Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 382495, lecture du 22 octobre 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:382495.20141022

Décision n° 382495
22 octobre 2014
Conseil d'État

N° 382495
ECLI:FR:CESSR:2014:382495.20141022
Inédit au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Jean-Dominique Nuttens, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 22 octobre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°, sous le n° 382495, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 et 28 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société EBM Thermique, dont le siège est Zone industrielle Zinsel 7 rue d'Uberach à Schweighouse-sur-Moder (67590) ; la société EBM Thermique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1402924 du 24 juin 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Dalkia, annulé la procédure de passation du marché d'exploitation des installations thermiques et climatiques des bâtiments communaux de la ville de Saint-Louis ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la société Dalkia ;

3°) de mettre à la charge de la société Dalkia le versement d'une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu 2°, sous le n° 382597, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 et 30 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la commune de Saint-Louis, représentée par son maire ; la commune de Saint-Louis demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la même ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Dalkia ;

3°) de mettre à la charge de la société Dalkia le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 octobre 2014, présentée pour la société Dalkia ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Nuttens, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la Société EBM Thermique, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Dalkia France, et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la commune de Saint-Louis ;


1. Considérant que les pourvois de la société EBM Thermique et de la commune de Saint-Louis sont dirigés contre la même ordonnance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages (...) " ; que, selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-3 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué (...) " ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commune de Saint-Louis a lancé, par un avis d'appel public à la concurrence adressé pour publication le 10 février 2014, une consultation sous forme d'appel d'offres ouvert ayant pour objet l'exploitation et la maintenance des installations de chauffage, de production d'eau chaude sanitaire et de ventilation des bâtiments communaux ; que la société EBM Thermique et la commune de Saint-Louis se pourvoient en cassation contre l'ordonnance du 24 juin 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a annulé la procédure de passation du marché ;

4. Considérant que, pour annuler cette procédure, le juge des référés a relevé, en premier lieu, que M. A...B..., adjoint au maire de la commune de Saint-Louis, était membre du conseil d'administration de la société EBM (Genossenschaft Elektra Birsek), société de droit suisse dont la sous-filiale EBM Thermique est l'attributaire du marché litigieux, en deuxième lieu, que M. B...était, au sein de la commune de Saint-Louis, la " personne responsable du marché précédent ", en troisième lieu, qu'en cours de procédure, il avait fait parvenir aux candidats les réponses aux questions qu'ils avaient posées ;

5. Considérant, cependant, qu'en déduisant des seuls éléments mentionnés ci-dessus que " l'implication " de M. B...pouvait être regardée comme un manquement aux règles d'impartialité et d'égalité de traitement des candidats, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que M. B...siégeait au sein du conseil d'administration de la société coopérative EBM (Genossenschaft Elektra Birseck) pour y avoir été élu par une assemblée des délégués dont il était membre en qualité d'abonné au réseau public de distribution d'électricité concédé à cette société par la commune de Saint-Louis depuis 1906 et qu'il ne ressortait pas de ces pièces qu'il aurait eu un intérêt personnel à l'issue de la procédure ou une capacité d'influence particulière sur son déroulement, de nature à créer un doute légitime sur son impartialité, le juge des référés a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite, son ordonnance doit être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois ;

6. Considérant qu'il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Dalkia en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant, en premier lieu, que la société Dalkia soutient que les conditions dans lesquelles la procédure litigieuse a conduit à l'attribution du marché sont de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité du pouvoir adjudicateur, aux motifs, d'une part, que l'impartialité de M. A...B...peut être elle-même mise en doute, d'autre part, que la commune a attribué à la société EBM Thermique, sous-filiale de la société coopérative EBM, titulaire du contrat de concession du réseau de distribution d'électricité de la commune de Saint-Louis, une délégation de service public et deux marchés publics dans le secteur de la production de chaleur et de l'exploitation de réseaux et d'installation de chauffage, systématiquement à son détriment, et qu'elle est membre affilié de la société EBM, où elle désigne périodiquement un représentant siégeant à l'assemblée des délégués ;

8. Considérant, cependant, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'aucune circonstance ne permet de caractériser un intérêt personnel ou une capacité d'influence particulière de nature à créer un doute légitime sur l'impartialité de M. B...; que les allégations selon lesquelles, du fait de sa connaissance du marché antérieurement confié à la société Dalkia, il aurait pu communiquer des informations confidentielles à la société EBM Thermique ou influencer la définition du besoin du pouvoir adjudicateur de manière à avantager la sous-filiale de la société coopérative EBM ne sont assorties d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

9. Considérant, par ailleurs, que l'existence de contrats conclus antérieurement entre la commune de Saint-Louis et la société EBM Thermique, comme la représentation de la commune au sein des instances de la société EBM (Genossenschaft Elektra Birseck) en tant qu'abonné au réseau électrique de cette société de forme coopérative, ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à faire naître un doute sur l'impartialité du pouvoir adjudicateur ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que si la société Dalkia fait valoir que l'insuffisance des informations transmises aux candidats sur le critère de la valeur technique et ses conditions de mise en oeuvre ne lui a pas permis d'adapter son offre aux attentes du pouvoir adjudicateur, il résulte de l'instruction que le cahier des charges du marché litigieux précisait que le critère de la valeur technique, pondéré à 50 % pour la notation des offres, serait apprécié au regard de la méthodologie (20 %), des moyens humains et des références de l'équipe affectée au contrat et des moyens logistiques et techniques consacrés au contrat (15 %), enfin des moyens mis en oeuvre pour l'optimisation énergétique des installations (15 %) ; que l'article 6.1.1.2 du règlement de la consultation exigeait la présentation d'un mémoire technique détaillant l'ensemble des informations attendues des candidats tant en ce qui concerne la méthodologie que les moyens affectés au marché ; que ce moyen doit, par suite, être écarté ;

11. Considérant, en troisième lieu, que, si le pouvoir adjudicateur a l'obligation d'indiquer dans les documents de la consultation les critères d'attribution du marché et leurs conditions de mise en oeuvre, il n'est en revanche pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres ; que la société Dalkia n'est par suite pas fondée à soutenir qu'en l'absence de communication des volumes prévisionnels pris en compte pour l'appréciation des prix unitaires proposés, le pouvoir adjudicateur aurait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

12. Considérant, en quatrième lieu, que la société Dalkia soutient que la commune de Saint-Louis a appliqué une méthode de notation du prix qui ne conduit pas à l'attribution de la meilleure note à l'offre la moins chère, dès lors qu'au regard des estimations de consommation utilisées par le pouvoir adjudicateur pour noter les offres sur le critère du prix, telles qu'elles ressortent du procès-verbal des délibérations du 22 mai 2014, ses offres, à titre d'offre de base et de variante, étaient moins coûteuses que l'offre variante de la société EBM Thermique, qui a pourtant obtenu la meilleure note sur le critère du prix ; qu'il résulte cependant de l'instruction que, si les offres de base des candidats ont été notées sur la base de quantités estimées identiques, les variantes l'ont été en prenant en considération les consommations estimées résultant des solutions techniques alternatives proposées par les candidats à l'appui de leurs offres ; que le moyen tiré de ce que la méthode de notation du critère prix ne conduisait pas à attribuer la meilleure note à l'offre la plus avantageuse ne peut par suite qu'être écarté ;

13. Considérant que si la société Dalkia soutient que les informations prévues par les articles 80 et 83 du code des marchés publics ne lui ont pas été transmises, il résulte de l'instruction que, par des courriers datés respectivement du 19 mai et du 11 juin 2014, la commune de Saint-Louis lui a indiqué le détail de la notation de son offre, le nom du candidat retenu, le montant de son offre et les notes qui lui ont été attribuées ainsi que des éléments de comparaison entre les deux offres ; que, par suite, la société Dalkia France n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir qu'elle n'a pas été suffisamment informée des motifs de rejet de son offre et qu'ont été méconnues les dispositions de l'article 83 du code des marchés publics ;

14. Considérant, en dernier lieu, qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, à l'issue de la consultation, sur les mérites respectifs des offres ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par la société Dalkia devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg doit être rejetée ;

16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société EBM Thermique et de la commune de Saint-Louis, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement des sommes demandées par la société Dalkia au titre de ces dispositions ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Dalkia, au titre des mêmes dispositions, le versement à la société EBM Thermique et à la commune de Saint-Louis d'une somme de 4 500 euros chacune pour la procédure suivie devant le Conseil d'Etat et devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 24 juin 2014 est annulée.
Article 2 : La demande de la société Dalkia devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Dalkia versera à la société EBM Thermique, d'une part, et à la commune de Saint Louis, d'autre part, une somme de 4 500 euros.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société EBM Thermique, à la commune de Saint-Louis et à la société Dalkia.