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Ariane Web: Conseil d'État 356813, lecture du 7 mai 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:356813.20140507

Décision n° 356813
7 mai 2014
Conseil d'État

N° 356813
ECLI:FR:CESSR:2014:356813.20140507
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
Mme Agnès Martinel, rapporteur
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public
SCP VINCENT, OHL ; SCP LE GRIEL, avocats


Lecture du mercredi 7 mai 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le pourvoi, enregistré le 16 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la commune de Romagne, représentée par son maire ; la commune de Romagne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2140 du 13 décembre 2011 par laquelle le Conseil supérieur de l'éducation statuant en matière contentieuse a rejeté la demande en tierce opposition qu'elle avait formée contre la décision en date du 16 mars 2011 de ce dernier ayant annulé la décision par laquelle le conseil académique de l'éducation nationale de Poitiers a confirmé l'opposition de son maire à l'ouverture d'un établissement privé d'enseignement par l'association Michel Magon ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa tierce opposition ;

3°) de mettre à la charge de l'association Michel Magon le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'éducation ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Martinel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Vincent, Ohl, avocat de la commune de Romagne et à la SCP Le Griel, avocat de l'association Michel Magon ;


1. Considérant que le 16 juillet 2010, le maire de la commune de Romagne (Vienne) a formé opposition à la déclaration d'ouverture par l'association Michel Magon d'une école privée hors contrat d'association sur le territoire de la commune ; que l'association a procédé le 23 juillet 2010 à une nouvelle déclaration qui a fait l'objet d'une nouvelle opposition du maire le 30 juillet 2010 ; que l'association Michel Magon a saisi le conseil académique de l'éducation nationale de Poitiers qui, statuant en formation contentieuse, par décision du 15 décembre 2010, a confirmé l'opposition du maire ; que cette décision a été annulée le 16 mars 2011 par le Conseil supérieur de l'Education ; que la commune de Romagne se pourvoit en cassation contre la décision du 13 décembre 2011 par laquelle le Conseil supérieur de l'éducation a rejeté la requête en tierce opposition formée à l'encontre de la décision du 16 mars 2011 ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aucune règle générale de procédure et, notamment pas le principe d'impartialité, ne fait obstacle à ce qu'un recours en tierce opposition, qui doit être porté devant la juridiction dont émane la décision juridictionnelle dont la rétractation est demandée, soit jugé par la formation de jugement ou le juge qui a rendu cette décision ; que, par suite, la circonstance que le Conseil supérieur de l'éducation, qui s'est prononcé sur la requête en tierce opposition formée par la commune de Romagne contre la décision du 16 mars 2011, était l'auteur de cette première décision, est sans incidence sur la régularité de la décision attaquée ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 441-1 du code de l'éducation : " Toute personne qui veut ouvrir une école privée doit préalablement déclarer son intention au maire de la commune où il veut s'établir, et lui désigner les locaux de l'école. / Le maire remet immédiatement au demandeur un récépissé de sa déclaration et fait afficher celle-ci à la porte de la mairie, pendant un mois. / Si le maire juge que les locaux ne sont pas convenables, pour des raisons tirées de l'intérêt des bonnes moeurs ou de l'hygiène, il forme, dans les huit jours, opposition à l'ouverture de l'école, et en informe le demandeur./ La même déclaration doit être faite en cas de changement des locaux de l'école, ou en cas d'admission d'élèves internes " ; qu'aux termes de l'article L. 441-3 du même code : " Les oppositions à l'ouverture d'une école privée sont jugées contradictoirement par le conseil académique de l'éducation nationale dans le délai d'un mois./ Appel de la décision rendue peut être interjeté dans les dix jours à compter de la notification de cette décision. L'appel est reçu par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation ; il est soumis au Conseil supérieur de l'éducation et jugé contradictoirement dans le délai d'un mois. / Le demandeur peut se faire assister ou se faire représenter par un conseil devant le conseil académique et devant le Conseil supérieur. En aucun cas, l'ouverture ne peut avoir lieu avant la décision d'appel " ; qu'aux termes de l'article L. 231-6 du même code : " Le Conseil supérieur de l'éducation statue en appel et en dernier ressort : / 1° Sur les jugements rendus en matière contentieuse et en matière disciplinaire par les conseils académiques de l'éducation nationale ; / (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que le Conseil supérieur de l'éducation, statuant en matière contentieuse, doit se prononcer sur le bien-fondé des seuls motifs, limitativement énumérés, tirés de l'intérêt des bonnes moeurs ou de l'hygiène, qui peuvent être invoqués par l'autorité ayant formé l'opposition ;

4. Considérant que, dès lors, un moyen tiré du non respect de règles d'urbanisme n'est pas au nombre de ceux que le Conseil supérieur de l'éducation, statuant sur une opposition du maire à l'ouverture d'une école privée, peut connaître ; que, par suite, en jugeant que les moyens tirés de l'implantation de l'école en zone non constructible du plan local d'urbanisme et de l'impossibilité d'un aménagement autre qu'agricole ne pouvaient être utilement soulevés devant lui, le Conseil supérieur de l'éducation n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas dénaturé les faits de l'espèce ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'en jugeant, d'une part, que, si la commune de Romagne soutenait que la délivrance d'un permis de construire pour une porcherie industrielle dans cette zone rendait surprenant le voisinage immédiat d'une école, elle n'apportait, en tout état de cause, aucun élément probant à l'appui de ses allégations et ne contestait pas que le permis de construire de cet établissement était devenu caduc, d'autre part, que, si la commune invoquait un doute sur la possibilité d'installer des dispositifs suffisants d'assainissement, elle n'avançait aucun élément précis permettant d'établir cette affirmation, le Conseil supérieur de l'éducation, qui a suffisamment motivé sa décision, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits de l'espèce ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la commune de Romagne ne pouvait utilement invoquer devant le Conseil supérieur de l'éducation le moyen tiré de l'insuffisance du dispositif de sécurité en matière d'incendie, lequel ne relevait ni de l'intérêt des bonnes moeurs ni de l'hygiène ; que, dès lors, en écartant ce moyen, qui était inopérant, le Conseil supérieur de l'éducation n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits de l'espèce ;

7. Considérant, en cinquième lieu, que si l'article R. 621-7 du code de justice administrative prévoit que les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise et que leurs observations sont consignées dans le rapport, cette disposition ne s'applique pas à un avis technique qui ne résulte pas d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge, mais est seulement produit par une partie ; que, par suite, en se fondant sur l'avis technique de la société 2D Consultant, produit par une des parties, qui n'avait pas été élaboré de manière contradictoire, mais qui avait été communiqué à la partie requérante, le Conseil supérieur de l'éducation, qui a suffisamment motivé sa décision, n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas dénaturé les pièces du dossier ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Romagne n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Romagne la somme de 3 500 euros à verser à l'association Michel Magon au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'association Michel Magon qui, n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Romagne est rejeté.
Article 2 : La commune de Romagne versera à l'association Michel Magon une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Romagne et à l'association Michel Magon.
Copie en sera adressée au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.


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