Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 363457, lecture du 15 octobre 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:363457.20141015

Décision n° 363457
15 octobre 2014
Conseil d'État

N° 363457
ECLI:FR:CESSR:2014:363457.20141015
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème et 5ème sous-sections réunies
M. Benjamin de Maillard, rapporteur
M. Rémi Keller, rapporteur public


Lecture du mercredi 15 octobre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°, sous le n° 363457, la requête, enregistrée le 18 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Royal Cinéma, dont le siège est rue du Maréchal Bosquet BP 265 à Mont-de-Marsan (40005), représentée par son président directeur général en exercice ; la société Royal Cinéma demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 193 du 12 juillet 2012 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial, statuant en matière cinématographique, a accordé à la société Altae l'autorisation préalable requise en vue de la création d'un établissement de spectacles cinématographiques de huit salles et 1 350 places, à l'enseigne " Le Grand Club ", à Mont-de-Marsan (Landes) ;

2°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société Altae la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu 2°, sous le n° 363458, la requête, enregistrée le 18 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Royal Cinéma, dont le siège est rue du Maréchal Bosquet BP 265 à Mont-de-Marsan (40005), représentée par son président directeur général en exercice ; la société Royal Cinéma demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 192 du 12 juillet 2012 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial, statuant en matière cinématographique, lui a refusé l'autorisation préalable requise en vue de la création d'un établissement de spectacles cinématographiques de neuf salles et 1 298 places, à l'enseigne " Le Royal ", à Mont-de-Marsan (Landes) ;

2°) d'enjoindre à la commission nationale de statuer de nouveau sur sa demande dans un délai de trois mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code du cinéma et de l'image animée ;

Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;

Vu le décret n° 2008-1212 du 24 novembre 2008 ;

Vu le décret n° 2009-1393 du 11 novembre 2009 ;

Vu le décret n° 2011-921 du 1er août 2011 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin de Maillard, auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;



1. Considérant que, par deux décisions du 12 juillet 2012, la Commission nationale d'aménagement commercial, statuant en matière cinématographique, a, d'une part, accordé à la société Altae l'autorisation de créer un établissement de spectacles cinématographiques de huit salles et 1 350 places, à l'enseigne " Le Grand Club ", à Mont-de-Marsan (Landes) et, d'autre part, refusé à la société Royal Cinéma l'autorisation de créer un établissement de neuf salles et 1 298 places, à l'enseigne " Le Royal " en remplacement du cinéma qu'elle exploite sous cette même enseigne à Mont-de-Marsan ; que la société requérante demande, sous le n° 363457, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle la commission nationale a accordé au projet à l'enseigne " Le Grand Club " l'autorisation requise et, sous le n° 363458, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle la commission nationale a refusé d'autoriser son projet ; que ces requêtes présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la requête n° 363457 tendant à l'annulation de la décision autorisant le projet à l'enseigne du " Grand Club " :

En ce qui concerne la composition du dossier de la demande d'autorisation :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, eu égard notamment aux attestations notariales établissant la promesse de vente du terrain fournies par la pétitionnaire, la commission nationale a pu légalement estimer que la pétitionnaire justifiait de la maîtrise foncière du site d'implantation du projet ;

3. Considérant que, si la société requérante soutient que le dossier de demande a omis de mentionner un cinéma de 103 fauteuils et un écran qui se trouvait dans la zone d'influence cinématographique de 29 minutes de trajet automobile par rapport au lieu du projet, l'absence de cette mention est, en tout état de cause, eu égard à la taille et à la situation de ce cinéma, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;

En ce qui concerne l'appréciation de la commission nationale :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 30-1 du code de l'industrie cinématographique, résultant de l'article 105 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée, depuis lors codifié à l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée : " Les créations, extensions et réouvertures au public d'établissements de spectacles cinématographiques doivent répondre aux exigences de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme, en tenant compte de la nature spécifique des oeuvres cinématographiques. Elles doivent contribuer à la modernisation des établissements de spectacles cinématographiques et à la satisfaction des intérêts du spectateur tant en ce qui concerne la programmation d'une offre diversifiée que la qualité des services offerts " ; qu'aux termes de l'article 30-3 du même code, désormais codifié à l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée : " Dans le cadre des principes définis à l'article 30-1, la commission d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique se prononce sur les deux critères suivants : / 1° L'effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique concernée, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) Le projet de programmation envisagé pour l'établissement de spectacles cinématographiques objet de la demande d'autorisation et, le cas échéant, le respect des engagements de programmation éventuellement contractés en application de l'article 90 de la loi n° 82-52 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ; / b) La nature et la diversité culturelle de l'offre cinématographique proposée dans la zone concernée, compte tenu de la fréquentation cinématographique ; / c) La situation de l'accès des oeuvres cinématographiques aux salles et des salles aux oeuvres cinématographiques pour les établissements de spectacles cinématographiques existants ; / 2° L'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) L'implantation géographique des établissements de spectacles cinématographiques dans la zone d'influence cinématographique et la qualité de leurs équipements ; / b) La préservation d'une animation culturelle et le respect de l'équilibre des agglomérations ; / c) La qualité environnementale appréciée en tenant compte des différents modes de transports publics, de la qualité de la desserte routière, des parcs de stationnement ; / d) L'insertion du projet dans son environnement ; / e) La localisation du projet " ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet d'équipement cinématographique contesté compromet la réalisation des objectifs et principes énoncés par la loi ; qu'il appartient aux commissions d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique, lorsqu'elles se prononcent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs et principes, au vu des critères d'évaluation et indicateurs mentionnés à l'article 30-3 du code de l'industrie cinématographique, désormais codifié à l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée, parmi lesquels ne figure plus la densité d'équipements en salles de spectacles cinématographiques dans la zone d'attraction du projet ;

6. Considérant que, si la société requérante soutient que le projet autorisé compromettrait l'objectif de diversité de l'offre cinématographique dans la mesure où il entraînera la fermeture du cinéma de six écrans et 844 places qu'elle exploite actuellement dans le centre-ville de Mont-de-Marsan, il ressort toutefois des pièces du dossier que le projet, qui prévoit la création d'un " multiplexe " de huit salles et 1 350 places, proposera aux spectateurs une offre cinématographique plus large et mieux adaptée aux exigences de confort et de qualité que l'établissement existant, déjà ancien ; que le moyen tiré de ce que la décision contestée compromettrait l'objectif de diversité de l'offre cinématographique doit donc être écarté ;

7. Considérant que, si la société requérante soutient que la circulation automobile dans le coeur du centre-ville de Mont-de-Marsan, où doit être implanté le projet, est déjà saturée, il ressort des pièces du dossier, et notamment des rapport des services instructeurs, que sa création n'entraînera pas d'accroissement significatif de la circulation et que le projet sera facilement accessible par les piétons et les cyclistes ainsi que par les transports en commun ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que le nombre de places de parking serait insuffisant au regard du nombre de places prévues, compte tenu des parkings déjà existants à proximité et des horaires de fréquentation du cinéma ; que, si le projet n'a pas obtenu de label HQE, un tel label n'est requis par aucune disposition applicable ; que si l'insertion du projet dans son paysage urbain apparaît de qualité moyenne, cette circonstance n'est pas, à elle seule, de nature à remettre en cause la légalité de la décision contestée ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée compromettrait l'objectif d'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme doit être écarté ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de la commission nationale autorisant le projet à l'enseigne " Le Grand Club " ;

Sur la requête n° 363458 tendant à l'annulation de la décision refusant le projet de la société requérante :

En ce qui concerne l'appréciation de la commission nationale :

9. Considérant, en premier lieu, que si le projet en cause aurait eu pour effet d'augmenter d'un total de onze salles l'offre cinématographique existante dans la zone d'influence concernée compte tenu de l'autorisation, accordée par ailleurs par la commission nationale, d'ouvrir un ensemble de huit salles dans le centre-ville de Mont-de-Marsan et dont la commission a relevé, dans la décision attaquée, qu'elle était de nature à diversifier l'offre cinématographique, il ne ressort pas des pièces du dossier que la création de trois salles supplémentaires dans cette agglomération, où l'offre cinématographique était jusqu'alors limitée, n'aurait pas été de nature à augmenter l'offre cinématographique en termes de sièges, d'oeuvres diffusées et d'accès du public à ces dernières ; qu'il n'est, en tout état de cause, pas établi par les pièces versées au dossier que la création des deux " multiplexes " entraînerait des tensions dans l'accès aux films, contrairement à ce qu'a également relevé la commission ;

10. Considérant, en second lieu, que la commission nationale a estimé que le projet de la société Royal cinéma compromettrait l'objectif d'aménagement culturel du territoire eu égard à son impact négatif sur l'animation du centre-ville de Mont-de-Marsan, à sa localisation dans une zone résidentielle excentrée à proximité d'une voie proche de la saturation, à l'absence de transports en commun ainsi qu'à son accès limité par les " modes doux " de transport ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que le site d'implantation du projet en cause n'est pas situé dans une zone excentrée mais à proximité immédiate du centre-ville, dans une zone déjà urbanisée, comportant notamment plusieurs établissements d'enseignement, des équipements culturels, des locaux professionnels publics et privés, ainsi que des bâtiments résidentiels ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment aux avis des services instructeurs, que les voies routières seraient saturées ; que l'accès par transport en commun ou en " mode doux " est possible à proximité du site ;

11. Considérant que la commission nationale a ainsi fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant l'autorisation sollicitée par la société requérante ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la société requérante est fondée à demander l'annulation de la décision attaquée ; que l'exécution de la présente décision implique que la demande de la société Royal Cinéma soit réexaminée ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Altae, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Royal Cinéma la somme de 1 500 euros à verser à la société Altae et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Royal Cinéma au titre des mêmes dispositions ;



D E C I D E :
--------------

Article 1er : La requête n° 363457 de la société Royal Cinéma est rejetée.

Article 2 : La décision de la Commission nationale d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique n° 192 du 12 juillet 2012 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique de procéder au réexamen de la demande de la société Royal Cinéma dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : La société Royal Cinéma versera une somme de 1 500 euros à la société Altae au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Royal Cinéma au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Royal Cinéma, à la société Altae et à la Commission nationale d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique.
Copie en sera adressée pour information au médiateur du cinéma et à la ministre de la culture et de la communication.


Voir aussi