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Ariane Web: Conseil d'État 368081, lecture du 17 juillet 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:368081.20130717

Décision n° 368081
17 juillet 2013
Conseil d'État

N° 368081
ECLI:FR:CESSR:2013:368081.20130717
Inédit au recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public


Lecture du mercredi 17 juillet 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu l'ordonnance n° 1301278 du 23 avril 2013, enregistrée le 25 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le vice-président de section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de M. A...tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la région Ile-de-France a implicitement rejeté sa demande tendant à obtenir une attestation d'élection de domicile en vue de déposer une demande d'aide juridictionnelle, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article
L. 264-2 du code de l'action sociale et des familles ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 janvier 2013 au greffe du tribunal administratif de Paris, présenté par M. B...A..., en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;




1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique réserve l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle aux personnes physiques de nationalité française, aux ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ainsi qu'aux personnes de nationalité étrangère résidant habituellement et régulièrement en France ; que cet article prévoit toutefois que l'aide juridictionnelle est accordée sans condition de résidence aux étrangers lorsqu'ils sont mineurs, témoins assistés, inculpés, prévenus, accusés, condamnés ou parties civiles, lorsqu'ils bénéficient d'une ordonnance de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil, lorsqu'ils font l'objet de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou lorsqu'ils font l'objet de procédures prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'article 3 prévoit également que l'aide juridictionnelle peut être accordée à titre exceptionnel aux personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière " lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d'intérêt au regard de l'objet du litige ou des charges prévisibles du procès " ; que l'article 13 de la même loi dispose que : " (...) S'il n'a pas de domicile, le demandeur peut adresser sa demande au bureau d'aide juridictionnelle établi au siège de la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve l'organisme qui lui a délivré une attestation d'élection de domicile dans les conditions prévues au chapitre IV du titre VI du livre II du code de l'action sociale et des familles. Pour les besoins de la procédure d'aide juridictionnelle, le demandeur est réputé domicilié... " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 264-1 du code de l'action sociale et des familles : " Pour prétendre (...) à l'aide juridique, les personnes sans domicile stable doivent élire domicile soit auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale, soit auprès d'un organisme agréé à cet effet " ; qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 264-2 du même code : " L'attestation d'élection de domicile ne peut être délivrée à la personne non ressortissante d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, qui n'est pas en possession d'un des titres de séjour prévus au titre Ier du livre III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " ;

3. Considérant que le troisième alinéa de l'article L. 264-2 du code de l'action sociale et des familles est applicable au litige dont est saisi le tribunal administratif de Paris ; que les dispositions de cet alinéa n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce que ces dispositions, en faisant obstacle à la délivrance aux ressortissants étrangers en situation irrégulière sur le territoire français de l'attestation d'élection de domicile exigée par l'article L. 264-1 du même code pour permettre aux personnes sans domicile stable de prétendre à l'aide juridique, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du troisième alinéa de l'article L. 264-2 du code de l'action sociale et des familles est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la ministre des affaires sociales et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et au tribunal administratif de Paris.