Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 351065, lecture du 4 octobre 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:351065.20131004

Décision n° 351065
4 octobre 2013
Conseil d'État

N° 351065
ECLI:FR:CESSR:2013:351065.20131004
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème et 8ème sous-sections réunies
M. Romain Victor, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP LEVIS, avocats


Lecture du vendredi 4 octobre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juillet et 19 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A... B..., demeurant ... ; M.
B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10PA01106 du 25 mai 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur le recours du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a annulé le jugement n° 0520406 du 12 novembre 2009 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a déchargé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 1998, ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le recours du ministre ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention franco-britannique tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu du 22 mai 1968 ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Romain Victor, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de M. A...B...;



1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. B...s'est vu attribuer des options de souscriptions d'actions de la société en commandite par actions (SCA) Worms et Cie, dont il était alors le gérant, dans le cadre de deux plans en date des 17 juin 1993 et 22 août 1996 ; qu'à l'occasion de l'offre publique d'achat dont cette société a fait l'objet, M.B..., devenu président du conseil de surveillance non salarié de la nouvelle SA Worms et Cie, a renoncé à exercer ses options de souscription d'actions moyennant le versement d'une indemnité ; que, le 29 avril 1998, M.B..., devenu résident fiscal britannique, a perçu cette indemnité qu'il n'a pas déclarée à l'administration fiscale française ; qu'à la suite d'un contrôle sur pièces de sa déclaration de revenus pour l'année 1998, l'administration a imposé cette indemnité dans la catégorie des traitements et salaires ; que M. B...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 25 mai 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 12 novembre 2009 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a déchargé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes auxquelles il avait été assujetti au titre de l'année 1998 en conséquence de ce redressement ;

2. Considérant que l'article 80 bis du code général des impôts dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que l'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option accordée dans les conditions prévues aux articles 208-1 à 208-8-2 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et le prix de souscription ou d'achat constitue, pour le bénéficiaire, un complément de salaire soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires ; qu'en application de l'article 62 du même code, les rémunérations versées aux gérants des sociétés en commandite par actions sont soumises à l'impôt sur le revenu lorsqu'elles viennent en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés, leur montant étant déterminé selon les règles prévues en matière de traitements et salaires ;

3. Considérant que les options de souscription d'actions accordées dans les conditions prévues aux articles 208-1 à 208-8-2 de la loi du 24 juillet 1966, dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 225-177 et suivants du code de commerce, visent à récompenser et à fidéliser leurs bénéficiaires, qu'ils soient mandataires sociaux ou salariés, en leur offrant la perspective à long terme de divers gains à réaliser lors de la souscription ou l'achat, puis la cession, d'actions ; que l'exercice du droit d'option entraîne, quelle que soit la catégorie dont relèvent les revenus de son bénéficiaire, une imposition dans la catégorie des traitements et salaires par application de l'article 80 bis du même code ; que lorsque le bénéficiaire de l'option consent à ne pas exercer ce droit, l'indemnité qui lui est versée en contrepartie de la renonciation à cet avantage potentiel n'a le caractère ni d'une opération en capital, ni de la réparation d'un préjudice, mais relève du choix de recevoir immédiatement un avantage plutôt que de conserver la perspective d'un gain potentiel ; qu'en l'absence de disposition particulière régissant sa taxation, une telle indemnité doit être regardée, lorsqu'elle est versée à un mandataire social, comme un complément de rémunération attribué à raison des fonctions exercées au titre du mandat social, alors même qu'elles ne correspondent pas à un travail salarié ; que, dès lors, en jugeant, après avoir relevé que M. B...avait la qualité de gérant de la SCA Worms et Cie à l'époque où les options de souscription des titres Worms et Cie lui ont été attribués, que l'indemnité versée à celui-ci en contrepartie de sa renonciation à lever ces options ne représentait pas un élément de son patrimoine et devait être assimilée, même en l'absence de contrat de travail, à un complément de rémunération imposable dans la catégorie des traitements et salaires, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

4. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article 22 de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 : " Les éléments de revenu bénéficiant à un résident d'un Etat contractant, d'où qu'ils proviennent, qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente convention ne sont imposables que dans cet Etat " ; qu'aux termes de l'article 15 de la même convention : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 16 (...), les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat (...) " ; que ces stipulations doivent être comprises conformément au principe d'interprétation posé au 2 l'article 2 aux termes duquel : " Pour l'application des dispositions de la présente Convention par un Etat contractant, toute expression qui n'est pas autrement définie a le sens qui lui est attribué par la législation dudit Etat régissant les impôts faisant l'objet de la Convention, à moins que le contexte exige une interprétation différente " ;

5. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, l'indemnité perçue en 1998 par M.B..., qui constitue un complément de rémunération attribué à raison des fonctions exercées au titre du mandat social qu'il détenait dans la SCA Worms et Cie, ne peut être regardée, alors même qu'elle est traitée par la loi fiscale interne comme un élément de rémunération relevant de la catégorie des traitements et salaires, comme une rémunération reçue " au titre d'un emploi salarié " au sens de l'article 15 de la convention précitée ; qu'en jugeant le contraire, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant que l'indemnité litigieuse, versée à M. B...en contrepartie de sa renonciation à lever des options de souscription d'actions qui lui ont été attribuées en considération de la qualité de gérant de la SCA Worms et Cie qui était la sienne à la date de l'attribution, ne peut être regardée ni, ainsi qu'il vient d'être dit, comme une rémunération reçue au titre d'un emploi salarié au sens de l'article 15 de la convention fiscale franco-britannique, ni comme une rémunération entrant dans le champ de l'article 16 de la même convention, qui ne trouve à s'appliquer qu'aux " tantièmes, jetons de présence et autres rétributions similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit en sa qualité de membre du conseil d'administration ou de surveillance d'une société résidente de l'autre Etat contractant " ; qu'en application de l'article 22 de la convention fiscale, cette indemnité, qui n'était traitée dans aucun autre article de la convention, n'était, eu égard à la circonstance que M. B... était résident fiscal du Royaume-Uni à la date du fait générateur de l'imposition, imposable que dans cet Etat ; que, par suite, le ministre n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de l'imposition litigieuse ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 25 mai 2011 est annulé.
Article 2 : Le recours présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat devant la cour administrative d'appel de Paris est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à M. B...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'économie et des finances.


Voir aussi