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Ariane Web: Conseil d'État 373258, lecture du 5 février 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:373258.20140205

Décision n° 373258
5 février 2014
Conseil d'État

N° 373258
ECLI:FR:CESSR:2014:373258.20140205
Publié au recueil Lebon
9ème et 10ème sous-sections réunies
Mme Maïlys Lange, rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 5 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu l'ordonnance n° 1312150/5-1 du 7 novembre 2013, enregistrée le 12 novembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de la société d'édition de Canal Plus, tendant à la restitution de la taxe sur les services de télévision dont elle s'est acquittée à raison de son activité d'éditeur au titre des années 2010 et 2011, soit la somme de 15 212 117 euros, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, des dispositions du second alinéa de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l'image animée, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-901 du 24 juillet 2009 et, d'autre part, des dispositions du paragraphe I de l'article 9 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

Vu le mémoire, enregistré le 23 août 2013 au greffe du tribunal administratif de Paris, présenté par la société d'édition de Canal Plus, dont le siège est 1 place du spectacle à Issy-les-Moulineaux (92130), en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 janvier 2014, présentée par la société d'édition de Canal Plus ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 38 et 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code du cinéma et de l'image animée, notamment son article L. 115-6 ;

Vu la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, notamment le paragraphe I de son article 9 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Maïlys Lange, Auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Centre national du cinéma et de l'image animée ;


1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l'image animée, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 24 juillet 2009 relative à la partie législative du code du cinéma et de l'image animée : " Est affecté au Centre national du cinéma et de l'image animée le produit d'une taxe due par tout éditeur de services de télévision, au sens de l'article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui est établi en France et qui a programmé, au cours de l'année civile précédente, une ou plusieurs oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques éligibles aux aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée, ainsi que par tout distributeur de services de télévision au sens de l'article 2-1 de la même loi établi en France. / Tout éditeur de services de télévision, redevable à ce titre de la taxe mentionnée au présent article, et dont le financement fait appel à une rémunération de la part des usagers et qui encaisse directement le produit des abonnements acquittés par ces usagers, est en outre redevable de cette taxe au titre de son activité de distributeur de services de télévision. " ; qu'aux termes du I de l'article 9 de la loi du 17 mai 2011 : " L'ordonnance n° 2009-901 du 24 juillet 2009 relative à la partie législative du code du cinéma et de l'image animée est ratifiée. " ;

3. Considérant que la société d'édition de Canal Plus, qui exerce à la fois une activité d'éditeur de services de télévision et une activité de distributeur des services de télévision qu'elle édite, a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge de la taxe sur les services de télévision dont elle s'est acquittée à raison de son activité d'éditeur de services de télévision au titre des années 2010 et 2011 ; qu'à l'appui de sa contestation, elle soutient que le second alinéa de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l'image animée, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 24 juillet 2009, ainsi que le paragraphe I de l'article 9 de la loi du 17 mai 2011, en tant qu'il ratifie cette ordonnance, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ;

4. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure d'adoption d'une loi ne peut être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, lequel ne vise que le cas où il est soutenu qu'une disposition législative porterait atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que le législateur aurait méconnu l'article 38 de la Constitution en ratifiant l'ordonnance du 24 juillet 2009 par adoption d'un amendement d'origine parlementaire ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article 38 de la Constitution, que le Parlement s'est borné à mettre en oeuvre en adoptant le I de l'article 9 de la loi du 17 mai 2011, qu'une fois ratifiée par le législateur, une ordonnance acquiert valeur législative à compter de sa signature et qu'est inopérant à l'égard d'une loi de ratification le moyen tiré de ce que l'ordonnance ratifiée aurait outrepassé les limites de l'habilitation ; que ne peuvent, par suite, être regardés comme sérieux les moyens de la société d'édition de Canal Plus tirés, d'une part, de ce que l'ordonnance du 24 juillet 2009 aurait étendu le champ d'application de la taxe sur les services de télévision sans y être habilitée par le I de l'article 71 de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, d'autre part, qu'en lui conférant valeur législative de manière rétroactive, par l'effet de sa ratification, le législateur aurait méconnu sa propre compétence pour adopter les règles relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions et, partant, le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et, enfin, que cette ratification rétroactive aurait porté atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;

6. Considérant, en troisième lieu, que le principe constitutionnel d'égalité n'oblige pas le législateur à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ; que par suite, le moyen de la société requérante tiré de ce que le second alinéa de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l'image animée aurait méconnu le principe d'égalité devant l'impôt en assujettissant à la taxe sur les services de télévision les éditeurs qui distribuent eux-mêmes les services qu'ils éditent au même titre que les autres éditeurs, faute de tenir compte de la particularité de leur situation et, notamment, de leur assujettissement à la taxe au titre de leur activité de distribution, ne soulève pas une difficulté sérieuse ;

7. Considérant, en dernier lieu, que dès lors que la taxe due par les éditeurs de services de télévision et celle due par les distributeurs de services de télévision ne sont pas assises sur les mêmes revenus, le moyen tiré de ce que le second alinéa de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l'image animée, qui rend redevables de la taxe dans chacun de ses deux volets les éditeurs qui distribuent eux-mêmes les services qu'ils éditent, conduirait à ce que cette catégorie de contribuables soit assujettie à une double imposition contraire au principe d'égalité devant les charges publiques ne peut davantage être regardé comme sérieux ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'applicabilité au litige dont est saisi le tribunal administratif de Paris des dispositions du second alinéa de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l'image animée, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'il n'y a pas lieu, par suite, de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Paris.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société d'édition de Canal Plus, au Centre du cinéma et de l'image animée et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel ainsi qu'au tribunal administratif de Paris.


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