; que le décret attaqué du 12 septembre 2011 institue une indemnité spécifique en faveur des personnels enseignants, des personnels de direction, des personnels d'éducation et des personnels administratifs, sociaux et de santé exerçant dans les établissements relevant du programme Eclair ; qu'eu égard à l'intérêt pour agir dont il se prévaut, le syndicat national des enseignements du second degré doit être regardé comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret, dans la seule mesure où il concerne la situation des personnels enseignants et d'éducation exerçant leurs fonctions dans un établissement du second degré ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article 1er du décret attaqué, une indemnité spécifique est allouée aux personnels qu'il mentionne ; que cette indemnité comporte une part fixe, à laquelle peut s'ajouter une part modulable ; que, selon l'article 2 de ce décret, la part fixe, dont le taux annuel est fixé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'éducation nationale, de la fonction publique et du budget, est versée mensuellement aux personnels mentionnés à l'article 1er ; qu'en vertu de l'article 3 du même décret, la part modulable, dont le taux annuel plafond est fixé par arrêté conjoint des mêmes ministres, est accordée aux personnels qui accomplissent l'intégralité de leurs obligations réglementaires de service et qui se voient confier en outre, à titre accessoire, des activités, des missions ou des responsabilités particulières ; qu'aux termes de l'article 5 du décret, pour le second degré, au sein de chaque établissement, le chef d'établissement présente en conseil d'administration, après avis du conseil pédagogique, les modalités de mise en oeuvre des activités, missions ou responsabilités particulières mentionnées à l'article 3, dans la limite de l'enveloppe déléguée par le recteur d'académie et, sur la base des orientations définies, propose au recteur d'académie les décisions individuelles d'attribution aux personnels enseignants et d'éducation de la part modulable de l'indemnité, dans la limite du taux plafond, en fonction de leur participation effective à ces activités, missions ou responsabilités particulières ;

3. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, la création d'une indemnité au profit de fonctionnaires de l'Etat ne requiert pas l'intervention d'un décret en Conseil d'Etat ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'en prévoyant que c'est au sein de chaque établissement d'enseignement secondaire que les modalités des activités accessoires ouvrant droit à la part modulable de l'indemnité créée seraient définies, avec présentation par le chef d'établissement au conseil d'administration, après avis du conseil pédagogique, et en prenant en compte l'enveloppe déléguée par le recteur, le Premier ministre a, eu égard à l'objectif de prise en compte des caractéristiques et besoins de chaque établissement, défini avec une précision suffisante ces activités, ainsi que les conditions d'attribution de la part modulable de l'indemnité ; qu'il n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence, notamment en prévoyant que le chef d'établissement proposerait au recteur d'académie les décisions individuelles d'attribution de la part modulable de l'indemnité ; que le décret attaqué a pu légalement prévoir l'intervention, dans les conditions mentionnées ci-dessus, du conseil d'administration et du conseil pédagogique, alors même que leurs attributions, telles que définies par les articles L. 421-4 et L. 421-5 du code de l'éducation, ne la prévoient pas, compte tenu du rôle qui leur est imparti au titre du projet pédagogique de l'établissement et pour l'adoption d'un programme d'expérimentation, en application de l'article L. 401-1 du même code ;

5. Considérant, en troisième lieu, que le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, faute de consultation du comité technique ministériel, doit être écarté, dès lors que ses dispositions ne sont pas au nombre des questions relatives à l'organisation et au fonctionnement du service ou des règles statutaires, sur lesquelles les comités techniques ministériels doivent être préalablement consultés en application du II de l'article 15 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

6. Considérant, en quatrième lieu, que l'objet de la part modulable de l'indemnité est, ainsi qu'il a été dit, de rémunérer la participation effective, à titre accessoire, aux activités, missions ou responsabilités mentionnées à l'article 3 du décret attaqué ; que si celui-ci ne prévoit, pour cette part, aucun plancher, il ne saurait avoir légalement pour effet de priver un agent qui accomplit, en plus de ses obligations réglementaires de service, une tâche accessoire, de la rémunération de cette tâche ; qu'ainsi le décret attaqué ne méconnaît ni l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui prévoit que les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que de la performance collective des services, ni l'article 64 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions relatives à la fonction publique de l'Etat, qui dispose que les fonctionnaires de l'Etat ont droit, après service fait, à une rémunération fixée conformément aux dispositions de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 ;

7. Considérant, en cinquième lieu, que si le syndicat requérant relève que l'indemnité spécifique créée par le décret attaqué est attribuée dans des établissements dont la liste est fixée par le ministre chargé de l'éducation nationale, pour la participation à des activités d'abord présentées seulement comme souhaitables par voie de circulaire, il n'en résulte ni que le décret attaqué méconnaîtrait par lui-même la hiérarchie des normes, notamment l'article L. 401-1 du code de l'éducation, ni qu'il serait entaché d'un détournement de procédure ;

8. Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article 6 du décret attaqué : " Les personnels mentionnés à l'article 1er ne peuvent bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire attribuée, au titre de la mise en oeuvre de la politique de la ville, aux personnels mentionnés au II et au III de l'annexe du décret du 3 mai 2002 susvisé en fonctions dans les établissements dont la liste est fixée soit en application de l'article 2 du décret du 11 septembre 1990 susvisé, soit en application de l'article 3 du décret du 15 janvier 1993 susvisé. / L'indemnité spécifique instituée par le présent décret est exclusive des indemnités instituées par les décrets du 11 septembre 1990 et du 8 septembre 2010 susvisés. " ;

9. Considérant qu'un fonctionnaire se trouve vis-à-vis de l'administration dans une situation réglementaire ; qu'ainsi, d'une part, le décret attaqué pouvait légalement prévoir que l'indemnité spécifique qu'il institue était exclusive de l'indemnité de sujétions spéciales instituée par le décret du 11 septembre 1990 et de l'indemnité pour fonctions d'intérêt collectif instituée par le décret du 8 septembre 2010 ; que, d'autre part, il pouvait légalement prévoir que les personnels ayant droit à l'indemnité ne pouvaient bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire attribuée, au titre de la mise en oeuvre de la politique de la ville, aux personnels mentionnés au II et au III de l'annexe du décret du 3 mai 2002 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

10. Considérant, en septième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ; que l'objet du programme " Eclair " est de favoriser l'expérimentation et, à cette fin, de doter chaque établissement d'une autonomie dans la gestion de l'enveloppe déléguée par le recteur d'académie ; que, par suite, les différences de traitement qui pourraient en résulter entre agents d'établissements différents sont en rapport direct avec l'objet de ces dispositions ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ces différences seraient manifestement disproportionnées au regard des motifs qui les justifient ;

11. Considérant, en huitième lieu, qu'aux termes de l'article 9 du décret attaqué : " Les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 1er septembre 2011. / Toutefois, les personnels qui percevaient, avant l'entrée en vigueur du présent décret, la nouvelle bonification indiciaire mentionnée à l'article 6 peuvent la conserver, à titre personnel, lorsque son montant est plus favorable. Cette nouvelle bonification indiciaire n'est pas cumulable avec l'indemnité spécifique instituée par le présent décret " ; que cette disposition offre aux personnels concernés une faculté d'option ; que, cependant, les modalités de fixation de la part modulable de l'indemnité telles qu'elles sont prévues à l'article 5, d'une part, la différence de nature entre l'indemnité spécifique instituée et la nouvelle bonification indiciaire, qui ouvre seule un droit à pension, d'autre part, ne mettent pas les personnels concernés en mesure de déterminer si l'indemnité qui leur sera attribuée sera plus favorable que la nouvelle bonification indiciaire dont ils bénéficiaient en vertu de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991 et du décret pris pour son application ; que, par suite, le syndicat requérant est fondé à soutenir que, faute de prévoir des modalités adaptées permettant un choix effectif entre les deux possibilités qu'il ouvre, le second alinéa de l'article 9 du décret est illégal ; qu'eu égard à l'intérêt pour agir du syndicat, cette disposition doit être annulée en tant qu'elle ne précise pas ces modalités pour les personnels enseignants et d'éducation des établissements du second degré ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le syndicat national des enseignements du second degré est seulement fondé à demander, dans cette mesure, l'annulation du décret du 12 septembre 2011 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espère, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à ce syndicat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;





D E C I D E :
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Article 1er : Le second alinéa de l'article 9 du décret du 12 septembre 2011 est annulé en tant qu'il ne prévoit pas, pour les personnels enseignants et d'éducation des établissements du second degré, des modalités adaptées permettant aux personnels qu'il mentionne de choisir l'une des deux possibilités qu'il ouvre.

Article 2 : L'Etat versera au syndicat national des enseignements du second degré une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du syndicat national des enseignements du second degré est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat national des enseignements du second degré, au Premier ministre, au ministre de l'éducation nationale, au ministre de l'économie et des finances, et au ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique.