Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 375403, lecture du 18 février 2014, ECLI:FR:CEORD:2014:375403.20140218

Décision n° 375403
18 février 2014
Conseil d'État

N° 375403
ECLI:FR:CEORD:2014:375403.20140218
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mardi 18 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 12 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. B...A..., élisant domicile ...; le requérant demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1400532 du 5 février 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de lui indiquer, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui indiquer dans un délai de quarante-huit heures le ou les centres d'hébergement susceptibles de l'accueillir et, à titre subsidiaire, de lui fournir dans un délai de vingt-quatre heures des modalités d'accueil différentes assurant ses besoins fondamentaux que sont le logement, la nourriture et l'habillement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'absence de logement le met dans une situation d'extrême précarité l'obligeant à dormir dans la rue dans des conditions climatiques hivernales ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a entaché son ordonnance d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit en rejetant sa demande pour absence d'atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;
- le préfet de l'Isère a porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent le droit d'asile et le principe de la dignité humaine en le privant du droit de bénéficier de conditions d'accueil décentes ;
- il n'a pas mis en oeuvre les diligences nécessaires pour prendre en charge son hébergement et ses besoins fondamentaux ;


Vu l'ordonnance attaquée

Vu le mémoire distinct, enregistré le 12 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par M.A..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles en tant qu'il porte atteinte au droit d'asile, au principe à valeur constitutionnelle de dignité et à l'objectif de valeur constitutionnelle du droit au logement ;

Vu l'intervention, enregistrée le 12 février 2014, présentée par la Cimade, dont le siège est situé au 64, rue Clisson, à Paris (75013), représentée par sa présidente en exercice, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule, son article 53-1 et son article 61-1 ;

Vu la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles,
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ; qu'en vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée ; qu'à cet égard, il appartient au juge d'appel de prendre en considération les éléments recueillis par le juge du premier degré dans le cadre de la procédure écrite et orale qu'il a diligentée ;

Sur l'intervention présentée par la Cimade :

2. Considérant que la Cimade a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

4. Considérant que les dispositions de l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles, issues de la loi du 24 juillet 2006, qui sont applicables au litige, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que cet article subordonne le bénéfice de l'accueil dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile à la possession de l'un des documents de séjour mentionnés à l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que ce dernier article prévoit que, lorsqu'il est admis à séjourner en France, l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile se voit remettre un document provisoire de séjour lui permettant de déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et qu'un nouveau document de séjour lui est délivré après le dépôt de sa demande d'asile ; que ces dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers définissent les conditions dans lesquelles est assurée la mise en oeuvre du droit au séjour provisoire des demandeurs d'asile ; qu'en prévoyant que les demandeurs d'asile doivent détenir l'un des documents de séjour prévus par l'article L. 742-1 de ce code pour bénéficier de l'accueil dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ne méconnaît aucune des exigences constitutionnelles relatives au droit d'asile et ne porte pas davantage atteinte au principe à valeur constitutionnelle de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine ; qu'il en résulte que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ne présente pas un caractère sérieux ; qu'il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

Sur l'appel de M. A...:

5. Considérant qu'une privation du bénéfice des droits auxquels les demandeurs d'asile peuvent prétendre peut conduire le juge des référés à faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 précité du code de justice administrative ; que, toutefois, le juge des référés ne peut, sur le fondement de cet article, adresser une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître, compte tenu des moyens dont elle dispose, une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction diligentée par le juge des référés de première instance que M. A...s'est présenté le 19 novembre 2013 dans les services de l'association La Relève, chargée par la préfecture de l'Isère d'assurer le pré-accueil des demandeurs d'asile, en vue de déposer une demande d'asile ; qu'une convocation lui a été remise pour le 21 janvier 2014 délivrée dans le cadre de la procédure de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile en application du règlement CE n° 343/2003 du 18 février 2003, dit " Dublin II " ; que l'administration, qui ne dispose pas de place d'hébergement en nombre suffisant pour répondre à l'ensemble des demandes qui lui sont présentées et a dû par suite définir un ordre de priorité tenant compte de la situation particulière des demandeurs, n'a pas commis d'illégalité manifeste en ne regardant pas comme prioritaire l'intéressé, qui est célibataire, sans difficulté de santé et sans charges de famille ; qu'ainsi que l'a jugé à bon droit le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, le dossier ne fait ainsi pas apparaître de méconnaissance grave et manifeste des garanties qu'implique le droit d'asile ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de M. A...doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du même code ;


O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'intervention de la Cimade est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....
Article 3 : La requête de M. A...est rejetée.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A...et à la Cimade.
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Isère, au ministre de l'intérieur et au Conseil constitutionnel.