Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 350191, lecture du 30 décembre 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:350191.20131230

Décision n° 350191
30 décembre 2013
Conseil d'État

N° 350191
ECLI:FR:CESSR:2013:350191.20131230
Inédit au recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
Mme Anne Iljic, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SPINOSI, avocats


Lecture du lundi 30 décembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 17 juin 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la CIMADE, dont le siège est 64 rue Clisson à Paris (75013) ; la CIMADE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration du 24 mai 2011 relative au pilotage de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile financé par le programme 303 " Immigration et asile " (crédits déconcentrés) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu la directive n° 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 ;

Vu la directive n° 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code du travail ;

Vu le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Iljic, Auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Spinosi, avocat de l'Association Cimade ;


Sur l'intervention de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) :

1. Considérant que la FNARS a intérêt à l'annulation de la circulaire attaquée ; qu'ainsi son intervention est recevable ;

Sur la légalité de la circulaire attaquée :

En ce qui concerne l'exclusion du bénéfice de l'hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile des demandeurs d'asile non admis au séjour :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la directive du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres : " 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs d'asile aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils introduisent leur demande d'asile. / 2. Les États membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs. " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même directive, les " conditions matérielles d'accueil " sont " les conditions d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ainsi qu'une allocation journalière " ; qu'enfin l'article 14 dispose que " Lorsque le logement est fourni en nature, il doit l'être sous une des formes suivantes ou en les combinant: a) des locaux servant à loger les demandeurs pendant l'examen d'une demande d'asile présentée à la frontière; / b) des centres d'hébergement offrant un niveau de vie suffisant; / c) des maisons, des appartements, des hôtels privés ou d'autres locaux adaptés à l'hébergement des demandeurs. " ; que s'il résulte de ces dispositions que les demandeurs d'asile ont droit, dès le dépôt de leur demande et aussi longtemps qu'ils sont admis à se maintenir sur le territoire d'un Etat membre, à bénéficier de conditions matérielles d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement ainsi qu'une allocation journalière, quelle que soit la procédure d'examen de leur demande, elles ne font pas obstacle à ce que l'hébergement des demandeurs d'asile soit organisée selon des modalités différentes en fonction de la procédure à laquelle est soumise leur demande, à condition qu'elles leur assurent des conditions matérielles d'accueil conformes aux dispositions précitées de la directive ;

3. Considérant que si, en application des dispositions de l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles, les demandeurs d'asile qui n'ont pas été admis à séjourner en France pour l'un des motifs mentionnés à l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent être hébergés dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, le dispositif d'hébergement d'urgence institué par l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles et le versement de l'allocation temporaire d'attente prévue par l'article L. 5243-8 du code du travail, dont ils peuvent bénéficier, sont susceptibles de leur assurer des conditions matérielles d'accueil conformes aux dispositions précitées de la directive ; que, pour les mêmes raisons, les différentes modalités de logement offertes aux demandeurs d'asile selon la procédure dont relève leur demande, qui résulte de ces dispositions, ne crée pas de discrimination illégale dans le bénéfice du droit à un hébergement également reconnu à tous les demandeurs d'asile ;

En ce qui concerne l'hébergement des demandeurs d'asile dès leur demande d'admission au séjour :

4. Considérant que, contrairement à ce soutient la CIMADE, il ressort des termes mêmes de la circulaire attaquée que la prise en charge des demandeurs d'asile s'effectue dès leur demande d'admission au séjour ;

En ce qui concerne l'exclusion du droit à tout hébergement des demandeurs d'asile ayant refusé une proposition d'accueil en centre d'accueil des demandeurs d'asile :

5. Considérant que le refus d'une offre d'hébergement en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) par un demandeur qui y est admissible décharge les autorités compétentes de leur obligation d'assurer son hébergement en tant que demandeur d'asile, que ce soit dans un tel centre ou dans une structure d'hébergement d'urgence ; que, par suite, le ministre de l'intérieur n'a ni méconnu les dispositions législatives et réglementaires applicables ni excédé sa compétence en énonçant que les demandeurs d'asile admissibles en CADA " qui auront refusé l'offre de principe d'hébergement en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) ou une offre effective d'admission en CADA doivent être considérés comme renonçant volontairement au bénéfice d'un hébergement ultérieur, que ce soit en CADA ou en structure d'urgence " ;

En ce qui concerne l'interruption de la prise en charge des demandeurs d'asile non-admis au séjour à compter de la notification d'une décision sur la demande d'asile :

Quant à l'interruption de la prise en charge à compter de la notification d'une décision intervenue en application de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

6. Considérant qu'en prévoyant que la prise en charge du demandeur d'asile cesse à la date à laquelle lui est notifiée la décision rejetant sa demande d'asile, le ministre de l'intérieur n'a pas exclu que le demandeur d'asile puisse bénéficier d'une prise en charge en hébergement d'urgence après cette notification, en raison de sa situation de détresse médicale, psychique ou sociale, comme le prévoit l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles ;

Quant à l'interruption de la prise en charge à compter de la notification d'une décision de réadmission intervenue en application des dispositions du 1° de l'article L. 741-4 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

7. Considérant qu'il résulte des dispositions de la directive du 27 janvier 2003, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 27 septembre 2012, qu'un Etat membre saisi d'une demande d'asile est tenu d'octroyer les conditions minimales d'accueil garanties par cette directive, y compris à un demandeur d'asile pour lequel il décide, en application du règlement du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, dit " Dublin II ", de requérir un autre Etat membre aux fins de prendre en charge ou de reprendre en charge ce demandeur en tant qu'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, et que cette obligation ne prend fin, le cas échéant, que lors du transfert effectif du demandeur par l'Etat membre requérant, la charge financière de l'octroi des conditions minimales incombant, jusqu'à cette date, à ce dernier Etat membre ;

8. Considérant que si le demandeur d'asile dont la demande relève de la compétence d'un autre Etat européen, que la France décide de requérir en application du règlement du 18 février 2003, peut se voir refuser l'admission au séjour en application du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il dispose cependant du droit de rester en France en application des dispositions précises et inconditionnelles de l'article 7 de la directive du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, ainsi que l'a également jugé la Cour de justice ; qu'il doit, dès lors, pouvoir accéder aux conditions minimales d'accueil prévues par la directive du 27 janvier 2003 ;

9. Considérant, d'autre part, que si l'article L. 342-5-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. ", il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que ces dispositions, qui doivent être interprétées à la lumière de celles de la directive du 27 janvier 2003, n'ont pas pour objet, et ne sauraient avoir légalement pour effet, de permettre d'interrompre la prise en charge d'un demandeur d'asile au titre de l'hébergement d'urgence au seul motif qu'il aurait fait l'objet d'une décision de réadmission vers un autre Etat européen ; que, par suite, ce demandeur d'asile a droit au bénéfice d'un accueil en hébergement d'urgence, dans le respect des conditions prévues par les dispositions des articles L. 345-1 et suivants du même code, jusqu'à ce qu'il ait été effectivement transféré vers l'Etat requis, ou, le cas échéant, jusqu'à ce que la France, ayant finalement engagé l'examen de sa demande, se soit prononcée sur celle-ci ;

10. Considérant que, dans l'intervalle, et en l'absence de dispositions nationales prises pour la transposition de l'article 16 de la directive du 27 janvier 2003 qui prévoit des cas de limitation ou de retrait du bénéfice des conditions d'accueil, le bénéfice de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile ayant fait l'objet d'une décision de réadmission ne saurait être interrompu avant leur transfert effectif vers l'Etat requis ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en excluant du bénéfice de l'hébergement d'urgence les personnes dont la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat européen en application du règlement du 18 février 2003, la circulaire attaquée a donné une interprétation erronée des dispositions précitées ; que, par suite, la CIMADE et la FNARS sont fondées à demander l'annulation du point I.1.2 de la circulaire du 24 mai 2011 en ce que celui-ci exclut du bénéfice de l'hébergement d'urgence les personnes dont la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat européen à compter de la notification de la décision de réadmission ou, à titre dérogatoire, à l'issue d'un délai d'un mois après la décision de réadmission dont ils font l'objet ;

Quant à l'absence de caractère suspensif des recours contre les décisions de l'OFPRA prises sur les fondement des 2° à 4° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

12. Considérant que la circulaire attaquée se borne à indiquer qu'en application des articles L. 742-3 et L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " le recours formé devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par le demandeur d'asile auquel l'admission provisoire au séjour a été refusée sur le fondement des 2° à 4° de l'article L. 741-4 ne suspend pas le caractère exécutoire de la mesure d'éloignement " ; que le rappel de ces dispositions est sans incidence sur le droit que détiennent les intéressés de saisir, le cas échéant, le juge compétent de la mesure d'éloignement qu'ils contestent ; qu'ainsi le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec celles de son article 3 doit être écarté ;

En ce qui concerne la limitation du champ de la circulaire attaquée au seul hébergement :

13. Considérant qu'en indiquant, par la circulaire attaquée, que les crédits affectés à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile devaient être exclusivement utilisés à cette fin, le ministre n'a nullement interdit que fussent financées, par ailleurs, les autres prestations dont peuvent bénéficier les demandeurs d'asile ;

En ce qui concerne le dispositif de régionalisation du pilotage de l'hébergement d'urgence :

14. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires : " Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. (...) Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés. (...) " ; que la circonstance qu'une circulaire ne soit pas publiée sur le site internet relevant du Premier ministre créé en application de ces dispositions ne fait pas obstacle à ce qu'il y soit fait référence dans une autre circulaire, dès lors que cette référence n'a ni pour objet ni pour effet d'en permettre l'opposabilité aux administrés ; qu'ainsi, le renvoi, à titre de simple information, par la circulaire attaquée, aux termes d'une circulaire interministérielle du 31 janvier 2011 relative à la coopération entre les services intégrés de l'accueil et de l'orientation et les plates-formes régionales d'accueil et d'accompagnement des demandeurs d'asile, non publiée sur le site internet du Premier ministre, est sans incidence sur la légalité de la circulaire attaquée ;

15. Considérant, en deuxième lieu, qu'en demandant aux préfets de région et de département d'organiser et de mettre en place un dispositif régional de pilotage de l'hébergement d'urgence, le ministre de l'intérieur n'a pas méconnu les dispositions des articles L. 111-3-1, L. 312-5-3 et R. 345-4 du code de l'action sociale et des familles qui confèrent au représentant de l'Etat dans le département une compétence pour répondre aux demandes d'admission dans les centres d'hébergement et pour établir un " plan d'accueil, d'hébergement et d'insertion des personnes sans domicile, inclus dans le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées " ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la CIMADE et la FNARS sont fondées à demander l'annulation de la circulaire attaquée en tant seulement que son point I.1.2 exclut du bénéfice de l'hébergement d'urgence les personnes dont la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat européen à compter de la notification de la décision de réadmission ou, à titre dérogatoire, à l'issue d'un délai d'un mois après la décision de réadmission dont ils font l'objet ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la CIMADE au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
--------------

Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) est admise.
Article 2 : Le point I. 1. 2. de la circulaire du 24 mai 2011 est annulé en tant qu'il exclut du bénéfice de l'hébergement d'urgence financé sur les crédits du programme 303 les demandeurs d'asile ayant fait l'objet d'une décision de réadmission vers un autre Etat européen à compter de la notification de cette décision ou, à titre dérogatoire, à l'issue d'un délai d'un mois après la décision de réadmission dont ils font l'objet.
Article 3 : L'Etat versera à la CIMADE une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la CIMADE est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la CIMADE, à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.