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Ariane Web: Conseil d'État 386241, lecture du 16 décembre 2014, ECLI:FR:CEORD:2014:386241.20141216

Décision n° 386241
16 décembre 2014
Conseil d'État

N° 386241
ECLI:FR:CEORD:2014:386241.20141216
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
DELAMARRE ; SCP BOUZIDI, BOUHANNA, avocats


Lecture du mardi 16 décembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 8 décembre 2014, l'ordonnance n° 14MA04770 en date du 8 décembre 2014 par laquelle le président de la cour administrative de Marseille transmet, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée par la commune de Roquebrune-sur-Argens ;

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative de Marseille le 3 décembre 2014, présentée par la commune de Roquebrune-sur-Argens, représentée par son maire en exercice ; la commune demande au juge des référés :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1404110 du 21 novembre 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint, sur la demande de M. A...B..., de prendre toute mesure propre à mettre fin aux effets de la cession de la parcelle cadastrée CK n° 265 et a mis à sa charge le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande de M.B... en première instance ;

3°) de mettre à la charge de M. B...le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elle soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la délibération du 16 novembre 2012 décidant de l'incorporation des parcelles constitutives des espaces verts du lotissement " La Vigie " dans le domaine communal n'a été attaquée que tardivement, que la délibération du 20 novembre 2014 autorisant la cession d'une partie de la parcelle cadastrée CK n° 265 a été adoptée et transmise au contrôle de légalité et qu'il appartiendra au requérant de la contester s'il s'y croit fondé ;
- les décisions contestées ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété ;
- le litige relève du juge judiciaire ;
- la parcelle CK 265 ne fait pas partie du périmètre du lotissement " La Vigie " ;
- aucun des colotis que représente M. B...ne dispose d'un titre de propriété ;
- la commune de Roquebrune-sur-Argens a formé tierce opposition à l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 19 juin 2014, qui a considéré que toutes les parcelles étaient bien de la propriété des colotis, et a fait délivrer une assignation à M. B... en date du 3 décembre 2014, ce qui a pour effet de saisir à nouveau le juge judiciaire de la question de la propriété des parcelles litigieuses ;
- la restitution d'un immeuble incorporé au domaine de la commune sur le fondement de l'article L. 1123-3 du code général de la propriété des personnes publiques est suspendue au règlement du montant des charges éludées par le propriétaire ;
- la procédure d'incorporation des parcelles au domaine de la commune est régulière ;


Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 11 et 13 décembre 2014, présentés par M. B..., qui conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 5 000 euros soit mis à la charge de la commune de Roquebrune-sur-Argens au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Roquebrune-sur-Argens, d'autre part, M.B... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 15 décembre 2014 à 10 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Delamarre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Roquebrune-sur-Argens ;
- Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 décembre 2014, présentée par la commune de Roquebrune-sur-Argens ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le code de justice administrative ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant que M.B..., agissant en qualité de mandataire de l'indivision des colotis du lotissement " La Vigie ", sis sur le territoire de la commune de Roquebrune-sur-Argens a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il ordonne la suspension de l'exécution des décisions déclarant sans maître puis incorporant au domaine de la commune des parcelles dont les colotis revendiquent la propriété, de la délibération du conseil municipal autorisant la vente de la parcelle cadastrée CK n° 265, ainsi que la restitution de ces parcelles ; que, par l'ordonnance du 21 novembre 2014, dont la commune fait appel, le juge des référés a enjoint à la commune de ne pas mettre à exécution la délibération de son conseil municipal autorisant le maire à procéder à la vente de la parcelle cadastrée CK n° 265 et rejeté le surplus des conclusions de la demande ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après un incendie ayant trouvé son origine dans des parcelles communes du lotissement " La Vigie ", au nombre desquelles se trouvait la parcelle cadastrée CK n° 265, le maire de la commune de Roquebrune-sur-Argens a mis en demeure, le 19 juin 2004, les colotis de constituer une association syndicale libre en vue de procéder à l'entretien de ces parcelles ; que, devant leur inaction, la commune a procédé elle-même au débroussaillement des parcelles, puis engagé une procédure tendant à ce que ces parcelles soient déclarées sans maître et incorporées au domaine communal, sur le fondement des dispositions des articles L. 1123-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques ; que, par arrêtés du 16 avril 2012, le maire a constaté que ces parcelles étaient sans maître ; que, par délibération du 16 novembre 2012, le conseil municipal les a incorporées au domaine communal ; que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant jugé, par arrêt du 19 juin 2014, que ces parcelles constituent des parties communes du lotissement et sont la propriété indivise de tous les propriétaires de ce lotissement, M. B...a demandé au maire, par courrier du 15 juillet 2014, que la commune procède à la restitution de ces parcelles, en application de l'article L. 2222-20 du même code ; que, cependant, par délibération du 20 novembre 2014, le conseil municipal a autorisé le maire à procéder à la vente de la parcelle cadastrée CK n° 265 ; que tant la délibération du 16 novembre 2012 que celle du 20 novembre 2014 et la décision implicite du maire refusant la restitution ont fait l'objet de recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Toulon ;

4. Considérant que, sous réserve que la condition d'urgence soit remplie, il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale ; que le litige étant susceptible de se rattacher à la contestation par un tiers d'un acte de disposition du domaine privé de la commune, il est compétent pour en connaître ; que, par ailleurs, il ne saurait être sérieusement contesté que M. B...dispose d'un mandat pour représenter les colotis ;

5. Considérant, en premier lieu, que, si la commune a formé tierce opposition à l'arrêt mentionné au point 3 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le caractère exécutoire de cet arrêt n'en est pas affecté ; que la vente de la parcelle cadastrée CK n° 265 ferait obstacle à la restitution de celle-ci à leurs propriétaires, dès lors que l'article L. 2222-20 du code général de la propriété des personnes publiques exclut une telle restitution " si le bien a été aliéné ", et lui substitue, dans cette hypothèse, l'octroi d'une indemnité ; que, contrairement à ce que soutient la commune, l'exercice du droit à restitution n'est pas subordonné par les dispositions de cet article à l'acquittement préalable du montant des charges que les propriétaires auraient éludées ; que, par suite, c'est à bon droit que le premier juge a estimé que la commune de Roquebrune-sur-Argens avait porté au droit de propriété des colotis une atteinte grave et manifestement illégale ;

6. Considérant, en second lieu, que la vente de la parcelle cadastrée CK n° 265 à une société qui s'en est portée acquéreur, autorisée par le conseil municipal, peut intervenir à tout moment ; que la condition particulière d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est ainsi remplie ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a enjoint à la commune de prendre toute mesure propre à mettre fin aux effets de la cession de la parcelle cadastrée CK n° 265 ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à sa charge le versement à M. B...d'une somme de 2 000 euros en application de ces mêmes dispositions ;


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la commune de Roquebrune-sur-Argens est rejetée.
Article 2 : La commune de Roquebrune-sur-Argens versera à M. B...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Roquebrune-sur-Argens et à M. A...B....