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Ariane Web: Conseil d'État 351986, lecture du 28 juin 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:351986.20130628

Décision n° 351986
28 juin 2013
Conseil d'État

N° 351986
ECLI:FR:CESSR:2013:351986.20130628
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Eric Aubry, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du vendredi 28 juin 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°, sous le n° 351986, la requête, enregistrée le 17 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'association trinationale de protection nucléaire (ATPN), dont le siège est Murbacherstrasse, 34 à Bâle (4056), Suisse, M. H...C..., demeurant ..., la Sudgetreide GMBH et CO KG, dont le siège est Mühlenstrasse 35 à Weisweil (79367), Allemagne, M. E...B..., demeurant..., M. D...J..., demeurant..., M. G...A..., demeurant au..., et Mlle I...F..., demeurant ...; l'association trinationale de protection nucléaire et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par l'Autorité de sûreté nucléaire sur leur demande tendant à obtenir la suspension immédiate et complète du fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité de sûreté nucléaire de prononcer la suspension immédiate et complète du fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité de sûreté nucléaire et de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu 2°, sous les nos 358080, 358094, 358095, les ordonnances nos 1104450,1104449, 1104447 en date du 19 mars 2012, enregistrées au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 29 mars 2012, par lesquelles le président du tribunal administratif de Strasbourg a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 341-2 du code de justice administrative, les requêtes de l'association trinationale de protection nucléaire (ATPN), de M.C..., de la Sudgetreide GMBH et CO KG, de M.B..., de M. J..., de M. A...et de Mme F...;

Vu les ordonnances en date du 5 septembre 2011, enregistrées au greffe du tribunal administratif de Strasbourg le 7 septembre 2011, par lesquelles le président du tribunal administratif de Paris a transmis ces requêtes au tribunal administratif de Strasbourg, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative ;

Vu les requêtes, enregistrées au greffe du tribunal administratif de Paris le 17 août 2011, présentées pour l'ATPN, dont le siège est Murbacherstrasse, 34 à Bâle (4056), Suisse, M.C..., demeurant ..., la Sudgetreide GMBH et CO KG, dont le siège est Mühlenstrasse 35 à Weisweil (79367), Allemagne, M. B..., demeurant..., M.J..., demeurant..., M.A..., demeurant au..., et MmeF..., demeurant ...; l'ATPN et autres demandent :

1°) d'annuler les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par les ministres chargés de l'économie, de l'écologie et de l'industrie sur leur demande tendant à obtenir la suspension immédiate et complète du fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim ;

2°) d'enjoindre aux ministres chargés de l'économie, de l'écologie et de l'industrie de prononcer la suspension immédiate et complète du fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, dans chaque affaire, de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


....................................................................................






Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention pour la protection du Rhin, faite à Berne le 12 avril 1999 ;

Vu la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 ;

Vu la directive 2006/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le décret n° 2010-1255 du 22 octobre 2010 ;

Vu le décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Aubry, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'association trinationale de protection nucleaire, de M. C..., de la société Sudgetreide GMBH et CO KG, de M.B..., de M.J..., de M. A...et de MmeF..., et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la société EDF;


1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 593-1 du code de l'environnement : " Les installations nucléaires de base énumérées à l'article L. 593-2 sont soumises au régime légal défini par les dispositions du présent chapitre et du chapitre VI du présent titre en raison des risques ou inconvénients qu'elles peuvent présenter pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 593-21 du même code : " S'il apparaît qu'une installation nucléaire de base présente des risques graves pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, le ministre chargé de la sûreté nucléaire peut, par arrêté, prononcer la suspension de son fonctionnement pendant le délai nécessaire à la mise en oeuvre des mesures propres à faire disparaître ces risques graves. Sauf cas d'urgence, l'exploitant est mis à même de présenter ses observations sur la suspension envisagée et l'avis préalable de l'Autorité de sûreté nucléaire est recueilli " ; qu'aux termes de l'article L. 593-22 du même code : " En cas de risques graves et imminents, l'Autorité de sûreté nucléaire suspend, si nécessaire, à titre provisoire et conservatoire, le fonctionnement de l'installation. Elle en informe sans délai le ministre chargé de la sûreté nucléaire " ; qu'aux termes de l'article 34 du décret du 2 novembre 2007 relatif aux installations nucléaires de base et au contrôle, en matière de sûreté nucléaire, du transport de substances radioactives : " I .- Si une installation nucléaire de base présente des risques graves pour les intérêts mentionnés au I de l'article 28 de la loi du 13 juin 2006, l'Autorité de sûreté nucléaire en informe les ministres chargés de la sûreté nucléaire. /Les ministres peuvent, par arrêté, prononcer la suspension, en tout ou en partie, du fonctionnement de l'installation. Sauf en cas d'urgence motivée, l'exploitant est informé du projet de suspension et du délai dans lequel il peut présenter ses observations. Les ministres recueillent l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire en lui fixant le délai pour émettre cet avis. / L'arrêté prononçant la suspension en définit la portée et précise le cas échéant les mesures nécessaires pour la mise en sûreté de l'installation. / L'arrêté assorti de l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire est publié au Journal officiel de la République française et communiqué au préfet et à la commission locale d'information./Il est mis fin à la suspension par arrêté des ministres chargés de la sûreté nucléaire pris sur avis de l'Autorité de sûreté nucléaire constatant la mise en oeuvre des mesures propres à faire disparaître les risques ayant justifié la suspension. L'arrêté mettant fin à la suspension est notifié à l'exploitant et fait l'objet des mesures de publication et de communication prévues à l'alinéa précédent. / II.-En cas de risques graves et imminents, l'Autorité de sûreté nucléaire peut prononcer la suspension, en tout ou en partie, du fonctionnement de l'installation à titre provisoire et pour une durée qui ne peut excéder trois mois. L'Autorité de sûreté nucléaire notifie sa décision à l'exploitant et en informe sans délai les ministres chargés de la sûreté nucléaire, le préfet et la commission locale d'information " ; qu'en vertu du I de l'article L. 596-23 du code de l'environnement, les litiges relatifs aux décisions administratives prises en application des articles L. 593-10 à L. 593-33 du même code sont soumis à un contentieux de pleine juridiction ;

2. Considérant que la requête n° 351986 est dirigée contre la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par l'Autorité de sûreté nucléaire sur la demande qui lui était présentée par les requérants tendant à ce qu'elle informe les ministres chargés de la sûreté nucléaire des risques graves pour les intérêts mentionnés au I de l'article L. 593-1 du code de l'environnement et qu'elle prononce, à titre provisoire, la suspension du fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim dans l'attente d'une décision de ces ministres ; que les requêtes nos 358080, 358094 et 358095, transmises au Conseil d'Etat par ordonnances du président du tribunal administratif de Strasbourg du 19 mars 2012, en raison de leur connexité avec la requête n° 351986, sont dirigées contre les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par les ministres chargés de l'économie, de l'écologie et de l'industrie sur les demandes de suspension immédiate et complète du fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim formées par les requérants ; que ces requêtes présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Considérant que l'association trinationale de protection nucléaire (ATPN) et les autres requérants soutiennent que les articles L. 593-7 à L. 593-11 du code de l'environnement méconnaissent les droits et libertés garantis par les articles 1er, 3, 5 et 6 de la Charte de l'environnement ;

4. Considérant, d'une part, que les dispositions des articles L. 593-7 à L 593-11 du code de l'environnement sont issues de l'ordonnance du 5 janvier 2012 modifiant les livres Ier et V du code de l'environnement, et modifiant le code de l'environnement, le code de la santé publique et le code de la défense, qui, à la date de la présente décision, n'a pas été ratifiée dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution ; qu'il résulte de cet article qu'une ordonnance prise sur son fondement conserve, aussi longtemps que le Parlement ne l'a pas ratifiée expressément, le caractère d'un acte administratif ; que, par suite, les dispositions contestées présentent le caractère d'acte administratif et ne sont pas au nombre des dispositions législatives mentionnées par l'article 61-1 de la Constitution et l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; qu'ainsi, les articles L. 593-7 à L. 593-11 ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un renvoi au Conseil constitutionnel en application de l'article 61-1 de la Constitution ;

5. Considérant, d'autre part, que l'illégalité d'un acte administratif ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre un acte administratif que si ce dernier a été pris pour son application ou en constitue la base légale ; que le moyen tiré de ce que ces dispositions non encore ratifiées méconnaîtraient les articles précités de la Charte de l'environnement ne peut qu'être écarté dès lors que les décisions attaquées ne sont pas prises pour l'application de ces dispositions, relatives à la procédure d'autorisation des installations nucléaires de base, lesquelles n'en constituent pas davantage la base légale ;

Sur les conditions d'organisation de l'enquête à la barre :

6. Considérant que l'ATPN et les autres requérants soutiennent que les conditions d'organisation de l'enquête à la barre qui s'est tenue le 15 avril 2013 ont méconnu les stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que cette enquête n'a pas été publique et que l'association requérante n'a pu désigner que trois représentants lors de celle-ci ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 623-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit sur la demande des parties, soit d'office, prescrire une enquête sur les faits dont la constatation lui paraît utile à l'instruction de l'affaire " ; qu'aux termes de l'article R. 623-2 du même code : " La décision qui prescrit l'enquête indique les faits sur lesquels elle doit porter et précise, suivant le cas, si elle aura lieu soit devant une formation de jugement ou d'instruction, soit devant un de ses membres qui, le cas échéant, se transportera sur les lieux. Elle est notifiée aux parties " ; qu'aux termes de l'article R. 623-3 du même code : " Les parties sont invitées à présenter leurs témoins aux jour et lieu fixés par la décision prescrivant l'enquête. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que la juridiction peut, lorsque cela lui paraît utile à l'instruction de l'affaire, organiser une enquête en formation d'instruction, qui n'est alors pas soumise à l'obligation de publicité de l'audience ; que si par ailleurs, comme cela avait été précisé dans l'ordonnance informant les parties de l'enquête à la barre, chacune des parties a été invitée à limiter le nombre de ses représentants à trois, une telle circonstance ne saurait être regardée comme méconnaissant les dispositions du code de justice administrative ni, en tout état de cause, les stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité des décisions attaquées :

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la création de la centrale nucléaire de Fessenheim a été autorisée par décret du 3 février 1972 ; que cette installation nucléaire de base, située dans le ressort de la commune de Fessenheim et exploitée par EDF, comporte deux réacteurs d'une puissance électrique de 900 mégawatts chacun qui ont été mis en service respectivement les 31 décembre 1977 et 18 mars 1978 ; que, depuis cette mise en service, le site électronucléaire de Fessenheim a fait l'objet de visites régulières, dans le cadre des réexamens périodiques de la sûreté des installations nucléaires de base, dont le principe, la fréquence et les modalités sont définis aux articles L. 593-18 et suivants du code de l'environnement ; que le réacteur numéro 1 a fait l'objet, à ce titre, d'un réexamen de sûreté au terme duquel l'Autorité de sûreté nucléaire a pris la décision du 4 juillet 2011 qui enjoint à EDF de respecter 40 nouvelles prescriptions visant à assurer la sûreté du réacteur, ainsi qu'un avis, du même jour, qui relève notamment qu'au vu du bilan du troisième réexamen de sûreté du réacteur n° 1 de la centrale nucléaire de Fessenheim, celui-ci est apte à être exploité pour une durée de dix années supplémentaires à compter de ce troisième réexamen, sous réserve de respecter les prescriptions de la décision de l'ASN n° 2011-DC-0231 du 4 juillet 2011 ; que le réacteur numéro 2 a fait également, au titre des mêmes dispositions, l'objet d'une troisième visite, au terme de laquelle l'Autorité de sûreté nucléaire a pris la décision du 23 avril 2013 enjoignant à EDF de respecter 21 nouvelles prescriptions concernant le réacteur n° 2, et 4 nouvelles prescriptions concernant les réacteurs n°1 et 2 ;

9. Considérant qu'outre les réexamens périodiques de sûreté mentionnés ci-dessus, l'Autorité de sûreté nucléaire a prescrit, à la suite de l'accident survenu à la centrale de Fukushima (Japon) le 11 mars 2011, par une décision du 5 mai 2011, la réalisation par EDF d'une évaluation complémentaire de la sûreté de l'ensemble des réacteurs nucléaires situés en France ; que cette évaluation s'inscrit dans le double cadre de l'organisation des " tests de résistance " demandés par le Conseil européen les 24 et 25 mars 2011 et de l'audit de la sûreté des installations nucléaires françaises demandé à l'Autorité de sûreté nucléaire par le Premier ministre ; que cette évaluation complémentaire, qui a notamment porté sur le site électro-nucléaire de Fessenheim, a donné lieu à un rapport et à un avis de l'Autorité de sûreté nucléaire en date du 3 janvier 2012, desquels il ressort que l'Autorité a estimé que les installations examinées présentaient un niveau de sûreté suffisant pour qu'elle ne demande l'arrêt immédiat d'aucune d'entre elles ; qu'à la suite de ce rapport, EDF a constitué une " force d'action rapide nucléaire " destinée à intervenir immédiatement sur le site d'un accident nucléaire ; que, s'agissant en particulier de la centrale de Fessenheim, l'Autorité de sûreté nucléaire a conduit, dans le cadre du " retour d'expérience " de l'accident de Fukushima, une inspection spécifique, qui s'est déroulée du 27 au 29 septembre 2011, afin de contrôler les matériels et l'organisation de l'exploitation ; qu'à la suite de cette inspection, qui a notamment porté sur l'alimentation électrique de la centrale, les systèmes de refroidissement, la gestion opérationnelle des situations accidentelles, les plans d'urgence interne, en particulier en cas de séisme ou d'inondations, l'Autorité de sûreté nucléaire a estimé que " les contrôles réalisés par les inspecteurs montrent globalement une bonne maitrise et une bonne conformité des installations par rapport aux thèmes abordés " ;

10. Considérant qu'en dépit des diligences de l'Autorité de sûreté nucléaire et d'EDF décrites ci-dessus et qu'ils ne contestent pas, les requérants soutiennent que le fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim présente des risques graves et imminents pour la sécurité, la santé et la salubrité publique ainsi que pour la protection de la nature et l'environnement ; qu'à ce titre, ils contestent, notamment à la lumière des enseignements tirés de l'accident de Fukushima, tant les méthodes d'évaluation des risques que le caractère suffisant des prescriptions dont l'Autorité de sûreté nucléaire a ordonné la mise en oeuvre à l'exploitant du site ; qu'ils invoquent, en particulier, le risque sismique propre à la zone d'implantation du site, le risque d'inondation lié à la proximité du Rhin et du grand canal d'Alsace, le nombre élevé depuis 2004 des incidents survenus sur le site ainsi que l'illégalité des normes de rejet d'effluents liquides et gazeux applicables à la centrale de Fessenheim ; qu'ils déduisent de l'ensemble de ces risques qu'en refusant de faire droit à leur demande de suspension du fonctionnement de l'installation litigieuse, les ministres chargés de la sûreté nucléaire et l'Autorité de sûreté nucléaire ont respectivement méconnu les articles L. 593-21 et L. 593-22 du code de l'environnement ;

En ce qui concerne les méthodes d'évaluation et de prise en compte des risques :

11. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction et notamment des échanges lors de l'enquête menée le 15 avril 2013 par la 6ème sous section de la section du contentieux siégeant en formation d'instruction, en application de l'article R. 623-1 du code de justice administrative, que les évaluations menées conjointement par l'Autorité de sûreté nucléaire et EDF, tant dans le cadre du réexamen de la sûreté de l'installation que dans celui de l'évaluation complémentaire de sûreté, ont consisté à tester le comportement des installations nucléaires de base face à des situations de crise afin de définir les dispositifs nécessaires pour que les fonctions fondamentales de ces installations restent assurées en cas de survenance d'un accident extrême ; que, contrairement à ce qui est soutenu, des situations extrêmes ont été envisagées et des hypothèses de cumul de risques, notamment de séisme et d'inondation concomitants, testées ;

12. Considérant, d'autre part, que si, à la différence des prescriptions que l'Autorité de sûreté nucléaire peut édicter, sur le fondement de l'article L. 592-19 du code de l'environnement, afin de compléter les dispositions des décrets et arrêtés pris en matière de sûreté nucléaire, les " règles fondamentales de sûreté " que cette Autorité élabore, et qui sont progressivement remplacées par des " guides de l'Autorité de sûreté nucléaire ", sont dépourvues de caractère impératif et s'il est loisible à l'exploitant de s'en écarter, cette circonstance ne saurait, à elle seule, permettre de caractériser l'existence d'un risque grave et immédiat dès lors que l'exploitant doit alors adopter des mesures d'effet équivalent assurant le respect des exigences de sûreté ; que la circonstance que l'exploitant ne respecterait pas les obligations qui lui sont imposées ne saurait entacher la légalité de ces obligations ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les méthodes d'évaluation et de prise en compte des risques ne garantiraient pas de manière suffisante la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne le risque sismique :

14. Considérant que les requérants soutiennent que le risque sismique aurait été sous-évalué ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que, contrairement à ce qui est soutenu, le risque sismique susceptible d'affecter le site de Fessenheim a été défini, en prenant en compte les autres risques potentiels, au vu d'une étude du contexte géologique local, qui a conduit à ce que la zone soit classée en zone de sismicité modérée dans le zonage parasismique français délimité par le décret du 22 octobre 2010, et pris en compte dans l'évaluation de la sûreté de l'installation litigieuse ; que si les requérants font valoir que le risque sismique maximal aurait été sous-estimé et, en outre, insuffisamment pris en compte par la règle fondamentale de sûreté 2001-01 relative à la détermination du risque sismique pour les installations nucléaires de base élaborée par l'Autorité de sûreté nucléaire, il n'apparaît pas que la référence par l'Autorité de sûreté nucléaire, au séisme survenu à Bâle en 1356 ne serait pas pertinente pour parer aux éventuelles conséquences d'un tel sinistre alors que, par ailleurs, les contrôles réalisés ont permis de s'assurer du fonctionnement normal de l'installation dans l'hypothèse de la survenance d'un séisme libérant une énergie cinq fois supérieure à celle du séisme de Bâle ; que le moyen mentionné ci-dessus doit être écarté ;



En ce qui concerne le risque d'inondation :

15. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la configuration du site, dont le refroidissement est assuré par le grand canal d'Alsace, ne permettrait pas de préserver la centrale des risques de crue du vieux Rhin ; que le risque d'inondation lié à d'autres facteurs tels que la rupture de la digue du grand canal d'Alsace, la survenance de pluies de forte intensité, la rupture de capacité de stockage d'eau ou encore la remontée de la nappe phréatique a été pris en compte dans les différentes hypothèses testées ; qu'il n'en résulte pas davantage que l'évaluation de ces risques, compte tenu notamment des " retours d'expérience " à la suite de l'inondation de la centrale du Blayais survenue en 1999, aurait été insuffisante, ni, en tout état de cause, que la règle fondamentale de sûreté 1.2° de 1984 ne permettrait pas de parer à ces risques ;

En ce qui concerne le caractère suffisant des mesures prises pour faire face à des risques particuliers :

16. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les différents examens du site de Fessenheim ont conduit à diagnostiquer les points de la centrale justifiant, en prenant en compte les risques cumulés auxquels elle est exposée, un renforcement des mesures de précaution, en particulier s'agissant de la robustesse de ces installations et de la tenue de son réseau électrique ; qu'un certain nombre de mesures ont été prescrites soit dans le cadre des examens et contrôles menés au titre de l'évaluation de sûreté, soit dans le cadre des inspections ciblées réalisées au titre de l'évaluation complémentaire de sûreté qui a donné lieu à la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire du 26 juin 2012 ; que cette dernière décision comporte, outre les prescriptions générales valant pour l'ensemble des réacteurs situés en France, des prescriptions spécifiques au site de Fessenheim et portant sur la digue du grand canal d'Alsace et sur le bâtiment de stockage du combustible, afin d'éviter, dans toute la mesure du possible, le percement de la cuve du réacteur en cas de fusion ; qu'à ces différents titres ont notamment été prescrits, afin de garantir le fonctionnement normal des installations en cas de survenance d'un ou plusieurs des risques envisagés, la mise en place d'un talus de protection de la plate forme, le rehaussement des matériels électriques, l'ajout d'un groupe électrogène supplémentaire, la construction de murets de protection ainsi que le renforcement de la tenue du radier, qui constitue la structure de soutènement des réacteurs de la centrale, grâce à l'augmentation de son épaisseur de 1,5 mètre à 2 mètres ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces mesures seraient insuffisantes ;

En ce qui concerne le risque que révélerait le nombre des incidents constatés depuis 2004 :

17. Considérant que s'il n'est pas contesté que la centrale de Fessenheim a connu, depuis 2004, un nombre d'incidents plus élevé que celui relevé en moyenne dans les installations de même type, il résulte de l'instruction, d'une part, que les incidents déclarés correspondent à des anomalies et à des incidents mineurs dans la classification internationale des évènements nucléaires (classes 0 et 1 sur l'échelle INES, qui comprend 7 niveaux) et, d'autre part, que les mesures prises à compter de 2009 afin de renforcer l'encadrement de l'exploitation de la centrale ont ramené le nombre d'incidents à un niveau comparable à la moyenne ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la fréquence et la gravité des incidents révéleraient par elles mêmes l'existence de risques graves et imminents pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 ne peut être qu'écarté ;
En ce qui concerne l'illégalité des normes de rejet :

18. Considérant que la circonstance alléguée par les requérants selon laquelle les arrêtés préfectoraux de 1972 et 1974 autorisant la prise d'eau et le rejet par la centrale ainsi que les arrêtés ministériels du 17 novembre 1977 encadrant les rejets d'effluents radioactifs liquides et gazeux seraient devenus illégaux n'est pas, par elle-même, de nature à révéler l'existence de risques graves et imminents au sens de l'article L. 593-22 dès lors que , d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que les rejets effectivement constatés, dont il n'est pas contesté qu'ils sont nettement inferieurs aux niveaux autorisés par les arrêtés litigieux, affecteraient gravement et de manière imminente les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 et que, d'autre part, les contrôles réalisés par l'Autorité de sûreté nucléaire et les actions prises par EDF pour mettre en oeuvre les meilleures techniques prennent en compte les principes posés au II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ; que si les requérants font valoir que les rejets méconnaissent la directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, la directive du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 concernant la qualité des eaux douces ainsi que la convention pour la protection du Rhin signée à Berne le 12 avril 1999, cette circonstance ne saurait, en tout état de cause, établir l'existence d'un risque au sens de l'article L. 593-22 ; que, dès lors, le moyen tiré de l'illégalité des normes de rejet ne peut qu'être écarté ;

19. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 18 que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la poursuite de l'exploitation de la centrale de Fessenheim présenterait des risques graves et imminents au regard des intérêts visés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement ;

En ce qui concerne la violation de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

20. Considérant que, la poursuite de l'exploitation de la centrale de Fessenheim ne présentant pas, ainsi qu'il vient d'être dit, de risques graves et imminents au regard des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit à la vie ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

21. Considérant qu'il suit de là que, compte tenu des visites et contrôles effectués sur le site de Fessenheim depuis 2009, des conclusions qui ont été tirées s'agissant en particulier des nouvelles prescriptions imposées à son exploitation, de la nature et de l'état de réalisation de ces obligations prescrites par l'Autorité de sûreté nucléaire à EDF, qu'il s'agisse des mesures déjà exécutées comme de celles en cours de réalisation, les requérants ne sont pas fondés, en l'absence de risques graves et imminents, causés par le fonctionnement de la centrale de Fessenheim, à demander l'annulation du refus opposé par l'Autorité de sûreté nucléaire à leur demande ; qu'il en va de même, pour les motifs énoncés ci-dessus, en l'absence de risque grave, du refus de prendre une mesure de suspension opposé par les ministres chargés de la sûreté nucléaire ;

22. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par l'Autorité de sûreté nucléaire et sans qu'il soit besoin d'ordonner les mesures d'instruction supplémentaires sollicitées, que les conclusions à fins d'annulation de l'association trinationale de protection nucléaire et autres ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

23. Considérant que la présente décision, qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'appelle aucune mesure d'exécution ; que les conclusions susvisées ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

24. Considérant que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions des requérants présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre solidairement à la charge des requérants la somme de 5 000 euros à verser à la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association trinationale de protection nucléaire et autres.

Article 2 : Les requêtes de l'association trinationale de protection nucléaire et autres sont rejetées.

Article 3: L'association requérante et les autres requérants verseront solidairement à EDF une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4: La présente décision sera notifiée à l'association trinationale de protection nucléaire, à l'Autorité de sûreté nucléaire, à la société EDF, à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, au ministre de l'économie et des finances et au ministre du redressement productif. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Nicolaÿ-de Lanouvelle-Hannotin, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


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