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Ariane Web: Conseil d'État 378392, lecture du 19 novembre 2014, ECLI:FR:CESJS:2014:378392.20141119

Décision n° 378392
19 novembre 2014
Conseil d'État

N° 378392
ECLI:FR:CESJS:2014:378392.20141119
Inédit au recueil Lebon
5ème sous-section jugeant seule
M. Charles Touboul, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du mercredi 19 novembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 23 avril, 14 mai et 16 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département des Hautes-Alpes, représenté par le président du conseil général ; le département des Hautes-Alpes demande au Conseil d'Etat :

1° d'annuler, pour excès de pouvoir, le décret n° 2014-193 du 20 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département des Hautes-Alpes ;

2° d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du ministre de l'intérieur du 24 mars 2014 rejetant le recours gracieux dirigé contre ce décret ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code électoral ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-667 DC du 16 mai 2013 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles Touboul, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du département des Hautes-Alpes ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " Le nombre de cantons dans lesquels sont élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil départemental qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. / II. - La qualité de chef-lieu de canton est maintenue aux communes qui la perdent dans le cadre d'une modification des limites territoriales des cantons, prévue au I, jusqu'au prochain renouvellement général des conseils départementaux. / III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d'autres impératifs d'intérêt général " ;

3. Considérant que le décret attaqué procède, en application de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, à une nouvelle délimitation des cantons du département des Hautes-Alpes, tenant compte de l'exigence de réduction du nombre des cantons de ce département de 30 à 15 résultant de l'article L. 191-1 du code électoral ;

Sur la légalité externe :

4. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, telle qu'elle a été produite au dossier par le ministre de l'intérieur, que le texte publié ne contient pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat ; que le département requérant n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le décret litigieux aurait, pour ce motif, été pris selon une procédure irrégulière ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales se bornent à prévoir la consultation du conseil général du département concerné sur les créations, suppressions et modifications de cantons ; qu'aucune autre disposition législative ou réglementaire non plus qu'aucun principe n'impose que la modification de la délimitation des cantons fasse l'objet d'autres consultations ; que, contrairement à ce que soutient le département requérant, ni les dispositions de l'article L. 1115-6 du code général des collectivités territoriales, ni celles de l'article L. 5211-45 du même code n'imposaient de consulter la commission nationale de la coopération décentralisée ou la commission départementale de coopération intercommunale sur le projet de décret ;

6. Considérant, en troisième lieu, que l'instance dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mise à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision ; qu'il ressort des pièces du dossier que le conseil général a été saisi d'un projet accompagné d'un exposé des motifs décrivant, avec une précision suffisante, la méthode retenue pour procéder à la nouvelle délimitation ; que ces éléments ont mis le conseil général à même d'exprimer un avis sur les questions soulevées par le projet, notamment sur les modalités de mise en oeuvre de la nouvelle délimitation des cantons prévue par le législateur et le choix des bureaux centralisateurs, de formuler des observations et de faire des propositions d'amendements aptes à répondre à ses préoccupations ; que le décret attaqué se bornant à identifier pour chaque canton un bureau centralisateur, sans définir un nouveau chef-lieu de canton, le moyen tiré de ce que le conseil général n'a pas été consulté sur les nouveaux chefs-lieux de canton ne peut qu'être écarté ;

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne la délimitation des cantons :

7. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que le territoire de chaque canton doit être établi sur des bases essentiellement démographiques, qu'il doit être continu et que toute commune de moins de 3 500 habitants doit être entièrement comprise dans un même canton, des exceptions de portée limitée et spécialement justifiées pouvant toutefois être apportées à ces règles ;

8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales : " (...) III. La modification des limites territoriales des cantons (...) est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3500 habitants ; / IV. Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d'autres impératifs d'intérêt général " ; que les dispositions du III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales qui, afin de respecter le principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant le suffrage, prévoient que le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques, n'imposent pas que, dans un même département, la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population et permettent de regarder comme admissible un écart de l'ordre de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne de la population par canton au sein du département, notamment afin de respecter les exigences du b) et du c) du III de cet article, et à condition qu'un écart de cet ordre repose sur des considérations dénuées d'arbitraire ; qu'en vertu du IV du même article, des exceptions limitées peuvent être apportées au caractère essentiellement démographique de la délimitation d'un canton, lorsque des considérations géographiques, au nombre desquelles figurent, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 mai 2013, l'insularité, le relief, l'enclavement ou la superficie, ainsi que d'autres impératifs d'intérêt général, imposent de s'écarter de la ligne directrice que constitue un écart de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne de la population par canton au sein du département ;

9. Considérant que contrairement à ce que soutient le département requérant, il ressort des pièces du dossier que le canton de Briançon-2 présente un écart de 19,66 % et non de 25,7 % par rapport à la moyenne de la population cantonale dans le département des Hautes-Alpes et respecte ainsi la ligne directrice de plus ou moins 20 % ; que cet écart repose sur des considérations, tirées des limites des îlots regroupés pour l'information statistique (IRIS) établis par l'INSEE, qui sont dénuées d'arbitraire ; qu'il ne méconnaît donc pas les dispositions du III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales ; que les écarts de 27,6 % et 23,5 % dans les cantons de L'Argentière et de Veynes excèdent les disparités démographiques admissibles sur le fondement du III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales ; qu'il ressort des pièces du dossier que le Gouvernement a procédé à la délimitation de ces deux cantons en se fondant, à titre principal, sur les nécessités résultant de la prise en compte des contraintes géographiques du territoire pris dans ses limites administratives, notamment son relief montagneux et les difficultés de communication qu'il engendre ; qu'en se fondant sur ces considérations dépourvues de caractère arbitraire, l'auteur du décret n'a, dans les circonstances de l'espèce, pas méconnu l'obligation, énoncée au IV de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, de n'apporter au caractère essentiellement démographique de la nouvelle délimitation des cantons opérée dans le département des Hautes-Alpes que des exceptions de portée limitée justifiées par l'impérative prise en compte des contraintes géographiques de ce territoire ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que la nouvelle délimitation accroîtrait les écarts de population entre certains des nouveaux cantons et ceux auxquels ils auraient pu succéder ou entre certains cantons limitrophes est sans incidence sur la légalité du décret litigieux ; qu'il en va de même de la circonstance que la nouvelle délimitation accroîtrait les écarts entre cantons s'agissant du nombre de communes qu'ils regroupent ;

11. Considérant, en troisième lieu, que ni les dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposent au Premier ministre de prévoir que les limites des cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les limites des établissements publics de coopération intercommunale ou les limites des " bassins de vie " définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques ; qu'aucune disposition législative en vigueur à la date du décret attaqué n'imposait de prendre en considération les limites des arrondissements, subdivisions administratives de l'Etat, aux fins de délimiter les nouveaux cantons ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la délimitation de plusieurs cantons du département ne respecterait pas de telles limites doit être écarté ;

12. Considérant, en quatrième lieu, que la délimitation ayant été conduite dans le respect des principes édictés par le législateur, les moyens tirés de ce que les zones rurales seraient, du fait de la mise en oeuvre de ces règles, moins bien représentées que les zones urbaines au sein de l'assemblée départementale ou qu'aurait été méconnue la géographie particulière du département sont inopérants ;

13. Considérant, en cinquième lieu, que contrairement à ce que soutient le département requérant, il ne résulte pas des pièces du dossier que le territoire de certains cantons serait discontinu ;

14. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les choix opérés par le décret attaqué dans la délimitation des cantons de L'Argentière-la-Bessée, de Briançon-1, de Briançon-2, de Gap-1, de Gap-2, de Gap-3, de Gap-4 et de Serres reposeraient sur une erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne les chefs-lieux de cantons :

15. Considérant que la circonstance que le décret attaqué se borne à identifier pour chaque canton un bureau centralisateur, sans définir un nouveau chef-lieu de canton, est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité du décret attaqué délimitant les cantons du département des Hautes-Alpes, qui sont des circonscriptions électorales ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, que la requête du département des Hautes-Alpes doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : La requête du département des Hautes-Alpes est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au département des Hautes-Alpes et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au Premier ministre.