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Ariane Web: Conseil d'État 384445, lecture du 29 décembre 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:384445.20141229

Décision n° 384445
29 décembre 2014
Conseil d'État

N° 384445
ECLI:FR:CESSR:2014:384445.20141229
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème / 7ème SSR
Mme Airelle Niepce, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public


Lecture du lundi 29 décembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 11 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. A...B..., demeurant ... ; M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 septembre 2014 de la commission des sondages en tant que, par cette décision, la commission n'a pas imposé aux journaux " Valeurs Actuelles " et " L'Opinion " de publier une mise au point à la suite de la diffusion, à compter du 2 septembre 2014, des résultats d'un sondage d'intentions de vote pour la prochaine élection présidentielle, et n'a pas décidé de saisir le procureur de la République de ces faits, ainsi que le rejet de la réclamation qu'il avait adressée à la commission le 2 septembre 2014 à propos de la diffusion de ce sondage ;

2°) d'enjoindre à la commission des sondages de statuer à nouveau sur ses demandes, de publier et de faire publier par les organes de presse concernés la nouvelle décision à intervenir avec des titres, caractères, dimensions, respectant les procédures et les formes de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion, et de transmettre le dossier à la garde des sceaux, ministre de la justice ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 décembre 2014, présentée par M. B... ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 ;

Vu le décret n° 78-79 du 25 janvier 1978 ;

Vu le décret n° 80-351 du 16 mai 1980 ;

Vu le code de justice administrative ;





Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public ;




1. Considérant que les journaux " Valeurs Actuelles " et " L'Opinion " ont diffusé, à compter du 2 septembre 2014, dans leurs éditions distribuées sur papier et sur leurs sites internet, des articles faisant état des résultats d'un sondage d'intentions de vote relatif à la prochaine élection présidentielle ; que la commission des sondages, par décision du 5 septembre 2014, a décidé de rendre public un communiqué et de le transmettre aux journaux en cause pour qu'ils en publient les termes ; que M.B..., qui avait saisi la commission, le 2 septembre 2014, d'une réclamation à propos de la diffusion de ce sondage, demande l'annulation pour excès de pouvoir des décisions prises par la commission, en tant qu'elle n'a pas imposé aux journaux de publier une mise au point, n'a pas décidé de saisir le procureur de la République des faits en cause et a rejeté dans cette mesure sa réclamation ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces versées au dossier que les membres de la commission des sondages qui ont siégé lors de la séance du 5 septembre 2014 au cours de laquelle ont été adoptées les décisions contestées par M. B...ont disposé des éléments nécessaires pour délibérer en connaissance de cause ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait qu'il soit porté mention, sur le procès verbal de la séance, de ce que le délibéré des membres de la commission a eu lieu hors la présence des représentants des organes de presse qui ont été entendus, non plus que de l'indication du sens du vote des membres de la commission ; que, par suite, les moyens tirés de ce que la commission aurait délibéré de façon irrégulière ne peuvent qu'être écartés ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion : " Sont régies par les dispositions de la présente loi la publication et la diffusion de tout sondage d'opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l'une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu'avec l'élection des représentants au Parlement européen. / (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " La publication et la diffusion de tout sondage tel que défini à l'article 1er doivent être accompagnées des indications suivantes, établies sous la responsabilité de l'organisme qui l'a réalisé : / Le nom de l'organisme ayant réalisé le sondage ; / Le nom et la qualité de l'acheteur du sondage ; / Le nombre des personnes interrogées ; / La ou les dates auxquelles il a été procédé aux interrogations ; / Une mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice prévue par l'article 3. " ; qu'en vertu de l'article 8 de la même loi, la commission des sondages dispose de " tout pouvoir pour vérifier que les sondages (...) ont été réalisés et que leur vente s'est effectuée conformément à la loi et aux textes réglementaires applicables " ; que, selon l'article 9 de la même loi, les organes d'information qui auraient méconnu les dispositions législatives et réglementaires applicables sont tenus de publier sans délai les mises au point demandées par la commission des sondages qui peut, en outre, à tout moment, faire programmer et diffuser ces mises au point par les sociétés nationales de radiodiffusion et de télévision ; que l'article 10 précise que les décisions de la commission des sondages donnent lieu à notification et à publication et qu'elles sont, notamment, transmises aux agences de presse ; qu'enfin, aux termes de l'article 12 de la même loi : " Seront punis des peines portées à l'article L. 90-1 du code électoral : / Ceux qui auront publié ou diffusé un sondage, tel que défini à l'article 1er, qui ne serait pas assorti de l'une ou plusieurs des indications prévues à l'article 2 ci-dessus ; (...) " ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la commission des sondages a le pouvoir d'exiger la publication ou la diffusion d'une mise au point appropriée lorsque les conditions de réalisation ou de publication d'un sondage ont, en compromettant, préalablement à des consultations électorales, la qualité, l'objectivité ou la bonne compréhension par le public de ce sondage, porté une atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions législatives et réglementaires dont elle a pour mission d'assurer l'application ; qu'il appartient à la commission, qui dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation, tenant compte de la gravité des manquements observés et de l'ensemble des intérêts dont elle a la charge, d'arrêter la réponse qui lui paraît, dans chaque cas de manquement, la plus appropriée ; qu'il n'appartient au juge de l'excès de pouvoir de censurer l'appréciation ainsi portée par la commission qu'en cas d'erreur manifeste ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'au vu des publications litigieuses, la commission des sondages, agissant de sa propre initiative comme le prévoit l'article 11 du décret du 25 juillet 1978, a sollicité des organes d'information concernés la transmission des informations prévues à l'article 2 de la loi du 19 juillet 1977 et a interrogé les instituts de sondages déclarés auprès d'elle en application de l'article 7 de la même loi afin de rechercher quel institut aurait réalisé ce sondage ; qu'elle a convoqué les directeurs de publication des journaux " Valeurs Actuelles " et " L'Opinion " lors de sa séance du 5 septembre 2014 ; qu'interrogés par la commission à cette occasion, les représentants de ces organes d'information ont reconnu qu'ils n'avaient pas disposé du sondage en cause, qu'ils n'étaient pas en mesure d'indiquer quel institut de sondage l'aurait effectué, non plus que les conditions dans lesquelles il aurait été réalisé ; que la commission, lors de sa séance du 5 septembre 2014, a décidé de rendre public un communiqué indiquant que : " En l'absence de tout élément permettant d'établir, de manière certaine, l'existence de ce sondage électoral et, a fortiori, de contrôler la qualité des méthodes retenues pour obtenir les résultats diffusés, la commission appelle l'attention de l'opinion publique sur l'absence de fiabilité de ces résultats " ; que la commission a mis en ligne ce communiqué sur son site et l'a transmis à l'Agence France Presse ; qu'elle a demandé aux deux organes de presse mis en cause d'en reproduire les termes dans leurs publications, ce qui a été accepté par leurs représentants ; que chacun d'entre eux a effectivement repris les termes du communiqué de la commission qui a été, d'une part, mis en ligne à la suite des articles faisant référence au sondage litigieux disponibles sur leurs sites internet et, d'autre part, mentionné par le biais d'une " précision " apportée dans leurs éditions distribuées sur papier du 8 septembre 2014 pour le journal " L'Opinion " et du 11 septembre 2014 pour le journal " Valeurs Actuelles " ;

6. Considérant ainsi que la commission des sondages, après les publications litigieuses, a fait usage des pouvoirs d'instruction qui lui sont reconnus par l'article 8 de la loi du 19 juillet 1977 et a décidé, en conséquence des constatations qui en résultaient, de prendre les mesures qui lui paraissaient appropriées dans les circonstances de l'espèce ; qu'en choisissant d'adopter les mesures précédemment exposées, sans avoir recours au pouvoir, que lui reconnaît l'article 9 de la loi du 19 juillet 1977, d'imposer la publication d'une mise au point formelle, la commission des sondages n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'il appartient à la commission des sondages d'aviser le procureur de la République des faits constitutifs d'un délit dont elle a connaissance dans l'exercice de ses attributions, si ces faits lui paraissent suffisamment établis et si elle estime qu'ils portent une atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions dont elle a pour mission d'assurer l'application ; qu'en s'abstenant, en l'espèce, de saisir le procureur de la République à raison des publications litigieuses, la commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'il attaque ; que les conclusions qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à la présidente de la commission des sondages. Copie en sera adressée pour information à la garde des sceaux, ministre de la justice.


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