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Ariane Web: Conseil d'État 347006, lecture du 11 juin 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:347006.20140611

Décision n° 347006
11 juin 2014
Conseil d'État

N° 347006
ECLI:FR:CESSR:2014:347006.20140611
Inédit au recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
M. Frédéric Bereyziat, rapporteur
OCCHIPINTI, avocats


Lecture du mercredi 11 juin 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 février et 24 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCI Imotel, dont le siège est chez M. A...B..., 562, chemin du Bassin des Molx à Simiane-Collongue (13019) ; la SCI Imotel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08MA02104 du 20 décembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0503110 du 19 février 2008 du tribunal administratif de Marseille rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de la contribution additionnelle à cet impôt, de la contribution représentative du droit de bail et de la contribution additionnelle à cette contribution, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 1998 à 2000 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Béreyziat, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Occhipinti, avocat de la SCI Imotel ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI Imotel a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos de 1998 à 2000 ; qu'à l'issue des opérations de contrôle, l'administration a remis en cause, d'une part, le report sur ces exercices de certains déficits antérieurs et amortissements réputés différés, aux motifs que ces déficits étaient pour partie nés avant le 31 octobre 1996, date à laquelle étaient intervenues des transformations emportant cessation d'entreprise et que le calcul des déficits et amortissements différés était erroné, d'autre part, un passif qu'elle a regardé comme injustifié ; que, du chef de ces redressements, la société a été assujettie à des suppléments d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, assortis de majoration, au titre de chacun des exercices vérifiés ;

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les déficits et amortissements réputés différés :

2. Considérant qu'aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts relatif à la détermination de la base de l'impôt sur les sociétés, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " (...) en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice (...). Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté (...) sur les exercices suivants (...) " ; qu'aux termes de l'article 221 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 8 de la loi du 30 décembre 1985 de finances pour 1986 : " (...) 5. Le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise (...) " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la mise en oeuvre du droit au report déficitaire est subordonnée, notamment, à la condition que la société qui s'en prévaut n'ait pas subi, dans son activité réelle, de transformations telles qu'elle ne serait plus, en réalité, la même ;

3. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour refuser à la SCI Imotel le droit de reporter sur les exercices vérifiés ses déficits nés avant le 31 octobre 1996, la cour a, en premier lieu, relevé que la société contribuable avait, à compter de cette date, transformé en trente et un locaux à usage d'habitation puis loué les trois immeubles dont elle était propriétaire et qu'elle donnait jusqu'alors à bail à l'un de ses associés pour y exploiter un fonds de commerce d'hôtel-restaurant, en second lieu, jugé que les changements ainsi intervenus affectaient de manière profonde l'activité antérieure de la société civile immobilière, au point d'emporter cessation d'entreprise ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait des constatations qu'elle avait opérées que la nature de l'activité de la société elle-même, consistant à offrir à des preneurs la disposition de tout ou partie de l'immeuble à bail à titre civil, était demeurée inchangée et que la circonstance que les preneurs exercent des activités de nature différente avant et après le 31 octobre 1996 était sans incidence, la cour a commis une erreur de droit au regard des dispositions du 5 de l'article 221 du code général des impôts et, par suite, donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique inexacte ;

4. Considérant que si le ministre reprend dans son mémoire en défense présenté devant le Conseil d'Etat le moyen soulevé en appel et tiré de ce que la société n'apportait pas la preuve de la réalité des amortissements réputés différés et des déficits reportables d'exercices prescrits et demande que ce motif soit substitué au motif erroné en droit retenu par l'arrêt attaqué, une telle substitution supposerait une appréciation de circonstances de fait à laquelle le Conseil d'Etat, juge de cassation, ne peut se livrer ; qu'ainsi la demande de substitution de motifs ne saurait être accueillie ;

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le passif regardé comme injustifié :

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a réintégré dans l'actif net de la société au titre de l'exercice clos en 1996 la différence constatée entre, d'une part, les crédits inscrits aux comptes courants des quatre associés de la société et, d'autre part, le montant des apports justifiés par les intéressés ; que la société faisait toutefois valoir, devant le juge de l'impôt, que cette différence correspondait au transfert de créances préalablement détenues sur la société par les anciens associés et cédées le 31 octobre 1996, en même temps que les parts sociales, aux nouveaux associés ;

6. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter l'argumentation de la société, la cour a jugé qu'une société est réputée établir qu'une créance d'un tiers n'a pas été éteinte mais transférée à un autre tiers dans le cas où ont été respectées les formalités de publicité prévues, à l'égard des tiers intéressés au maintien de la créance, par les articles 1689 et 1690 du code civil et que, dans le cas où ces formalités n'ont pas été accomplies, elle peut cependant démontrer par tout moyen de preuve la réalité du transfert de créance ; qu'elle a relevé qu'en l'espèce, la SCI Imotel ne justifiait la réalité des transferts de créances allégués ni par l'accomplissement à l'égard de l'administration fiscale des formalités prévues par l'article 1690 du code civil, ni par aucun autre moyen de preuve ; qu'en statuant ainsi, la cour, contrairement à ce que soutient la SCI Imotel, a suffisamment motivé son arrêt et n'a commis aucune erreur de droit ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Imotel est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant seulement qu'il rejette ses conclusions en décharge dirigées contre les impositions établies à raison de la réintégration, dans les résultats des exercices vérifiés, de déficits antérieurs et amortissements réputés différés ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Imotel, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;






D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 20 décembre 2010 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il rejette les conclusions en décharge dirigées par la société Imotel contre les impositions auxquelles elle a été assujettie à raison de la réintégration, dans les résultats de ses exercices clos de 1998 à 2000, de déficits antérieurs et amortissements réputés différés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure définie à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera à la société Imotel la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Imotel est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Imotel et au ministre des finances et des comptes publics.