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Ariane Web: Conseil d'État 371396, lecture du 30 décembre 2014, ECLI:FR:CECHS:2014:371396.20141230
Decision n° 371396
Conseil d'État

N° 371396
ECLI:FR:CESJS:2014:371396.20141230
Inédit au recueil Lebon
5ème SSJS
Mme Dominique Chelle , rapporteur
Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mardi 30 décembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le mémoire, enregistré le 19 novembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. B...A..., demeurant..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A...demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt du 18 juin 2013 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant son appel contre le jugement du 8 décembre 2011 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mars 2009 du ministre de l'intérieur lui infligeant la sanction de la mise à la retraite d'office, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du second alinéa de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gérald Bégranger, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Spinosi, avocat de M. A...;



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d'accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l'autorité dont ils dépendent " ;

3. Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutient M.A..., ces dispositions ne renvoient pas à un règlement la détermination de leurs modalités d'application ; qu'en permettant à l'autorité hiérarchique dont dépend un fonctionnaire de délier celui-ci de son obligation de discrétion professionnelle par une décision expresse, le législateur n'a pas davantage habilité le pouvoir réglementaire à fixer les modalités d'application de la règle qu'il a édictée ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que la disposition contestée prévoit, ainsi qu'il vient d'être dit, la possibilité pour un fonctionnaire d'être délié de son obligation de discrétion professionnelle par décision de l'autorité hiérarchique dont il dépend ; qu'en vertu du second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, si un fonctionnaire acquiert dans l'exercice de ses fonctions la connaissance d'un crime ou d'un délit, il est tenu d'en aviser sans délai le procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ; que, dans le cas où une autorité hiérarchique sanctionne un fonctionnaire au titre d'un manquement à l'obligation de discrétion professionnelle s'appliquant à celui-ci par l'effet de la disposition législative critiquée, une telle sanction est soumise au contrôle du juge de l'excès de pouvoir ; que l'ensemble de ces éléments est de nature à garantir, pour les besoins de l'application de la disposition législative précitée, la nécessaire conciliation entre, d'une part, la sauvegarde de l'ordre public et les exigences du service public et, d'autre part, le respect de la liberté d'expression et de communication ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le second alinéa de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 porte une atteinte disproportionnée à cette liberté en ne prévoyant pas les garanties permettant aux fonctionnaires, sans encourir une sanction disciplinaire, de dénoncer publiquement des dysfonctionnements graves d'un service public dans un but d'intérêt général ne peut être regardé comme soulevant une question sérieuse ;

5. Considérant, enfin, que la disposition contestée, qui n'a pas pour objet de conférer un fondement juridique à une sanction ayant le caractère d'une punition, est rédigée en des termes suffisamment clairs et précis ; que, par suite, M. A...ne saurait utilement soutenir qu'elle méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ni, en tout état de cause, les principes de prévisibilité et de sécurité juridiques, ainsi que de clarté et de précision de la loi dont il se prévaut ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi et sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le second alinéa de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être regardé comme non sérieux ;


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.