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Ariane Web: Conseil d'État 369692, lecture du 30 juillet 2014, ECLI:FR:CESJS:2014:369692.20140730

Décision n° 369692
30 juillet 2014
Conseil d'État

N° 369692
ECLI:FR:CESJS:2014:369692.20140730
Inédit au recueil Lebon
6ème sous-section jugeant seule
M. Samuel Gillis, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mercredi 30 juillet 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 26 juin 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la Section française de l'observatoire international des prisons, dont le siège est 7 bis, rue Riquet à Paris (75019) ; la Section française de l'observatoire international des prisons demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites nées du silence gardé par le Premier ministre et la ministre de la justice sur leur demande du 23 novembre 2013 tendant à l'abrogation des dispositions de l'article D. 221 du code de procédure pénale issues du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998 ;

2°) d'enjoindre, au besoin sous astreinte, au Premier ministre d'abroger l'article litigieux dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Samuel Gillis, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'observatoire international des prisons ;



1. Considérant qu'aux termes de l'article D. 221 du code de procédure pénale : " Les membres du personnel pénitentiaire et les personnes remplissant une mission dans l'établissement pénitentiaire ne peuvent entretenir avec les personnes placées ou ayant été placées par décision de justice sous l'autorité ou le contrôle de l'établissement ou du service dont ils relèvent, ainsi qu'avec leurs parents ou amis, des relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités de leurs fonctions." ; que l'association requérante demande l'annulation des décisions implicites nées du silence gardé par le Premier ministre et la garde des sceaux, ministre de la justice sur ses demandes tendant à l'abrogation de ces dispositions ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1.Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; que l'association soutient que les dispositions rappelées au point 1 méconnaissent ces stipulations en ce qu'elles autorisent une ingérence excessive dans le droit au respect de leur vie privée et familiale des personnes participant au service public pénitentiaire ;

3. Considérant que l'interdiction, pour les membres du personnel pénitentiaire et les personnes remplissant une mission dans l'établissement pénitentiaire, d'entretenir avec les personnes détenues, leurs parents ou amis, des relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités de leur mission répond à des impératifs tenant à la sécurité à l'intérieur de l'établissement et à l'égalité de traitement entre les personnes détenues ainsi qu'à la nécessité de protéger les droits et libertés de la personne détenue, placée, lorsqu'elle est en détention, dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis des personnes concourant au service public pénitentiaire ; que, dès lors, les dispositions critiquées n'ont pas apporté une ingérence excessive à l'exercice par ces personnes du droit au respect à la vie privée et familiale ; qu'en revanche, en étendant, sans en limiter la durée, cette interdiction aux personnes ayant été détenues et à leurs parents et amis, les dispositions contestées imposent des sujétions excessives au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, l'article D. 221 du code de procédure pénale, dont les dispositions sont sur ce point divisibles, est illégal dans cette mesure ; qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que la Section française de l'observatoire international des prisons est fondée à demander l'annulation des décisions contestées en tant qu'elles refusent d'abroger dans cette mesure ces dispositions ;

4. Considérant que la présente décision implique que le Premier ministre abroge l'article D. 221 du code de procédure pénale en tant qu'il comporte, à sa première phrase, les mots " ou ayant été placées " ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat d'ordonner cette abrogation dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision, sans toutefois assortir cette injonction d'une astreinte ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la Section française de l'observatoire international des prisons en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé sur les demandes présentées le 13 juillet 2012 par la Section française de l'observatoire international des prisons sont annulées en tant qu'elles refusent d'abroger l'article D. 221 du code de procédure pénale en tant qu'il comporte, à sa première phrase, les mots " ou ayant été placées ".

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de modifier l'article D. 221 du code de procédure pénale conformément aux motifs de la présente décision, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de celle-ci.

Article 3 : L'Etat versera à la Section française de l'observatoire international des prisons une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons, à la garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.