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Ariane Web: Conseil d'État 362800, lecture du 19 novembre 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:362800.20141119

Décision n° 362800
19 novembre 2014
Conseil d'État

N° 362800
ECLI:FR:CESSR:2014:362800.20141119
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème / 3ème SSR
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
BALAT, avocats


Lecture du mercredi 19 novembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Thollon Diffusion a demandé au tribunal administratif de Montreuil :
- de prononcer la restitution de la retenue à la source à laquelle ont donné lieu les dividendes versés à un de ses associés, résident marocain, au titre de l'année 2005 ainsi que des pénalités correspondantes ;
- de prononcer la restitution de la retenue à la source à laquelle ont donné lieu les dividendes versés à ce même associé, au titre des années 2006 et 2007 ainsi que des pénalités correspondantes ;

Par deux jugements n° 0906977 du 25 février 2011 et n° 1006314 du 25 mars 2011, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de dégrèvements intervenus en cours d'instance et rejeté le surplus des conclusions des demandes.

Par un arrêt n° 11VE01456 et n° 11VE01457 du 5 juillet 2012, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre ces jugements par la société Thollon Diffusion.





Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 septembre et 17 décembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Thollon Diffusion demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt n° 11VE01456 et n° 11VE01457 du 5 juillet 2012 de la cour administrative d'appel de Versailles ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Thollon Diffusion soutient que la cour administrative d'appel de Versailles a méconnu les stipulations de la convention fiscale du 29 mai 1970 signée entre la France et le Maroc, a commis une erreur de droit et a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant qu'elle n'était pas fondée à se prévaloir de l'exemption de retenue à la source prévue par le 3 de l'article 13 de cette convention, faute d'avoir établi le caractère imposable au Maroc des dividendes versés à son associé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2014, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet du pourvoi. Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.



Vu :

- les autres pièces des dossiers ;

- la convention du 29 mai 1970 entre la République française et le Royaume du Maroc tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle en matière fiscale ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de la société Thollon Diffusion.


1. Considérant qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française " ; qu'aux termes de l'article 119 bis du même code, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) " ; qu'en vertu du 1 de l'article 187 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, le taux de la retenue à la source est fixé, pour les dividendes, à 25 % ;

2. Considérant que les stipulations de l'article 13 de la convention fiscale entre la République française et le Royaume du Maroc signée le 29 mai 1970 prévoient que : " 1. Les dividendes payés par une société domiciliée sur le territoire d'un Etat contractant à une personne domiciliée sur le territoire de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat)domiciliée.sur le territoire d'un Etat contractant à une personne domiciliée sur le territoire de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat) / (... 3. Par ailleurs, ces dividendes sont aussi imposables dans l'Etat contractant où la société qui paie les dividendes est domiciliée.sur le territoire d'un Etat contractant à une personne domiciliée sur le territoire de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat) Toutefois les dividendes payés par une société domiciliée sur le territoire d'un Etat contractant à une personne domiciliée sur le territoire de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat)à une personne domiciliée..., qui en est le bénéficiaire effectif, sont exemptés de la retenue à la source en France s'ils sont imposables au Maroc au nom du bénéficiaire " ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société Thollon Diffusion a versé, au titre des années 2005, 2006 et 2007, des dividendes à un de ses associés, M.A..., résident marocain, sans opérer la retenue à la source prévue par l'article 119 bis du code général des impôts ; qu'à la suite d'un contrôle fiscal, elle a été assujettie à cette retenue à la source au taux de 25 % ; que, compte tenu des éléments fournis ultérieurement par la société, l'administration fiscale a ramené ce taux à 15 %, en application des stipulations du 3 de l'article 13 de la convention fiscale franco-marocaine ; que, par deux jugements des 25 février et 25 mars 2011, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de dégrèvements intervenus en cours d'instance pour tenir compte de la diminution du taux d'imposition des dividendes, a rejeté le surplus des conclusions des demandes de la société tendant à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge ; que la société Thollon Diffusion se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 juillet 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ces deux jugements ;

4. Considérant qu'il résulte des stipulations conventionnelles citées au point 2 qu'une société ne peut bénéficier de l'exemption de retenue à la source qu'elles prévoient que si, d'une part, les dividendes qu'elle a versées sont imposables en vertu de la législation marocaine et, d'autre part, elle établit, au titre des années d'imposition en litige, qu'elle était domiciliée..., que le bénéficiaire des dividendes en était le bénéficiaire effectif et qu'il était fiscalement domicilié... ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société Thollon Diffusion, domiciliée..., a produit des attestations de résidence visées par l'administration fiscale marocaine, indiquant que M. A...était résident fiscal marocain au titre des années d'imposition 2005 à 2007 ; que la cour a relevé que M. A...était le bénéficiaire effectif des dividendes ; qu'il n'était pas contesté devant elle que les dividendes étaient imposables au Maroc en vertu de la législation marocaine en vigueur lors des années d'imposition concernées ; que, dès lors, en jugeant que ces éléments ne permettaient pas à la société Thollon Diffusion de se prévaloir de l'exemption de retenue à la source prévue par le paragraphe 3 de l'article 13 de la convention fiscale franco-marocaine, la cour a méconnu ces stipulations; qu'ainsi, la société Thollon Diffusion est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant qu'il n'est pas contesté que M. A...était résident fiscal marocain au titre des années 2005 à 2007 ; que si le ministre, dans le dernier état de ses écritures, indique que la qualité de bénéficiaire effectif est requise pour le bénéfice de l'exonération, il n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la déclaration de M. A... selon laquelle il était le bénéficiaire effectif des dividendes en cause ; qu'il résulte de l'instruction que ces dividendes étaient imposables au Maroc en vertu de la législation marocaine alors applicable et que la société a produit pour chaque année d'imposition des attestations de résidence de M. A...visées par l'administration fiscale marocaine ; qu'en conséquence, la société Thollon Diffusion est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif a rejeté ses demandes tendant à la décharge des impositions supplémentaires restant à sa charge à la suite des dégrèvements prononcés par l'administration ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler l'article 2 de ces jugements et de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source restant en litige, ainsi que des pénalités correspondantes ;

8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à la société Thollon Diffusion de la somme de 4 000 euros pour les frais exposés en appel et devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 5 juillet 2012 de la cour administrative d'appel de Versailles et l'article 2 des jugements des 25 février et 25 mars 2011 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : La société Thollon Diffusion est déchargée des rappels de retenue à la source restant en litige auxquels ont donné lieu les dividendes versés à M. A...au titre des années 2005, 2006 et 2007 ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 3 : L'Etat versera à la société Thollon Diffusion la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Thollon Diffusion et au ministre des finances et des comptes publics.



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