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Ariane Web: Conseil d'État 361118, lecture du 25 novembre 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:361118.20131125

Décision n° 361118
25 novembre 2013
Conseil d'État

N° 361118
ECLI:FR:CESSR:2013:361118.20131125
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du lundi 25 novembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi, enregistré le 16 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'économie et des finances ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 10PA04326 du 9 mai 2012 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il a condamné l'Etat à verser aux sociétés France Télécom et Orange France respectivement les sommes de 1 093 828,04 euros et 243 410,58 euros assorties des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2008, capitalisés à compter du 2 avril 2009 ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code des postes et des communications électroniques ;

Vu le livre des procédures fiscales, notamment son article L. 83 ;

Vu la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 ;

Vu la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 ;

Vu la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 ;

Vu la décision n° 2000-441 DC du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2000 ;

Vu la décision n° 2001-457 DC du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001 ;

Vu le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, Maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de France Télécom et de la société Orange France ;




1. Considérant qu'en vertu de l'article L. 83 du livre des procédures fiscales, les administrations de l'Etat, des départements et des communes, les entreprises concédées ou contrôlées par l'Etat, les départements et les communes, ainsi que les établissements ou organismes de toute nature soumis au contrôle de l'autorité administrative, doivent communiquer à l'administration, sur sa demande, les documents de service qu'ils détiennent sans pouvoir opposer le secret professionnel, y compris, ainsi qu'il a été précisé par l'article 62 de la loi du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001, les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications dans le cadre de l'article L. 32-3-1 du code des postes et télécommunications, devenu l'article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques ;

2. Considérant que, selon l'article L. 32-3-1 du code des postes et télécommunications, devenu l'article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, les " opérateurs de télécommunications (...) sont tenus d'effacer ou de rendre anonyme toute donnée relative à une communication dès que celle-ci est achevée, sous réserve des dispositions des II, III et IV. / II. - Pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, et dans le seul but de permettre, en tant que de besoin, la mise à disposition de l'autorité judiciaire d'informations, il peut être différé pour une durée maximale d'un an aux opérations tendant à effacer ou à rendre anonymes certaines catégories de données techniques. Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, détermine, dans les limites fixées par le IV, ces catégories de données et la durée de leur conservation, selon l'activité des opérateurs et la nature des communications ainsi que les modalités de compensation, le cas échéant, des surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées à ce titre, à la demande de l'Etat, par les opérateurs. / (...) / IV. - Les données conservées et traitées dans les conditions définies aux II et III portent exclusivement sur l'identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs et sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers. / Elles ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications. / (...) " ;

3. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société France Télécom et l'Etat ont signé, le 9 février 2000, une convention relative aux prestations rendues par France Télécom à la direction générale des impôts dans le cadre du droit de communication prévu aux articles L. 81, L. 83 et L. 85 du livre des procédures fiscales ; que cette convention a été conclue pour une durée d'un an à compter du 1er janvier 2000 tout en prévoyant qu'elle était tacitement renouvelable deux fois ; qu'un avenant, signé le 10 janvier 2001, a transféré à la société France Télécom Mobile, devenue par la suite la société Orange France, les droits et obligations résultant de la convention du 9 février 2000 et liées aux activités de téléphonie mobile de France Télécom ; qu'après l'expiration de cette convention, le 31 décembre 2002, l'administration fiscale, tout en continuant de solliciter les sociétés France Télécom et Orange France dans le cadre de l'exercice de son droit de communication, a refusé de verser une compensation financière en contrepartie ; que, le 26 mars 2008, les sociétés France Télécom et Orange France ont demandé à l'Etat d'être indemnisées au titre des prestations accomplies à la demande de l'administration fiscale pour les années 2002 à 2007 ; qu'après avoir envisagé un règlement transactionnel du litige, le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat a décidé, le 5 novembre 2008, de rejeter cette demande ;

4. Considérant que les sociétés France Télécom et Orange France ont saisi le tribunal administratif de Paris de conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser les sommes auxquelles elles prétendent au titre des années 2002 à 2007, lesquelles ont été complétées en cours d'instance par de nouvelles demandes concernant les années 2008 et 2009 ; que, par un jugement du 1er juillet 2010, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, rejeté les demandes indemnitaires des deux sociétés au titre des années 2002 et 2003, au motif que les créances correspondantes étaient prescrites, et celles présentées au titre des années 2008 et 2009, au motif qu'elles étaient irrecevables ; qu'il a, d'autre part, condamné l'Etat à verser aux sociétés France Télécom et Orange France respectivement les sommes de 1 093 828,04 euros et 243 410,58 euros correspondant aux années 2004 à 2007, assorties des intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2008 et de la capitalisation des intérêts à compter du 8 novembre 2009, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; que, par un arrêt du 9 mai 2012, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 1er juillet 2010 pour irrégularité mais a mis à la charge de l'Etat les mêmes indemnités sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de l'Etat pour faute ; que le ministre de l'économie et des finances se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a condamné l'Etat à verser ces indemnités, majorées des intérêts et de la capitalisation des intérêts, aux sociétés France Télécom et Orange France ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

6. Considérant que les sociétés France Télécom et Orange France soutiennent, en réponse au pourvoi formé par le ministre de l'économie et des finances, que les dispositions de l'article L. 83 du livre des procédures fiscales, en ce qu'elles ne prévoient aucune compensation financière à la mise en oeuvre du droit de communication exercé par l'administration fiscale, méconnaissent le droit de propriété et le principe d'égalité devant les charges publiques tels que garantis respectivement par les articles 2 et 17 et par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

7. Considérant que le droit de communication général conféré par l'article L. 81 du livre des procédures fiscales permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance, dans les conditions précisées par les dispositions du chapitre II du titre II du livre des procédures fiscales, de documents et de renseignements détenus par un très grand nombre de personnes physiques ou morales, afin de pouvoir vérifier la véracité des déclarations des contribuables ; que, dans ce cadre, ainsi qu'il a été dit au point 1, les dispositions de l'article L. 83 mettent en oeuvre le droit de communication auprès des administrations de l'Etat, des départements et des communes, des entreprises concédées ou contrôlées par l'Etat ainsi que des établissements ou organismes de toute nature soumis au contrôle de l'autorité administrative, y compris, à l'égard des données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques ; que ce droit de communication ne s'exerce que sur des documents de service que les personnes destinataires des demandes de l'administration fiscale détiennent du fait de leur activité ;

8. Considérant, d'une part, que l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'interdit pas de faire supporter des charges particulières à certaines catégories de personnes pour un motif d'intérêt général, dès lors qu'il n'en résulte pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que les sujétions résultant, pour les personnes visées par la loi, de l'exercice du droit de communication ne portent que sur l'accès à des documents ou informations déterminés, détenus par ces personnes dans le cadre de leur activité, et ne se traduisent que par des charges d'une portée limitée ; qu'elles répondent à l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale ; qu'alors même que le législateur ne l'a pas assorti d'une contrepartie financière, il ne résulte pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques de l'exercice d'un tel droit de communication par l'administration fiscale ;

9. Considérant, d'autre part, que l'exercice du droit de communication n'emporte aucune privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que si, en vertu de l'article 2 de cette Déclaration, les atteintes portées au droit de propriété doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi, l'exercice du droit de communication, qui se borne à prévoir l'accès de l'administration fiscale à certains documents, ne traduit aucune atteinte au droit de propriété ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 83 du livre des procédures fiscales, modifié notamment par l'article 62 de la loi du 28 décembre 2001, à l'encontre duquel le grief d'inconstitutionnalité a été spécialement rejeté dans les motifs de la décision du Conseil constitutionnel n° 2001-457 DC du 27 décembre 2001, n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que la disposition contestée porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur le pourvoi du ministre de l'économie et des finances :

11. Considérant que, pour juger que l'administration fiscale avait, en s'abstenant, au terme, le 31 décembre 2002, de la convention conclue le 9 février 2000, d'assurer une compensation financière des surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées au titre de l'exercice du droit de communication par les sociétés France Télécom et Orange France, commis une faute de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l'Etat, la cour administrative d'appel de Paris s'est fondée sur ce que le Conseil constitutionnel aurait, dans sa décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, posé un principe de juste rémunération du concours apporté par les opérateurs de réseaux de télécommunications aux activités menées par l'Etat, dans l'intérêt général de la population, dans le cadre de ses missions tendant à la sauvegarde de l'ordre public, que le régime défini à l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques aurait institué, en application de ce principe, un mécanisme de compensation financière concernant les prestations accomplies sur réquisition des autorités judiciaires et que le législateur, s'il n'a pas étendu ce mécanisme de compensation financière aux prestations effectuées par les opérateurs pour répondre aux demandes de l'administration fiscale au titre de l'article L. 83 du livre des procédures fiscales, n'aurait pas pour autant entendu exclure ces prestations du champ de ce supposé principe de juste rémunération ;

12. Mais considérant, d'une part, que, par sa décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution des dispositions législatives qui prévoyaient de mettre à la charge des opérateurs de réseaux de télécommunications le coût des investissements et une partie des charges d'exploitation permettant de réaliser des interceptions de communications justifiées par les nécessités de la sécurité publique, au motif que " le concours ainsi apporté à la sauvegarde de l'ordre public, dans l'intérêt général de la population, est étranger à l'exploitation des réseaux de télécommunications [et] que les dépenses en résultant ne sauraient dès lors, en raison de leur nature, incomber directement aux opérateurs " ; que le Conseil constitutionnel a, en conséquence, précisé que demeuraient applicables les dispositions de l'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications, alors en vigueur, selon lesquelles " les prescriptions exigées par la défense et la sécurité publique et les garanties d'une juste rémunération des prestations assurées à ce titre, à la demande de l'Etat, par les opérateurs (...) sont déterminées par leur cahier des charges " ; qu'en statuant ainsi sur la conformité à la Constitution de dispositions relatives à la pratique des interceptions justifiées par les nécessités de la sécurité publique, le Conseil constitutionnel n'a pas, contrairement à ce qu'a jugé la cour administrative d'appel, posé, de façon générale, le principe d'une juste rémunération du concours qui peut être apporté par les opérateurs de réseaux de télécommunications à toutes les activités, quelles qu'elles soient, menées par l'Etat dans l'intérêt général ;

13. Considérant, d'autre part, que l'article L. 83 du livre des procédures fiscales, non plus qu'aucune disposition des articles L. 81 et suivants du même livre, ne prévoit de compensation financière pour l'exercice du droit de communication, qui n'implique pas la réalisation de prestations particulières mais se borne à imposer aux personnes visées de communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, des informations qu'elles détiennent dans le cadre de leur activité sans pouvoir opposer le secret professionnel ; que, s'agissant des opérateurs de télécommunications, si l'article L. 83 du livre des procédures fiscales précise que les documents que ces derniers doivent communiquer à l'administration fiscale sur demande comprennent les données conservées et traitées par ces opérateurs dans le cadre de l'article L. 32-3-1 du code des postes et télécommunications, devenu l'article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques, cette référence n'a ni pour objet ni pour effet d'étendre à l'exercice du droit de communication de l'article L. 83 du livre des procédures fiscales les dispositions du II de l'article L. 32-3-1, devenu le III de l'article L. 34-1, qui renvoient à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer des modalités de compensation des surcoûts identifiables et spécifiques pour les prestations assurées au titre de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ou d'un manquement à l'obligation définie à l'article L. 336 3 du code de la propriété intellectuelle ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le refus de l'administration fiscale d'assurer une compensation financière aux opérateurs de télécommunications, pour les surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées par ces derniers au titre de l'exercice du droit de communication prévu à l'article L. 83 du livre des procédures fiscales, était constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l'Etat, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre de l'économie et des finances est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 1er juillet 2010, il a mis à la charge de l'Etat les mêmes indemnités que celles prévues par ce jugement, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de l'Etat pour faute ;

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur le règlement du litige :

16. Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il vient d'être dit, aucune disposition législative ne prévoit que l'exercice du droit de communication prévu par l'article L. 83 du livre des procédures fiscales implique le versement d'une compensation financière aux personnes qui communiquent à l'administration fiscale, sur sa demande, les documents de service qu'elles détiennent ;

17. Considérant qu'eu égard à la portée limitée des sujétions résultant, pour les personnes visées par la loi, de l'exercice du droit de communication qui ne porte que sur l'accès de l'administration fiscale à des documents ou informations déterminés, détenus par ces personnes dans le cadre de leur activité, et au motif d'intérêt général de lutte contre la fraude fiscale qui les justifient, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions de l'article L. 83 seraient incompatibles avec les exigences résultant de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

18. Considérant que la circonstance que, par l'effet de la convention signée le 9 février 2000, laquelle a pris fin le 31 décembre 2002, l'Etat ait versé aux sociétés requérantes une compensation financière en contrepartie de l'exercice du droit de communication, n'était pas de nature à faire naître une espérance légitime de continuer de bénéficier d'une contrepartie financière non prévue par la loi, qui serait constitutive d'un bien au sens du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

19. Considérant, par suite, qu'en refusant d'accorder une compensation aux sociétés France Télécom et Orange France après l'expiration de la convention du 9 février 2000, l'administration n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

20. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ; que le préjudice résultant de l'application de la loi doit faire l'objet d'une indemnisation par l'Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l'activité de ceux qui en demandent réparation, il revêt un caractère grave et spécial interdisant de le regarder comme une charge devant incomber normalement à ceux qui le subissent ;

21. Considérant que le préjudice résultant, le cas échéant, de la mise en oeuvre du droit de communication reconnu à l'administration fiscale par les articles L. 81 et suivants du livre de procédures fiscales, eu égard au nombre d'entités, organismes, établissements ou entreprises qui y sont astreints, sans que la situation des opérateurs de télécommunication puisse à cet égard être distinguée de celle des autres destinataires de ce droit, ne présente pas un caractère spécial ; qu'il ne résulte au demeurant pas de l'instruction que la mise en oeuvre du droit de communication se traduirait, pour les sociétés requérantes, par un préjudice financier d'une gravité telle qu'il excèderait la charge normale susceptible de leur être imposée dans l'intérêt général ; qu'il s'ensuit, en tout état de cause, que les conditions mises à l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ne sont pas réunies ;

22. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre, que les sociétés France Télécom et Orange France ne sont pas fondées à demander la condamnation de l'Etat à les indemniser, à raison de l'exercice du droit de communication prévu à l'article L. 83 du livre des procédures fiscales au titre des années 2004 à 2007 ;

23. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par les sociétés France Télécom et Orange France et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevé par les sociétés France Télécom et Orange France.

Article 2 : Les articles 2 à 5 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 9 mai 2012 sont annulés.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société France Télécom et par la société Orange France devant le tribunal administratif de Paris tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité, majorée des intérêts au taux légal, à raison de l'exercice du droit de communication prévu à l'article L. 83 du livre des procédures fiscales au titre des années 2004 à 2007 sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions des sociétés France Télécom et Orange France présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et aux sociétés France Télécom et Orange France. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Voir aussi