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Ariane Web: Conseil d'État 382608, lecture du 28 janvier 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:382608.20150128

Décision n° 382608
28 janvier 2015
Conseil d'État

N° 382608
ECLI:FR:CESJS:2014:382608.20141103
Inédit au recueil Lebon
8ème SSJS
M. Patrick Quinqueton, rapporteur
Mme Nathalie Escaut, rapporteur public
SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du lundi 3 novembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de la Loire-Atlantique a demandé au tribunal administratif de Nantes de constater que l'édification d'une clôture sur les rives de l'Erdre au lieu-dit Le Meslier, à la Chapelle-sur-Erdre et les autres faits établis par procès-verbal du 18 avril 2013 constituaient une contravention de grande voirie sur le domaine fluvial sur le fondement de l'article L. 2132-6 du code général de la propriété des personnes publiques et de condamner M. B...A...à l'amende prévue à l'article L. 2132-26 du même code ainsi qu'à la remise en état des lieux concernés, par la démolition de la clôture existante et l'enlèvement de tas de branchages dans un délai d'un mois, sous peine d'astreinte. Par un jugement n° 1307162 du 16 janvier 2014, ce tribunal a condamné M. A...au paiement d'une amende de 1 000 euros et décidé qu'il devait libérer la servitude de marchepied grevant la parcelle dont il est propriétaire au bord de l'Erdre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard en cas d'inexécution dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Par une ordonnance n° 14NT00486QPC du 25 avril 2014, le président de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A...portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 2131-2, L. 2131-5 et L. 2132-6 du code général de la propriété des personnes publiques.

Par un arrêt n° 14NT00487 du 24 juin 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire intitulé " mémoire en contestation d'un refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ", enregistrés les 15 juillet et 6 août 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...a demandé au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt n° 14NT00487 du 24 juin 2014 de la cour administrative d'appel de Nantes ;

2°) d'annuler l'ordonnance n° 14NT00486 QPC du 25 avril 2014 par lequel le président de la deuxième chambre de cette cour a rejeté sa demande tendant à renvoyer au Conseil d'Etat des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les articles L. 2131-2, L. 2131-5 et L. 2132-6 du code général de la propriété des personnes publiques ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 6 août 2014, présenté sur le fondement de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, M. A...demande au Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité des articles L. 2131-2 et L. 2132-5 du code général de la propriété des personnes publiques à l'article 17 de la Déclaration des doits de l'homme et du citoyen et à l'article 2 de la même Déclaration ;

Il soutient que ces dispositions, qui sont applicables au litige, méconnaissent les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire, enregistré le 25 septembre 2014, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a conclu qu'il n'y avait pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....


Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;

- le code général de la propriété des personnes publiques, notamment ses articles L. 2131-2 et L. 2131-5 ;

- le code de justice administrative.



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Patrick Quinqueton, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de M.A....

Vu la note en délibéré enregistrée le 23 octobre 2014, présentée par M. A....



Sur le mémoire intitulé " question prioritaire de constitutionnalité " :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé (...) " ;


2. Considérant que le président de la deuxième chambre de la cour administrative d'appel de Nantes, par une ordonnance du 25 avril 2014, a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité des articles L. 2131-2, L. 2131-5 et L. 2132-6 du code général de la propriété des personnes publiques avec les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen soulevées par M. A...à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du jugement du 16 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes l'a condamné au paiement d'une amende de 1 000 euros et a décidé qu'il devait libérer la servitude de marchepied grevant la parcelle dont il est propriétaire au bord de l'Erdre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard en cas d'inexécution dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement ; que la cour a rejeté la requête tendant au sursis à exécution de ce même jugement par un arrêt du 24 juin 2014 ; que M. A...a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt ; qu'il a également contesté le refus de transmission par un mémoire intitulé " mémoire en contestation d'un refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité " ; que, par un mémoire distinct intitulé " question prioritaire de constitutionnalité ", présenté à l'appui de son pourvoi, il a demandé au Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 2132-2 et L. 2132-5 du code général de la propriété des personnes publiques ;

3. Considérant qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 2131-2 du code général des propriétés des personnes publiques : "Les propriétaires riverains d'un cours d'eau ou d'un lac domanial ne peuvent planter d'arbres ni se clore par haies ou autrement qu'à une distance de 3,25 mètres. Leurs propriétés sont grevées sur chaque rive de cette dernière servitude de 3,25 mètres, dite servitude de marchepied. /Tout propriétaire, locataire, fermier ou titulaire d'un droit réel, riverain d'un cours d'eau ou d'un lac domanial est tenu de laisser les terrains grevés de cette servitude de marchepied à l'usage du gestionnaire de ce cours d'eau ou de ce lac, des pêcheurs et des piétons " ;

4. Considérant que, dans le mémoire intitulé " question prioritaire de constitutionnalité ", le requérant soutient que les articles L. 2131-2 et L. 2131-5 du code général de la propriété des personnes publiques entraînent une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et méconnaissent l'article 2 de la même Déclaration en ne prévoyant pas une juste indemnisation des propriétaires concernés ; qu'il invoque les mêmes moyens et les mêmes dispositions législatives que celles de la demande qui a fait l'objet du refus de transmission ; qu'il ne peut être fait droit à sa demande dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité ainsi posée porte sur la méconnaissance des mêmes dispositions constitutionnelles par les mêmes moyens que ceux soumis à la cour administrative d'appel ;

5. Considérant qu'il est également soutenu dans le même mémoire que ces articles méconnaissent l'article 2 de la même Déclaration en tant que le législateur n'a pas prévu un droit de délaissement au profit des propriétaires concernés ;

6. Considérant qu'il résulte de l'article 2 de la Déclaration que les atteintes portées au droit de propriété doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnés à l'objectif poursuivi ;

7. Considérant que, comme l'a constaté la cour, le litige qui lui est soumis ne porte pas sur l'application de l'article L. 2131-5 du code général de la propriété des personnes publiques qui prévoit l'indemnisation de certains propriétaires riverains du domaine public fluvial ; que cette disposition est divisible de l'article L. 2131-2 du même code ; que, par suite, elle n'est pas applicable au litige ;

8. Considérant qu'à supposer que le moyen tiré de ce que le législateur aurait dû prévoir un droit de délaissement soit nouveau et porte sur une question qui n'a pas été soumise à la cour, la servitude instituée par les deux premiers alinéas de l'article L. 2131-2 du code général de la propriété des personnes publiques dont il n'est pas contesté qu'elle répond à un but d'intérêt général en permettant l'exercice de la pêche et de la promenade limite seulement l'exercice du droit de propriété sur une bande de 3,25 mètres ; que l'article L. 2131-3 du code prévoit que lorsque l'exercice de la pêche, le passage des piétons et les nécessités d'entretien et de surveillance du cours d'eau ou du lac le permettent, cette distance peut être exceptionnellement réduite jusqu'à 1,50 mètre sur décision de l'autorité gestionnaire ; que l'article L. 2131-4 du même code dispose que les propriétaires riverains qui veulent faire des constructions, plantations ou clôtures le long des cours d'eau domaniaux peuvent demander à l'autorité compétente de reconnaître la limite de la servitude et si, dans les trois mois à compter de la demande, cette autorité n'a pas fixé la limite, les constructions, plantations ou clôtures faites par les riverains ne peuvent plus être supprimées que moyennement indemnité ; que le dernier alinéa de l'article L. 2131-2 du code précise que les collectivités territoriales peuvent, après accord avec le propriétaire du domaine public fluvial concerné ou son gestionnaire, entretenir l'emprise de la servitude de marchepied le long des cours d'eau domaniaux ; qu'eu égard à l'ensemble de ces dispositions, et alors même que le législateur n'a pas prévu de droit de délaissement, l'article L. 2131-2 est proportionné aux buts poursuivis et assorti de garanties suffisantes au regard du respect du droit de propriété tel qu'il est garanti par l'article 2 de la Déclaration ; que, par suite, la question, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ;

9. Considérant, en conséquence, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le requérant ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 2131-2 et L. 2131-5 du code général de la propriété des personnes publiques.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.