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Ariane Web: Conseil d'État 356893, lecture du 31 mars 2014, ECLI:FR:Code Inconnu:2014:356893.20140331

Décision n° 356893
31 mars 2014
Conseil d'État

N° 356893
ECLI:FR:Code Inconnu:2014:356893.20140331
Inédit au recueil Lebon
5ème - 4ème SSR
M. Charles Touboul, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP GATINEAU, FATTACCINI ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du lundi 31 mars 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février 2012 et 21 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Societe France Televisions, dont le siège est 7 Esplanade Henri de France à Paris cedex 15 (75907 ) ; la société demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2011-1294 du 9 novembre 2011 du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) relative à un différend l'opposant à la société Numéricâble quant à la numérotation du service France 5 dans le plan de distribution pour l'ensemble des réseaux exploités sous la marque Numéricâble ;

2°) de faire droit à sa demande de règlement de différend présentée devant le CSA ;

3°) d'enjoindre à la société Numéricâble, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, d'attribuer au service France 5, dans la thématique "généraliste" du plan de services de Numéricâble, une numérotation justifiée par des critères objectifs, transparents et non discriminatoires ;

4°) de mettre à la charge de la société Numéricâble le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

Vu la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 ;

Vu la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 ;

Vu la délibération n° 2007-167 du 24 juillet 2007 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à la numérotation des services de télévision dans les offres de programmes des distributeurs de services sur des réseaux de communications électroniques n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles Touboul, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société France Télévisions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la société Numéricâble et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Paris Première ;



Sur la requête de la société France Télévisions :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction applicable au litige : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou par un distributeur de services, par une des personnes mentionnées à l'article 95 ou par un prestataire auquel ces personnes recourent, de tout différend relatif à la distribution d'un service de radio ou de télévision, y compris aux conditions techniques et financières de mise à disposition du public de ce service, lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences de service public, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes, ou lorsque ce différend porte sur le caractère objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à disposition du public de l'offre de programmes ou des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services. / (...) La décision du conseil précise les conditions permettant d'assurer le respect des obligations et des principes mentionnés au premier alinéa. Le cas échéant, le conseil modifie en conséquence les autorisations délivrées (...) " ; qu'en vertu de l'article 42-8 de la même loi, les éditeurs et les distributeurs de services de communication audiovisuelle peuvent former un recours de pleine juridiction devant le Conseil d'Etat contre les décisions prises en application de l'article 17-1 ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société France Télévisions, éditrice de services de télévision, a saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'une demande tendant au règlement d'un différend l'opposant à la société Numéricâble et relatif à la numérotation des chaînes sur l'offre que cette société distribue sur des réseaux n'utilisant pas de fréquences assignées par l'autorité de régulation ; que cette demande tendait à ce que le service France 5 se voie attribuer le numéro 5 dont il bénéficie par ailleurs au titre de sa diffusion par voie numérique hertzienne terrestre ; que, par une décision du 9 novembre 2011 contre laquelle France Télévisions forme le recours prévu à l'article 42-8, le CSA a rejeté sa demande de règlement de ce différend ;

3. Considérant que, selon France Télévisions, le plan de services de l'offre Numéricâble n'est pas conforme aux obligations légales pesant sur les distributeurs dans la mesure où les critères mis en oeuvre, notamment le sous-critère du financement, ne sont pas transparents et que ce même sous-critère ne respecte pas les exigences découlant de la loi du 30 septembre 1986 et de la délibération du CSA du 24 juillet 2007 ;

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (...) / veille au caractère équitable, transparent, homogène et non discriminatoire de la numérotation des services de télévision dans les offres de programmes des distributeurs de services. / (...) Le conseil peut adresser aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle des recommandations relatives au respect des principes énoncés dans la présente loi. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur dont elles sont issues que, si la détermination du plan de services et la numérotation des chaînes relève de la liberté éditoriale et commerciale du distributeur, le législateur a entendu limiter cette liberté afin de renforcer le pluralisme dans l'intérêt des téléspectateurs, en imposant que la numérotation présente un caractère équitable, transparent, homogène et non discriminatoire ;

5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de la délibération du CSA du 24 juillet 2007 relative à la numérotation des chaînes dans les offres de programme des distributeurs de services, prise sur le fondement de ces mêmes dispositions législatives : " Pour garantir le caractère homogène, équitable et non discriminatoire de la numérotation, le distributeur doit communiquer les principes d'ordonnancement des services au sein d'une thématique. / Il est tenu de se fonder sur certains critères d'ordonnancement objectifs et vérifiables, par exemple : / - l'antériorité d'occupation du numéro ; / - l'audience ; / - le numéro logique attribué par le Conseil à l'éditeur pour la diffusion en TNT ; / - la langue : ainsi un distributeur serait fondé à attribuer à des chaînes en langue française ou dans une des langues régionales les premiers numéros d'une thématique ; / - la notoriété, par exemple sur le fondement d'études d'opinion ; / - l'ordre alphabétique ; / - le résultat d'un tirage au sort ; / - la catégorie de public visée ; / - le bassin de diffusion. / Ces critères sont classés par ordre de priorité d'application et, conformément à l'impératif d'homogénéité énoncé à l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, ils doivent s'appliquer dans les mêmes conditions à l'ensemble des thématiques " ; que, si cette liste revêt un caractère purement indicatif et n'est pas limitative, les prescriptions impératives de la délibération restreignent la liberté des distributeurs dans l'organisation de leurs plans de services en leur imposant notamment de retenir des critères objectifs pour la détermination de l'ordre des chaînes au sein de chaque thématique ;

6. Considérant que, pour déterminer le positionnement de chaque chaîne au sein de la thématique dont elle relève, la société Numéricâble a indiqué aux opérateurs qu'elle entendait recourir à un système de notes en distinguant, d'une part, " la contribution marketing " comprenant, pour 30 % de la note globale, le critère du " financement de la mise en avant du service de communication audiovisuelle ", pour 30 %, l'audience et, pour 10 %, la notoriété et, d'autre part, pour 30 %, la " contribution de la chaîne à la fidélisation ", correspondant à la mise à disposition de services associés ; que la société Numéricâble a précisé qu'elle tiendrait également compte de la catégorie de public visée, du bassin et de la langue de diffusion, et que l'ensemble des critères seraient appliqués par ordre de priorité décroissant ; qu'elle a indiqué que le critère du financement de la mise en avant du service de communication audiovisuelle, premier dans l'ordre de priorité, correspondait au versement par l'éditeur de service d'une contribution financière au distributeur, sans exclure des contributions en nature telles que la mise à disposition d'espaces publicitaires au profit du distributeur ;

7. Considérant que, pour rejeter l'argumentation de France Télévisions tirée de ce que le plan de services arrêté par Numéricâble n'était pas transparent et méconnaissait les autres exigences découlant de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 et de la délibération du 24 juillet 2007, compte tenu, en particulier, du " sous-critère du financement de la mise en avant du service de communication audiovisuelle ", le CSA a estimé que ce sous-critère n'était pas discriminatoire, dès lors qu'il s'appliquait à l'ensemble des éditeurs repris dans le plan de services, qu'il n'était pas inéquitable, dès lors qu'une participation à une opération de financement demeurait facultative et que le service France 5, édité par le groupe France Télévisions, disposait de moyens financiers importants, et que son application à France 5 n'était pas incompatible avec ses missions de service public ; que le CSA a par ailleurs estimé que France Télévisions n'était pas fondée à soutenir que ce sous-critère n'était pas vérifiable, dès lors que Paris Première avait communiqué, lors de l'audience de règlement du différend, le montant qu'elle avait proposé au titre de ce sous-critère et que France Télévisions reconnaissait ne pas avoir formulé d'offre à ce même titre et n'avait pas non plus demandé de précision sur sa mise en oeuvre ;

8. Considérant, toutefois, qu'en faisant reposer l'attribution des numéros revendiqués par plusieurs éditeurs de service, au premier chef, sur une contribution financière ou en nature consentie par l'éditeur au distributeur à l'issue d'une négociation dont les termes, couverts par le secret des affaires, demeuraient inconnus des autres éditeurs, la société Numéricâble n'a pas satisfait à l'exigence de transparence mentionnée à l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 et ne s'est pas fondée sur un critère présentant un caractère vérifiable au sens de la délibération du 24 juillet 2007 précitée ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, la société France Télévisions est fondée à soutenir que le CSA a méconnu ces règles en admettant la licéité du sous-critère du financement et à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision du 9 novembre 2011 rejetant sa demande de règlement de différend ;

Sur le règlement du différend :

9. Considérant qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat, statuant sur un recours de pleine juridiction à l'encontre d'une décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel prise sur le fondement de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de régler dans tous ses éléments le différend dont ce dernier était saisi ;

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la demande de règlement de différend présentée par France télévisions tend à l'attribution au service France 5 qu'elle édite du numéro 5 sur le plan de services de Numéricâble ; que la société Numéricâble n'a été saisie que d'une seule autre demande d'attribution de ce numéro, au bénéfice du service Paris Première ; qu'il résulte de ce qui précède que l'attribution de ce numéro à l'un ou l'autre de ces services de communication audiovisuelle ne pouvait légalement dépendre du sous-critère " du financement de la mise en avant du service de communication audiovisuelle " tel qu'il a été mis en oeuvre par Numéricâble ; que, pour régler le différend dans tous ses éléments, il y a lieu d'attribuer le numéro 5 de ce plan de services à l'éditeur le mieux placé au regard des autres critères choisis par Numéricâble avec leur pondération initiale ; que la question de savoir qui du service France 5 ou du service Paris Première est le mieux placé au regard de ces autres critères ainsi pondérés ne peut être résolue en l'état du dossier, faute pour celui-ci de faire ressortir des données actualisées sur chacun de ces autres critères ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, d'ordonner un supplément d'instruction tendant à la production de tous documents permettant d'établir lequel des deux services de communication audiovisuelle concernés répond le mieux à chacun des autres critères mentionnés ci-dessus ;



D E C I D E :
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Article 1er : La décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 9 novembre 2011 est annulée.

Article 2 : Avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête de la société France Télévisions, il sera procédé à un supplément d'instruction tendant à la production, par les parties, des documents mentionnés dans les motifs de la présente décision.
Ces documents devront parvenir au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société France Télévisions, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, à la société Numéricâble et à la société Paris Première.