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Ariane Web: Conseil d'État 372391, lecture du 3 octobre 2013, ECLI:FR:CEORD:2013:372391.20131003

Décision n° 372391
3 octobre 2013
Conseil d'État

N° 372391
ECLI:FR:CEORD:2013:372391.20131003
Inédit au recueil Lebon

SPINOSI, avocats


Lecture du jeudi 3 octobre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 25 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. A...B...et Mme C...B..., élisant domicile ...; les requérants demandent au juge des référés du Conseil d' Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance no 1303865, 1303866 du 9 septembre 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leurs demandes tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Moselle de leur indiquer le ou les centres d'hébergement et de réinsertion sociale susceptibles de les accueillir dans un délai de 24 heures, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

2°) d'enjoindre, au besoin sous astreinte, au préfet de la Moselle, de leur indiquer dans un délai de 48 heures à compter de l'ordonnance à intervenir, un lieu d'hébergement susceptible de les accueillir, ainsi que leur deux enfants ;

3°) de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;



ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'ils sont dans une situation d'extrême précarité en ce qu'ils n'ont ni accès à un dispositif d'hébergement, ni à aucune allocation ;
- la carence de l'autorité administrative porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile qui impose que les demandeurs d'asile bénéficient de conditions matérielles d'accueil décentes ;
- l'ordonnance litigieuse est entachée de plusieurs erreurs de droit en ce que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a méconnu les dispositions de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à l'accueil des demandeurs d'asile, l'article 3 et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;


Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu l'intervention, enregistrée le 27 septembre 2013, présentée par la Cimade, dont le siège est situé 64, rue Clisson à Paris (75013), représentée par son président, qui conclut aux mêmes fins que les requêtes par les mêmes moyens ; elle soutient en outre qu'elle a intérêt à intervenir ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;



1. Considérant que la CIMADE a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ; qu'en vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée ; qu'à cet égard, il appartient au juge d'appel de prendre en considération les éléments recueillis par le juge du premier degré dans le cadre de la procédure écrite et orale qu'il a diligentée ;

3. Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; qu'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande ; que la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi, afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté ; que le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente ; qu'il n'est possible au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'accueillir une requête que si les circonstances de l'espèce font apparaître une méconnaissance caractérisée par l'administration des obligations qui lui incombent et s'il en résulte pour l'intéressé des conséquences graves, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à l'accueil des demandeurs d'asile : " Aux fins de la présente directive, on entend par : ... "Conditions matérielles d'accueil" : les conditions d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ainsi qu'une allocation journalière... " ; qu'aux termes de son article 13 : "...2. Les Etats membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs. ...5. Les conditions d'accueil matérielles peuvent être fournies en nature ou sous la forme d'allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules. Lorsque les Etats membres remplissent les conditions matérielles d'accueil sous forme d'allocations financières ou de bons, l'importance de ces derniers est fixée conformément aux principes définis dans le présent article. " ; qu'aux termes de l'article 14 : " Pour les conditions matérielles d'accueil, les Etats membres peuvent, à titre exceptionnel, fixer des modalités différentes de celles qui sont prévues dans le présent article, pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, lorsque : - une première évaluation des besoins spécifiques du demandeur est requise, - les conditions matérielles d'accueil prévues dans le présent article n'existent pas dans une certaine zone géographique, - les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées, - le demandeur d'asile se trouve en rétention ou à un poste frontière, dans un local qu'il ne peut quitter. Ces différentes conditions couvrent, en tout état de cause, les besoins fondamentaux. " ;

5. Considérant que M. et MmeB..., de nationalité albanaise, sont entrés en France le 18 mai 2013 accompagnés de leurs deux enfants, nés le 13 octobre 2004 et le 3 septembre 2007, pour y demander l'asile ; que le préfet de Moselle leur a délivré un récépissé constatant le dépôt d'une demande d'asile valant autorisation de séjour le 9 août 2013 ; que M. et Mme B...sont pris en charge avec leur deux enfants dans le dispositif d'urgence, notamment par le " 115 " - service téléphonique de coordination de l'hébergement d'urgence - ; qu'ils sont inscrits sur la liste d'attente du centre d'accueil des demandeurs d'asile ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces produites devant le juge des référés de première instance que l'administration a pris les dispositions qu'elle était en mesure d'assurer pour répondre le mieux possible au très fort accroissement des demandes d'asile en Lorraine et, en particulier, en Moselle ; que la situation particulière des requérants a été examinée lorsqu'ils ont été reçus en préfecture et de premières mesures ont été prises à leur égard ; que, dans ces conditions, le dossier ne fait pas ressortir, ainsi que l'a jugé à bon droit le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, de méconnaissance grave et manifeste des obligations qu'impose le respect du droit d'asile ; qu'il est en conséquence manifeste que l'appel de M. et de Mme B...ne peut être accueilli ; qu'ainsi, et sans qu'il y ait lieu d'admettre les requérants à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, la requête de M. et Mme B...doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative ;



O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Cimade est admise.
Article 2 : La requête de M. et Mme B...est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et à Mme C...B....
Copie de la présente ordonnance sera transmise pour information au ministre de l'intérieur.