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Ariane Web: Conseil d'État 352999, lecture du 11 avril 2014, ECLI:FR:CECHR:2014:352999.20140411

Décision n° 352999
11 avril 2014
Conseil d'État

N° 352999
ECLI:FR:CESSR:2014:352999.20140411
Inédit au recueil Lebon
9ème / 10ème SSR
M. Olivier Japiot, rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public


Lecture du vendredi 11 avril 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi, enregistré le 28 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de l'arrêt n° 09PA06363 du 29 juillet 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours contre le jugement n° 0413250 du 7 juillet 2009 par lequel le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Lacil, venant aux droits de la société Soboco, des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution sur cet impôt ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 1999 et 2000 et 31 mai 2011 ;

2°) réglant l'affaire au fond, à titre principal, de faire droit à son recours et, à titre subsidiaire, de remettre à la charge de la SARL Garnier Choiseul Holding, venant aux droits des sociétés Lacil et Soboco, les impositions en litige, dans la limite, pour l'exercice clos le 31 mai 2001, des seuls rehaussements correspondant à la remise en cause de l'imputation de l'avoir fiscal attaché aux dividendes versées par la société Sotour Fabien Bismuth, et de réformer le jugement du 7 juillet 2009 dans cette mesure ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Japiot, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration a notifié à la société Lacil, venant aux droits de la société Soboco, des rehaussements d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt au titre des exercices clos les 31 décembre 1999, 31 décembre 2000 et 31 mai 2001, en raison de la remise en cause, selon la procédure de répression des abus de droit, d'une part, de l'imputation sur ses cotisations d'impôt sur les sociétés d'avoirs fiscaux attachés aux dividendes versés par les sociétés Gasneuil et Sotour Fabien Bismuth et, d'autre part, de l'imputation sur son bénéfice imposable de reports déficitaires trouvant leur origine dans des exercices antérieurs à l'exercice clos le 31 décembre 1999, au cours duquel la société Soboco a acquis la totalité des titres composant le capital de la société Disson et a absorbé cette dernière société ; que le tribunal administratif de Paris a accordé à la société Lacil la décharge de ces cotisations supplémentaires et des pénalités correspondantes par un jugement du 7 juillet 2009 ; que le ministre chargé du budget se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 juillet 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel dirigé contre ce jugement ;

2. Considérant, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...). / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement " ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou bien, à défaut, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

Sur l'imputation des avoirs fiscaux :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 158 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " I. Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué : a) par les sommes qu'elles reçoivent de la société ; b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt est égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société. Il ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. Il est reçu en paiement de cet impôt. Il est restitué aux personnes physiques dans la mesure où son montant excède celui de l'impôt dont elles sont redevables. / II. Par exception aux dispositions prévues au I, ce crédit d'impôt est égal à 40 % des sommes effectivement versées par la société lorsque la personne susceptible d'utiliser ce crédit n'est pas une personne physique. (...) Le taux du crédit d'impôt prévu au premier alinéa est fixé à 25 % pour les crédits d'impôts utilisés en 2001 (...). " ; qu'aux termes de l'article 209 bis du même code, dans sa rédaction applicable aux mêmes impositions : " 1. Les dispositions des articles 158 bis et 158 ter sont applicables aux personnes morales ayant leur siège social en France, dans la mesure où le revenu distribué est compris dans la base de l'impôt sur les sociétés dû par le bénéficiaire. Le crédit d'impôt est reçu en paiement de cet impôt. Il n'est pas restituable " ; qu'il ressort de l'ensemble des travaux préparatoires de l'article 1er de la loi du 12 juillet 1965 créant l'avoir fiscal, codifié à l'article 158 bis précité du code général des impôts, que le législateur a eu comme objectifs de favoriser l'actionnariat des entreprises ainsi que le développement de la place financière de Paris et d'éliminer à cet effet la double imposition qui frappait les dividendes ; qu'eu égard à l'objet de la loi, l'actionnaire, imposable à raison des dividendes qu'il perçoit, est en droit de prétendre à l'avoir fiscal qui leur est attaché, de sorte que ces dividendes ne soient pas soumis à une double imposition ; que le droit à l'avoir fiscal n'est nullement subordonné à une durée minimum de détention des titres avant ou après la mise en paiement des dividendes auxquels il est attaché ; que, par suite, dès lors qu'une société a effectivement la qualité d'actionnaire, les dividendes qu'elle perçoit à raison des titres qu'elle détient ouvrent droit à son profit au bénéfice de l'avoir fiscal qui y est attaché ;

4. Considérant, d'une part, que l'avoir fiscal, s'il constitue un élément du bénéfice de l'actionnaire, est essentiellement, aux termes mêmes des articles 158 bis et 209 bis du code général des impôts, un moyen de paiement de l'impôt dû par ce dernier au titre des résultats d'ensemble d'une année donnée ; que si ces articles excluent, s'agissant des personnes morales, qu'il puisse être restitué par l'administration, en particulier dans l'hypothèse où l'avoir fiscal excède l'impôt dû, ainsi qu'en présence de résultats déficitaires, ils ne font pas obstacle à ce que l'avoir fiscal s'impute intégralement sur une cotisation d'impôt sur les sociétés dont le montant aurait été minoré par l'intégration, dans les résultats de la personne morale, lesquels comprennent les dividendes qui ouvrent droit à l'avoir fiscal, de pertes pouvant d'ailleurs provenir, le cas échéant, d'une moins-value réalisée à l'occasion de la vente des titres de la société ayant versé les dividendes ; que le bénéfice de l'avoir fiscal n'est donc pas subordonné à une double imposition effective des dividendes auxquels cet avoir est attaché ; que, d'autre part, le fait qu'une prise de participation dans le capital d'une société présente un faible risque économique compte tenu du contexte ou des circonstances dans lesquelles cette opération intervient, n'a pas pour effet en lui-même de supprimer le risque inhérent à la qualité d'actionnaire quel qu'il soit ; que ce risque existe quand bien même la société en question est contrôlée ou dirigée par une personne physique ou morale qui contrôle et dirige par ailleurs plusieurs sociétés ; qu'enfin, le fait de vouloir mettre un terme à l'activité d'une société n'est pas de nature à priver cette société, le temps des opérations de dissolution, de l'intention des associés de s'associer qui caractérise le contrat de société en vertu de l'article 1832 du code civil, ni à faire perdre aux actionnaires leur qualité d'associé ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel de Paris n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits en jugeant que le ministre, faute d'avoir prouvé que les opérations litigieuses auraient présenté un caractère artificiel ou que la société n'aurait pas, en l'absence de risque inhérent à la qualité d'actionnaire, acquis cette qualité, n'avait pas établi que ces opérations procédaient de la recherche par le contribuable du bénéfice d'une application littérale de l'article 158 bis du code général des impôts relatif à l'avoir fiscal à l'encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs ;

Sur l'imputation des reports déficitaires :

5. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. (...) " ; qu'aux termes du II du même article : " Sous réserve d'un agrément préalable délivré par le ministre de l'économie et des finances et dans la mesure définie par cet agrément, les fusions de sociétés et opérations assimilées qui entrent dans les prévisions de l'article 210 A peuvent ouvrir droit, dans la limite édictée au I, troisième alinéa, au report des déficits antérieurs non encore déduits soit par les sociétés apporteuses, soit par les sociétés bénéficiaires des apports, sur les bénéfices ultérieurs de ces dernières. " ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Soboco a été créée en 1994 pour exercer l'activité de marchand de biens ; qu'elle a acquis, cette même année, un immeuble qu'elle a apporté, le 15 décembre 1995, à la SCI Cimaco en contrepartie de l'attribution de parts de cette dernière société, qu'elle a revendues en 1998 ; qu'elle a accumulé des reports déficitaires de 1995 à 1998 en raison, d'une part, des charges d'intérêt des emprunts qu'elle a contractés pour cette acquisition immobilière et, d'autre part, de la moins-value qu'elle a comptabilisée lors de la vente des titres de la SCI Cimaco ; qu'elle a été acquise le 13 avril 1999 par une autre société pour un prix à peine supérieur au montant de la créance qu'elle détenait sur sa société mère et qui lui a été remboursée le lendemain ; qu'elle a imputé, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1999, le déficit en report d'un montant d'environ 95 millions de francs (14,5 millions d'euros) qu'elle avait constaté à la clôture de l'exercice 1998, sur le résultat bénéficiaire, d'un montant équivalent, de la société Disson, qu'elle a acquise puis absorbée au cours de l'exercice clos en 1999, dont l'activité était la distribution en gros d'accessoires automobiles et qui avait cessé toute activité au cours du même exercice ;

7. Considérant que l'administration, faisant application des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, a estimé que l'absorption de la société Disson par la société Soboco avait eu pour seul objet, par une application littérale des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts et sans avoir à solliciter l'agrément prévu au II du même article, de faire échapper à l'impôt le bénéfice imposable de la société Disson en le compensant par le déficit reportable de la société Soboco ;

8. Considérant que par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Paris a estimé que l'administration n'apportait pas la preuve que la fusion-absorption avait été conçue et mise en oeuvre à des fins exclusivement fiscales, en relevant que cette opération avait permis une simplification de la gestion comptable et financière des sociétés fusionnées, qu'en l'absence de fusion la société Soboco risquait d'être dissoute et qu'enfin la fusion avait permis à celle-ci de disposer de la trésorerie de la société Disson et d'augmenter de la sorte ses résultats grâce à la rémunération prévue par la convention de trésorerie du groupe ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, lors de cette fusion, la société Soboco ne disposait plus des moyens humains ou financiers lui permettant d'exercer son activité et qu'elle n'a pu acquérir les parts de la société absorbée qu'avec le concours financier d'une autre filiale du groupe ; que la société Disson, même si elle disposait d'une trésorerie élevée, avait cédé tous ses moyens de production ; que, comme il est précisé au point 6, les domaines d'activité des deux sociétés étaient très différents et le bénéfice imposable de la société Disson au titre de l'exercice clos en 1999 était d'un montant équivalent au report déficitaire de la société Soboco ; qu'enfin, le prix payé par celle-ci pour l'acquisition des titres de la société Disson correspondait approximativement au montant de la trésorerie de cette dernière, équivalent à son bénéfice imposable, diminué de l'impôt normalement dû à raison de celui-ci ; que, dès lors, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique en jugeant que les opérations litigieuses n'étaient pas constitutives d'un abus de droit, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, d'une part, que l'objectif de restructuration était, dans les circonstances rappelées au point 6, dénué de toute portée et, d'autre part, que le gain de trésorerie était négligeable et sans commune mesure avec l'avantage fiscal retiré de ces opérations, ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que le ministre du budget est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur le redressement résultant de la remise en cause de l'imputation des reports déficitaires de la société Soboco sur le bénéfice imposable de la société Disson ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

11. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la fusion entre les sociétés Soboco et Disson, qui n'avait aucune justification économique, n'a pu être inspirée par aucun autre motif que de permettre l'imputation des reports déficitaires de la société Soboco sur le bénéfice imposable de la société Disson, par une application littérale des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts, sans avoir à solliciter l'agrément prévu au II du même article ; qu'elle était donc constitutive d'un abus de droit ; qu'il suit de là que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris, accueillant l'unique moyen relatif à ce chef de redressement, a prononcé la décharge des impositions, restant en litige ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées en appel par la société Lacil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 29 juillet 2011 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté l'appel formé par le ministre chargé du budget contre le jugement du 7 juillet 2009 du tribunal administratif de Paris en ce que celui-ci a accordé à la société Lacil, venant aux droits de la société Soboco, la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés, des contributions additionnelles à cet impôt ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 1999, 31 décembre 2000 et 31 mai 2001 en raison de la remise en cause de l'imputation des reports déficitaires de la société Soboco sur le bénéfice imposable de la société Disson.
Article 2 : Les impositions mentionnées à l'article 1er sont remises à la charge de la société Garnier Choiseul Holding, venant aux droits des sociétés Lacil et Soboco.
Article 3 : Le jugement du 7 juillet 2009 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées en appel par la société Lacil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société Garnier Choiseul Holding.


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