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Ariane Web: Conseil d'État 369766, lecture du 24 octobre 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:369766.20141024

Décision n° 369766
24 octobre 2014
Conseil d'État

N° 369766
ECLI:FR:CESSR:2014:369766.20141024
Inédit au recueil Lebon
6ème / 1ère SSR
Mme Sophie Roussel, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du vendredi 24 octobre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin et 27 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Section française de l'observatoire international des prisons, dont le siège est 7 bis, rue Riquet à Paris (75019) ; la requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes II et III de l'article 7, le paragraphe V de l'article 19 et les articles 29, 47 et 48 du règlement intérieur type annexé au décret n° 2013-368 du 30 avril 2013 relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires ainsi que l'article 2 de ce décret, en tant qu'il abroge les articles D. 284 et D. 285 du code de procédure pénale ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'observatoire international des prisons ;



1. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. " ; que, d'autre part, aux termes de l'article 728 du code de procédure pénale : " Des règlements intérieurs types, prévus par décret en Conseil d'Etat, déterminent les dispositions prises pour le fonctionnement de chacune des catégories d'établissements pénitentiaires. " ; que le décret attaqué, auquel est annexé un règlement intérieur type, a été pris pour l'application de ces dispositions ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 7 du règlement intérieur type annexé au décret attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa du II de cet article : " Les personnels pénitentiaires procèdent, en l'absence de la personne détenue, à.des fouilles fréquentes et minutieuses de la cellule Les objets encombrants de la cellule et, de ce fait, gênant ou retardant les contrôles de sécurité ainsi que les objets dont l'utilisation présente un risque sont déposés au vestiaire. (des fouilles fréquentes et minutieuses de la cellule) " ;

3. Considérant, d'une part, que contrairement à ce qui est soutenu, le Gouvernement était compétent, en vertu de l'article 728 du code de procédure pénale cité au point 1, pour encadrer par les dispositions litigieuses les modalités de fouille des cellules des personnes détenues ; que, d'autre part, ces dispositions ne méconnaissent pas celles du premier alinéa de l'article 57 de la loi pénitentiaire, qui précisent les modalités de fouille des cellules des personnes détenues et selon lesquelles " Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. " ; qu'enfin, ces dispositions n'autorisent pas, contrairement à ce qui est soutenu, une ingérence excessive dans les droits des personnes détenues au respect de leur vie privée, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dont les personnes détenues ne bénéficient, ainsi que le rappelle l'article 22 de la loi pénitentiaire cité au point 1, que dans les limites résultant des contraintes inhérentes à la détention et des nécessités tenant, notamment, au maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements ;

4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 803 du code de procédure pénale : " Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite. " ; que contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions du deuxième alinéa du III du même article 7 du règlement intérieur type, selon lesquelles la personne détenue " peut, sur ordre du chef d'établissement, être soumise au port de moyens de contrainte s'il n'est d'autre possibilité de la maîtriser, l'empêcher de causer des dommages ou de porter atteinte à elle-même ou à autrui ", ne méconnaissent pas celles de l'article 803 du code de procédure pénale citées ci-dessus, qu'elles ne font que préciser ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses seraient entachées d'incompétence et contraires à cet article doit être écarté ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 19 du règlement intérieur type :

5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du V de cet article : " La sortie des écrits faits par une personne détenue en vue de leur publication ou de leur divulgation est autorisée par le directeur interrégional des services pénitentiaires. / Sans préjudice d'une éventuelle saisie par l'autorité judiciaire et sous réserve de l'exercice des droits de la défense, tout manuscrit rédigé en détention peut être retenu pour des raisons d'ordre et n'être restitué à son auteur qu'au moment de sa libération. " ;

6. Considérant, d'une part, qu'il résulte de ces dispositions, combinées avec celles de l'article 22 de la loi pénitentiaire citées au point 1, que les motifs pour lesquels le directeur interrégional des services pénitentiaire pourrait décider de retenir des écrits rédigés en détention sont, contrairement à ce qui est soutenu, définis avec une précision suffisante ; que, d'autre part, si le second alinéa du V de l'article 19 du règlement intérieur type autorise la retenue des manuscrits rédigés en détention, une telle mesure ne peut intervenir lorsque, sur le fondement de l'article 42 de la loi pénitentiaire qui reconnaît à la personne détenue " le droit à la confidentialité de ses documents personnels ", les documents ont été confiés par l'intéressé au greffe de l'établissement ; que dans ces conditions, les dispositions litigieuses ne constituent une ingérence excessive ni dans le droit au respect de la vie privée des personnes détenues, ni dans leur droit à la liberté d'expression, garantis respectivement par les articles 8 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

7. Considérant, en second lieu, que les conclusions tendant à l'annulation du paragraphe VII de l'article 19 du règlement intérieur type annexé au décret attaqué, présentées après l'expiration du délai de recours contentieux, sont, pour ce motif, irrecevables ; qu'elles ne peuvent donc qu'être rejetées ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 29 du règlement intérieur type :

8. Considérant que cet article dispose que : " Lors du déroulement des visites, il est interdit (des fouilles fréquentes et minutieuses de la cellule) d'adopter des attitudes ou comportements indécents (des fouilles fréquentes et minutieuses de la cellule). Dans le cas contraire, le parloir peut être interrompu. " ; que, dès lors que les articles 36 de la loi pénitentiaire et R. 57-8-13 et R. 57-8-14 du code de procédure pénale permettent à la personne détenue, dans le cadre d'unités de vie familiale et de parloirs familiaux ne faisant pas l'objet d'une surveillance continue et directe, d'entretenir des relations intimes avec ses proches, les dispositions litigieuses ne portent pas, en interdisant dans les parloirs tout comportement indécent, une atteinte excessive au droit au respect à la vie privée et familiale des personnes détenues ;

Sur les conclusions dirigées contre les articles 47 et 48 du règlement intérieur type :

9. Considérant que l'article 717-1 du code de procédure pénale prévoit notamment que le régime de détention des condamnés est déterminé en prenant en compte leur personnalité, leur santé, leur dangerosité et leurs efforts en matière de réinsertion sociale ; qu'en vertu de cet article, le placement d'une personne détenue sous un régime plus sévère ne saurait porter atteinte aux droits visés à l'article 22 de la loi pénitentiaire ; que l'article 717-2 du même code dispose : " Les condamnés sont soumis dans les maisons d'arrêt à l'emprisonnement individuel de jour et de nuit, et, dans les établissements pour peines, à l'isolement de nuit seulement, après avoir subi éventuellement une période d'observation en cellule. / Il ne peut être dérogé à ce principe que si les intéressés en font la demande ou si leur personnalité justifie que, dans leur intérêt, ils ne soient pas laissés seuls, ou en raison des nécessité d'organisation du travail. " ; que l'article 47 du règlement intérieur type annexé au décret attaqué se borne à préciser le régime de détention applicable dans les maisons centrales, tandis que son article 48 précise celui applicable dans les centres de détention ; que ces dispositions n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet ni pour effet de priver la personne condamnée de l'examen individuel de sa situation, prévu par l'article 717-1 du code de procédure pénale, afin de déterminer le régime de détention qui lui sera appliqué ; que, d'autre part, elles ne font pas obstacle aux aménagements des régimes de détention autorisés par le second alinéa de l'article 717-2 du code ; que la requérante n'est donc pas fondée à soutenir que les dispositions litigieuses auraient méconnu ces articles ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 2 du décret attaqué :

10. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans tous les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " ; qu'aux termes de l'article 37 de la même convention : " Les Etats parties veillent à ce que : (des fouilles fréquentes et minutieuses de la cellule) c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l'on estime préférable de ne pas le faire dans l'intérêt supérieur de l'enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites, sauf circonstances exceptionnelles. " ; que l'abrogation, par l'article 2 du décret attaqué, des articles D. 284 et D. 285 du code de procédure pénale, relatifs, d'une part, à l'information immédiate de la famille et des services de la protection judiciaire de la jeunesse, par l'intéressé lui-même ou à défaut par le chef d'établissement, de l'incarcération et, d'autre part, à la visite dès que possible d'un personnel du service d'insertion et de probation, n'a pas, par elle-même, pour effet de méconnaître ces stipulations, qui n'imposent pas aux Etats parties à la convention de prendre des mesures réglementaires ayant une telle portée ; qu'au demeurant, ces stipulations, qui sont d'effet direct, s'imposent aux décisions individuelles prises par l'administration pénitentiaire ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Section française de l'observatoire international des prisons n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Section française de l'observatoire international des prisons est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.