Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 368742, lecture du 19 juin 2013, ECLI:FR:CEORD:2013:368742.20130619

Décision n° 368742
19 juin 2013
Conseil d'État

N° 368742
ECLI:FR:CEORD:2013:368742.20130619
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mercredi 19 juin 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 22 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la Cimade, dont le siège est 64 rue Clisson à Paris (75013), représentée par son président en exercice, et le Groupe d'information et de soutien des immigrés, dont le siège est 3 Villa Marcès à Paris (75011), représenté par son président en exercice ; les associations requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution des dispositions des paragraphes 5 et 8 de l'instruction du 23 avril 2013 relative au droit à l'allocation temporaire d'attente (ATA) des demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure " Dublin " en application du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, ainsi que du modèle annexé à cette instruction ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de diffuser un nouveau modèle de convocation permettant aux demandeurs d'asile de justifier de leur droit au maintien sur le territoire et au bénéfice des conditions matérielles d'accueil ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elles soutiennent que :
- elles ont intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que les dispositions contestées portent un préjudice grave et immédiat aux intérêts des demandeurs d'asile et des associations requérantes ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées ;
- en effet, en prescrivant au préfet de délivrer un document ne valant pas autorisation de séjour, les dispositions contestées méconnaissent les exigences découlant du droit de l'Union européenne ;
- l'interruption du bénéfice de l'allocation temporaire d'attente pour les personnes considérées comme " en fuite " méconnaît ces mêmes exigences ;


Vu l'instruction dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cette instruction ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2013, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :

- les associations requérantes n'ont pas intérêt à agir ;
- l'instruction litigieuse n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et, partant, son exécution n'est pas susceptible d'être suspendue par le juge des référés ;
- l'instruction et les dispositions contestées forment un ensemble indivisible ;
- la condition d'urgence n'est pas remplie ;
- aucun des moyens soulevés n'est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'instruction contestée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 ;

Vu la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 ;
Vu la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code du travail ;

Vu l'arrêt du 27 septembre 2012 n° C-179/11 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Vu la décision du 17 avril 2013 n° 335924 du Conseil d'Etat ;
Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Cimade et le Groupe d'information et de soutien des immigrés, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 11 juin 2013 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- le représentant de la Cimade ;

- le représentant du groupe d'information et de soutien aux immigrés ;
- les représentants du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;


1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant que la Cimade et le Groupe d'information et de soutien des immigrés demandent au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution de l'instruction du 23 avril 2013 relative au droit à l'allocation temporaire d'attente (ATA) des demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure " Dublin " en application du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, plus précisément des dispositions des paragraphes 5 et 8 de cette instruction ainsi que du modèle de convocation qui y est annexé ;

3. Considérant que dans l'arrêt du 27 septembre 2012 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de Justice de l'Union européenne a dit pour droit que la directive du 27 janvier 2003 devait être interprétée en ce sens qu'un Etat membre saisi d'une demande d'asile est tenu d'octroyer les conditions minimales d'accueil garanties par cette directive, y compris à un demandeur d'asile pour lequel il décide, en application du règlement du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, dit " Dublin II ", de requérir un autre Etat membre aux fins de prendre en charge ou de reprendre en charge ce demandeur en tant qu'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, et que cette obligation ne prend fin, le cas échéant, que lors du transfert effectif du demandeur par l'Etat membre requérant, la charge financière de l'octroi des conditions minimales incombant, jusqu'à cette date, à ce dernier Etat membre ;

4. Considérant, d'une part, que si le demandeur d'asile dont la demande relève de la compétence d'un autre Etat européen, que la France décide de requérir en application du règlement du 18 février 2003, peut se voir refuser l'admission au séjour en application du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il dispose cependant du droit de rester en France en application des dispositions précises et inconditionnelles de l'article 7 de la directive du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de justice dans son arrêt du 27 septembre 2012 ; qu'il doit, dès lors, pouvoir accéder aux conditions minimales d'accueil prévues par la directive du 27 janvier 2003 ;

5. Considérant, d'autre part, que si l'article L. 5423-8 du code du travail prévoit que " Sous réserve des dispositions de l'article L. 5423-9, peuvent bénéficier d'une allocation temporaire d'attente : / 1° Les ressortissants étrangers dont le titre de séjour ou le récépissé de demande de titre de séjour mentionne qu'ils ont sollicité l'asile en France et qui ont présenté une demande tendant à bénéficier du statut de réfugié, s'ils satisfont à des conditions d'âge et de ressources (...) ", il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que ces dispositions, qui doivent être interprétées à la lumière de la directive du 27 janvier 2003, n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d'exiger la détention d'un titre de séjour ou d'un récépissé pour le demandeur d'asile dont la demande relève de la compétence d'un autre Etat, que la France décide de requérir en application du règlement du 18 février 2003 ; que, par suite, ce demandeur a, sous réserve des dispositions de l'article L. 5423-9 du code du travail, droit à l'allocation temporaire d'attente lorsqu'il remplit les conditions d'âge et de ressources prévues, jusqu'à ce qu'il ait effectivement été transféré dans l'Etat requis ou, le cas échéant, jusqu'à ce que la France, ayant finalement engagé l'examen de sa demande, se soit prononcée sur celle-ci ;

6. Considérant, en premier lieu, que les dispositions contestées du paragraphe 5 de l'instruction du 23 avril 2013 prescrivent à leurs destinataires de remettre à tous les demandeurs d'asile placés en " procédure Dublin " un document dit " convocation Dublin " dont le modèle-type figure en annexe de cette instruction ; qu'il résulte de l'instruction que la présentation de ce document aux services de Pôle Emploi suffit à ce que son détenteur se voie ouvrir le bénéfice de l'allocation temporaire d'attente, conformément aux exigences découlant du droit de l'Union rappelées ci-dessus ; que si le modèle type qui figure en annexe de l'instruction litigieuse indique que " le présent document ne vaut pas autorisation de séjour ", cette mention, qui n'est au demeurant pas erronée en droit, ne saurait faire obstacle ni au droit des intéressés de rester en France jusque, le cas échéant, à leur transfert effectif dans l'Etat requis par la France ni au bénéfice de l'allocation temporaire d'attente qui y est attaché ; en second lieu, que les dispositions contestées du paragraphe 8 de l'instruction du 23 avril 2013 prescrivent à leurs destinataires de communiquer aux services de Pôle Emploi, qui est en charge de la gestion de l'allocation temporaire d'attente, la liste des personnes qui ont été déclarées " en fuite " au sens du règlement du 18 février 2003 ; que si l'article 16 de la directive du 27 janvier 2003 prévoit que le bénéfice des conditions minimales d'accueil peut être interrompu dans pareille hypothèse, une telle interruption ne saurait intervenir, en l'absence de dispositions nationales prises pour la transposition de cet article, sans porter atteinte aux droits que les personnes intéressées tiennent des dispositions précises et inconditionnelles de l'article 7 de la directive du 1er décembre 2005 ; que, dans ces conditions, ces dispositions de l'instruction litigieuse qui ont pour seule finalité de permettre l'actualisation des informations détenues par Pôle Emploi, n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d'entraîner la suspension du bénéfice de l'allocation temporaire d'attente ; qu'il suit de là que la situation issue de l'application de l'instruction du 23 avril 2013, qui vise au complet respect des droits auxquels peuvent prétendre les demandeurs d'asile placés en " procédure Dublin " et ne saurait y porter une quelconque atteinte, ne fait pas apparaître de situation d'urgence de nature à justifier l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'intérieur ni d'examiner le caractère sérieux des moyens critiquant la légalité de l'instruction litigieuse, que la requête de la Cimade et du Groupe d'information et de soutien des immigrés ne peut qu'être rejetée ; que, par voie de conséquence, les conclusions de ces associations tendant à l'application de l'article L. 761-1 de ce code doivent également être rejetées ;


O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de la Cimade et du Groupe d'information et de soutien des immigrés est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Cimade, au Groupe d'information et de soutien aux immigrés et au ministre de l'intérieur.