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Ariane Web: Conseil d'État 368741, lecture du 12 février 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:368741.20140212

Décision n° 368741
12 février 2014
Conseil d'État

N° 368741
ECLI:FR:CESSR:2014:368741.20140212
Inédit au recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
M. Tristan Aureau, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public


Lecture du mercredi 12 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 22 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la CIMADE, dont le siège est 64, rue Clisson à Paris (75013), représentée par son président en exercice, et le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), dont le siège est 3, Villa Marcès à Paris (75011), représenté par son président en exercice ; la CIMADE et le GISTI demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions des cinquième et huitième paragraphes de l'instruction du ministre de l'intérieur du 23 avril 2013 relative au droit à l'allocation temporaire d'attente (ATA) des demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure Dublin en application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ainsi que le modèle annexé à cette instruction ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de diffuser un nouveau modèle de convocation permettant aux demandeurs d'asile de justifier de leur droit au maintien sur le territoire et au bénéfice des conditions matérielles d'accueil ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 ;

Vu la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 ;

Vu la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Tristan Aureau, Auditeur,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public ;





1. Considérant que le ministre de l'intérieur a adressé aux préfets, le 23 avril 2013, une instruction relative au droit à l'allocation temporaire d'attente des demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure dite " Dublin " en application du règlement du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant des pays tiers ; que le Groupe d'information et de soutien des immigrés et l'association Cimade demandent l'annulation pour excès de pouvoir des cinquième et huitième paragraphes de cette instruction, ainsi que du modèle de convocation qui y est annexé ;

Sur la légalité du cinquième paragraphe de l'instruction et du document figurant en annexe :

2. Considérant que les dispositions du cinquième paragraphe de l'instruction contestée prescrivent à leurs destinataires de remettre à tous les demandeurs d'asile dont la demande relève de la compétence d'un autre Etat européen que la France décide de requérir en application du règlement du 18 février 2003, un document dénommé " convocation Dublin ", dont le modèle type figure en annexe de cette instruction ;

3. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la directive du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres : " La présente directive s'applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d'asile à la frontière ou sur le territoire d'un Etat membre tant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d'asile, ainsi qu'aux membres de leur famille, s'ils sont couverts par cette demande d'asile conformément au droit national " ; qu'aux termes des paragraphes 1 et 2 de l'article 13 de cette directive : " les Etats membres font en sorte que les demandeurs d'asile aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils introduisent leur demande d'asile " et " les Etats membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs " ; que l'article 2 de cette directive définit les conditions matérielles d'accueil comme " comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ainsi qu'une allocation journalière " ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de cette directive : " 1. Les Etats membres font en sorte que les demandeurs reçoivent, dans un délai de trois jours après le dépôt de leur demande auprès des autorités compétentes, un certificat délivré à leur nom attestant leur statut de demandeur d'asile ou attestant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire de l'Etat membre pendant que leur demande est en attente ou en cours d'examen (...) " ;

4. Considérant que, dans l'arrêt du 27 septembre 2012 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la directive du 27 janvier 2003 devait être interprétée en ce sens qu'un Etat membre saisi d'une demande d'asile est tenu d'octroyer les conditions minimales d'accueil garanties par cette directive, y compris à un demandeur d'asile pour lequel il décide, en application du règlement du 18 février 2003, de requérir un autre Etat membre afin de prendre en charge ou de reprendre en charge ce demandeur en tant qu'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, et que cette obligation ne prend fin, le cas échéant, que lors du transfert effectif du demandeur par l'Etat membre requérant, la charge financière de l'octroi des conditions minimales incombant, jusqu'à cette date, à ce dernier Etat membre ;

5. Considérant, d'une part, que si le demandeur d'asile dont la demande relève de la compétence d'un autre Etat européen, que la France décide de requérir en application du règlement du 18 février 2003, peut se voir refuser l'admission au séjour en application du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il dispose cependant du droit de rester en France en application des dispositions précises et inconditionnelles de l'article 7 de la directive du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, ainsi que l'a jugé la Cour de justice dans son arrêt du 27 septembre 2012 ; qu'il doit, dès lors, pouvoir accéder aux conditions minimales d'accueil prévues par la directive du 27 janvier 2003 ;

6. Considérant, d'autre part, que, si l'article L. 5423-8 du code du travail prévoit que " Sous réserve des dispositions de l'article L. 5423-9, peuvent bénéficier d'une allocation temporaire d'attente : / 1° Les ressortissants étrangers dont le titre de séjour ou le récépissé de demande de titre de séjour mentionne qu'ils ont sollicité l'asile en France et qui ont présenté une demande tendant à bénéficier du statut de réfugié, s'ils satisfont à des conditions d'âge et de ressources (...) ", il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que ces dispositions, qui doivent être interprétées à la lumière de la directive du 27 janvier 2003, n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d'exiger la détention d'un titre de séjour ou d'un récépissé pour le demandeur d'asile dont la demande relève de la compétence d'un autre Etat, que la France décide de requérir en application du règlement du 18 février 2003 ; que, par suite, ce demandeur a, sous réserve des dispositions de l'article L. 5423-9 du code du travail, droit à l'allocation temporaire d'attente lorsqu'il remplit les conditions d'âge et de ressources prévues, jusqu'à ce qu'il ait effectivement été transféré dans l'Etat requis ou, le cas échéant, jusqu'à ce que la France, ayant finalement engagé l'examen de sa demande, se soit prononcée sur celle-ci ;

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui précède, et notamment des dispositions combinées de l'article 7 de la directive du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres et du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que, si ces demandeurs d'asile ont le droit de rester en France jusqu'à l'exécution de la mesure de réadmission les concernant, ils ne peuvent cependant bénéficier d'un titre de séjour ; que, par suite, la mention " le présent document ne vaut pas autorisation de séjour " figurant sur le document annexé à l'instruction attaquée n'est pas erronée en droit ;

8. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la délivrance de ce document permet au demandeur d'asile de demeurer sur le territoire français et de percevoir l'allocation temporaire d'attente jusqu'à son transfert effectif vers l'Etat membre requis ; qu'en prescrivant aux préfets de le délivrer aux demandeurs d'asile concernés, le ministre de l'intérieur n'a, par conséquent, pas commis d'erreur de droit ;

Sur la légalité du huitième paragraphe de l'instruction :

9. Considérant que les dispositions du huitième paragraphe de l'instruction contestée se bornent à prescrire à leurs destinataires de communiquer aux services de Pôle emploi la liste des demandeurs d'asile qui se sont volontairement soustraits à l'exécution de la mesure de transfert les concernant et qui ont été déclarés " en fuite " au sens des dispositions des articles 19 et 20 du règlement du 18 février 2003 ; que, si le demandeur d'asile dont la demande relève de la compétence d'un autre Etat européen, que la France décide de requérir, doit, ainsi qu'il a été dit, pouvoir accéder aux conditions minimales d'accueil prévues par la directive du 27 janvier 2003, il résulte des dispositions de l'article 16 de cette directive que le bénéfice de ces conditions minimales d'accueil peut être interrompu lorsque le demandeur d'asile abandonne le lieu de résidence fixé par l'autorité compétente sans en avoir informé cette autorité ; que, toutefois, une telle interruption ne saurait intervenir en l'absence de dispositions nationales prises pour la transposition de cet article ; que, par suite, les dispositions du huitième paragraphe de l'instruction contestée n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d'entraîner la suspension du bénéfice de l'allocation temporaire d'attente ; que le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaissent le droit européen en vigueur doit, par conséquent, être écarté ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre, les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des dispositions attaquées ; que les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association CIMADE et du Groupe d'information et de soutien des immigrés est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association CIMADE, au Groupe d'information et de soutien des immigrés et au ministre de l'intérieur.