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Ariane Web: Conseil d'État 381418, lecture du 3 décembre 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:381418.20141203

Décision n° 381418
3 décembre 2014
Conseil d'État

N° 381418
ECLI:FR:CESSR:2014:381418.20141203
Publié au recueil Lebon
8ème / 3ème SSR
Mme Esther de Moustier, rapporteur
Mme Nathalie Escaut, rapporteur public
BALAT, avocats


Lecture du mercredi 3 décembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B...F...a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une protestation contre les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 23 mars 2014 en vue de la désignation des membres du conseil municipal de la commune de Hadol, en lui demandant d'annuler l'élection de M. A...D...et de déclarer M. E...C...démissionnaire d'office.

Par un jugement n° 1400746 du 20 mai 2014, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa protestation.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par une requête d'appel et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 juin et 25 août 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement n° 1400746 du 20 mai 2014 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) d'annuler l'élection de M. D...et de déclarer M. C...démissionnaire d'office.

Elle soutient que le tribunal administratif :
- a méconnu l'article L. 231 du code électoral en jugeant que M. D...n'était pas inéligible, alors que s'il est employé par le syndicat intercommunal des Eaux de la Vôge, il exerce ses fonctions de garde-champêtre pour le compte de la commune de Hadol ;
- a méconnu les articles L. 46 et L. 237 du code électoral en jugeant que l'élection au conseil municipal de Hadol de M.C..., réserviste dans le groupement de gendarmerie départementale des Vosges, ne le plaçait pas dans une situation d'incompatibilité ;
-a statué au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la note en délibéré sur laquelle il s'est fondé ainsi que le mémoire en défense présenté par M. C...ne lui ont pas été communiqués ;

Par un mémoire en défense et un mémoire rectificatif, enregistrés les 31 juillet et 1er août 2014, M. A...D...et M. E...C...concluent au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 2 000 euros à chacun soit mise à la charge de Mme F...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.


Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code électoral ;

- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Esther de Moustier, auditeur,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de M. A...D...et de M. E...C....



1. Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la protestation de MmeF..., candidate élue à l'issue des opérations électorales auxquelles il a été procédé le 23 mars 2014 pour le renouvellement du conseil municipal de Hadol (Vosges), qui demandait au tribunal d'annuler l'élection de M.D..., en raison de son inéligibilité, et de déclarer M. C...démissionnaire d'office pour un motif d'incompatibilité ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'élection de M.D... :

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 231 du code électoral : " (...) Les agents salariés communaux ne peuvent être élus au conseil municipal de la commune qui les emploie. Ne sont pas compris dans cette catégorie ceux qui, étant fonctionnaires publics ou exerçant une profession indépendante, ne reçoivent une indemnité de la commune qu'à raison des services qu'ils lui rendent dans l'exercice de cette profession, ainsi que, dans les communes comptant moins de 1 000 habitants, ceux qui ne sont agents salariés de la commune qu'au titre d'une activité saisonnière ou occasionnelle. " ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de la sécurité intérieure : " Les gardes champêtres concourent à la police des campagnes. / Ils sont chargés de rechercher, chacun dans le territoire pour lequel il est assermenté, les contraventions aux règlements et arrêtés de police municipale. / Ils dressent des procès-verbaux pour constater ces contraventions. (...) " ; que l'article L. 522-1 du même code dispose que " Les gardes champêtres sont nommés par le maire, agréés par le procureur de la République et assermentés. " ; qu'enfin, son article L. 522-2 précise que : " (...) Plusieurs communes peuvent avoir un ou plusieurs gardes champêtres en commun. / (...) Dans ces cas, leur nomination est prononcée conjointement par le maire de chacune des communes (...) dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Un établissement public de coopération intercommunale peut recruter un ou plusieurs gardes champêtres compétents dans chacune des communes concernées. Leur nomination est prononcée conjointement par le maire de chacune des communes membres et le président de l'établissement public de coopération intercommunale. (...) / Pendant l'exercice de leurs fonctions sur le territoire d'une commune, ils sont placés sous l'autorité du maire de cette commune " ;

4. Considérant que les dispositions de l'article L. 231 du code électoral citées au point 2 ont pour objet tant d'éviter qu'un candidat soit en position d'exercer une influence excessive sur les électeurs que de préserver l'indépendance du conseiller municipal dans l'exercice de son mandat ; qu'il résulte des dispositions du code de la sécurité intérieure relatives aux gardes champêtres communs à plusieurs communes qu'un tel agent, même s'il est recruté par un établissement public de coopération intercommunale, qui assure sa rémunération au moyen des quotes-parts versées par les communes concernées, est nommé conjointement par le maire de chacune de ces communes et placé sous son autorité pour l'exercice de ses fonctions sur le territoire de sa commune ; qu'il doit dès lors être regardé comme étant atteint par l'inéligibilité édictée par l'article L. 231 du code électoral ; que, par suite, M.D..., garde champêtre employé par le syndicat intercommunal des Eaux de la Vôge et intervenant à ce titre sur le territoire des trois communes membres du syndicat, dont la commune de Hadol, était inéligible au conseil municipal de cette commune ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme F...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa protestation dirigée contre l'élection de M. D...en qualité de conseiller municipal de la commune de Hadol ; que cette élection doit être annulée ;



Sur les conclusions tendant à ce que M. C...soit déclaré démissionnaire d'office :

6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions combinées de l'article R. 773-1 du code de justice administrative et des articles R. 119 et R. 120 du code électoral que, par dérogation aux dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs ne sont pas tenus de communiquer aux auteurs des protestations les mémoires en défense des conseillers municipaux dont l'élection est contestée, non plus que les autres mémoires ultérieurement enregistrés, et qu'il appartient seulement aux parties, si elles le jugent utile, d'en prendre connaissance au greffe du tribunal ; que, par suite, la circonstance que les productions de M. C...n'ont pas été communiquées à Mme F...par le tribunal administratif de Nancy n'est pas, contrairement à ce qu'elle soutient, de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué ;

7. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 46 du code électoral : " Les fonctions de militaire de carrière ou assimilé, en activité de service ou servant au-delà de la durée légale, sont incompatibles avec les mandats qui font l'objet du livre I. / Ces dispositions ne sont pas applicables au réserviste exerçant une activité en vertu d'un engagement à servir dans la réserve opérationnelle ou au titre de la disponibilité. Toutefois, le réserviste de la gendarmerie nationale ne peut exercer cette activité au sein de sa circonscription. " ; que le dernier alinéa de l'article L. 237 du même code dispose que : " Les personnes désignées à l'article L. 46 et au présent article qui seraient élues membres d'un conseil municipal auront, à partir de la proclamation du résultat du scrutin, un délai de dix jours pour opter entre l'acceptation du mandat et la conservation de leur emploi. A défaut de déclaration adressée dans ce délai à leurs supérieurs hiérarchiques, elles seront réputées avoir opté pour la conservation dudit emploi " ;

8. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la qualité de réserviste de la gendarmerie nationale n'est pas incompatible avec un mandat électoral, sous réserve que l'élu concerné n'exerce pas cette activité au sein de sa circonscription électorale, et qu'un élu réserviste n'est, par suite, pas soumis à l'obligation de déclaration prévue par l'article L. 237 du code électoral ; qu'ainsi, l'élection le 23 mars 2014 au conseil municipal de Hadol de M.C..., réserviste dans le groupement de gendarmerie départementale des Vosges, ne le plaçait pas dans une situation d'incompatibilité, sans que la requérante puisse utilement soutenir qu'il n'a pas exercé l'option prévue par les dispositions de l'article L. 237 ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme F...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté les conclusions de sa protestation tendant à ce que M. C...soit déclaré démissionnaire d'office ;

10. Considérant, enfin, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M.D... ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à celles que M. C...présente au même titre ;








D E C I D E :
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Article 1er : L'élection de M. D...en qualité de conseiller municipal de la commune de Hadol est annulée.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 mai 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F...est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par MM. D...et C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B...F..., à M. A... D..., à M. E... C...et au ministre de l'intérieur.



Voir aussi