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Ariane Web: Conseil d'État 366305, lecture du 17 octobre 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:366305.20141017

Décision n° 366305
17 octobre 2014
Conseil d'État

N° 366305
ECLI:FR:CESSR:2014:366305.20141017
Inédit au recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Jean-Baptiste de Froment, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public


Lecture du vendredi 17 octobre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 22 février 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la région Guyane, dont le siège est AJ Cité administrative régionale 4179, route de Montabo BP 7025 à Cayenne cedex (97307) ; la région Guyane demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à ce que soit pris le décret d'application prévu par le II de l'article 48 de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer et relatif à la délivrance des titres miniers en mer, aujourd'hui codifié à l'article L. 611-33 du code minier ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter ce décret dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir, assorti d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 21 ;

Vu le code minier ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;



1. Considérant qu'en vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l'exécution des lois " et " exerce le pouvoir réglementaire " sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets délibérés en Conseil des ministres par l'article 13 de la Constitution ; que l'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision implicite refusant de prendre le décret mentionné à l'article L. 611-33 du code minier, issu de la loi du 13 décembre 2000 :

2. Considérant que l'article L. 611-31 du code minier, inséré dans le livre VI relatif à l'outre-mer, prévoit que : " Lorsqu'elles concernent des titres miniers en mer ne portant pas sur des minerais ou produits utiles à l'énergie atomique, relèvent de la compétence de la région : / 1° La délivrance et la prolongation d'un permis exclusif de recherches ; / 2° L'autorisation nécessaire pour que l'explorateur non titulaire d'un permis exclusif de recherches dispose des produits extraits de ses recherches prévue par l'article L. 121-3 ; / 3° La délivrance et la prolongation de la concession ; / 4° La délivrance et la prolongation du permis d'exploitation ; / 5° L'autorisation de fusion de permis exclusifs de recherches de mines contigus prévue à l'article L. 141-2 ; / 6° L'autorisation de mutation d'un permis exclusif de recherches ou d'une concession ; / 7° L'autorisation d'amodiation d'un permis d'exploitation ou d'une concession ; / 8° L'acceptation d'une renonciation, totale ou partielle, à des droits de recherches et d'exploitation ; / 9° La décision de retrait d'un permis exclusif de recherches ou d'une concession dans les cas prévus à l'article L. 173-5 ou d'un permis d'exploitation dans les cas prévus à l'article L. 611-28. " ; qu'aux termes de l'article L. 611-32 du même code : " La région prononce les décisions énumérées à l'article L. 611-31 après avis du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies. Si elle s'en écarte, elle doit motiver sa décision. " ; qu'aux termes de l'article L. 611-33 : " Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application des articles L. 611-31 et L. 611-32. " ;

3. Considérant que ces dispositions, issues de la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer, ne peuvent, en raison de leur généralité, recevoir application sans qu'un décret précise, notamment, les modalités selon lesquelles les décisions relatives à la délivrance des titres miniers en mer, énumérées à l'article L. 611-31 du code minier, seront prises par la région ; que, dans ces conditions, les dispositions législatives mentionnées ci-dessus ne laissent pas à la libre appréciation du Premier ministre l'édiction du décret dont elles prévoient l'intervention ; que l'intervention de ce décret est une condition nécessaire à l'application de ces dispositions ; qu'en dépit des difficultés rencontrées par l'administration dans l'élaboration de ce texte, le délai raisonnable au terme duquel le décret aurait dû être adopté a été dépassé ; que si le ministre invoque la nécessité de transposer la directive n°2013/30/UE du 12 juin 2013 relative à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer et modifiant la directive 2004/25/CE, cette directive est, en tout état de cause, postérieure à la date de la décision attaquée ; qu'au demeurant, aucune disposition de cette directive ne fait obstacle à ce soient appliquées les dispositions législatives citées au point 2 ; que, dans ces conditions, la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre le décret prévu par l'article L. 611-33 du code minier ne peut qu'être annulée ;

Sur les conclusions tendant à la prescription de mesures d'exécution et au prononcé d'une astreinte :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure, assortie le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; que, selon l'article L 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite (...) d'une astreinte (...) " ;

5. Considérant que l'annulation de la décision du Premier ministre refusant de prendre le décret mentionné à l'article L. 611-33 du code minier implique nécessairement l'édiction de ce décret ; qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner au Premier ministre d'édicter ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions présentées par la région Guyane au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la région Guyane d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre le décret prévu à l'article L. 611-33 du code minier est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, le décret prévu à l'article L. 611-33 du code minier.

Article 3 : L'Etat versera à la région Guyane une somme de 3 000 euros au titre de L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la région Guyane est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la région Guyane, au Premier ministre, au ministre du redressement productif et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.