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Ariane Web: Conseil d'État 371929, lecture du 2 février 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:371929.20150202

Décision n° 371929
2 février 2015
Conseil d'État

N° 371929
ECLI:FR:CESSR:2015:371929.20150202
Inédit au recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
Mme Angélique Delorme, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du lundi 2 février 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

Procédure contentieuse antérieure

Madame G...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2001. Par un jugement n° 0605961 du 12 février 2009, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge demandée.

Par un arrêt n° 09NC00888 du 4 février 2010, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel que le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique avait interjeté de ce jugement.

Le ministre s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Par une décision n° 338503 du 4 mai 2012, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nancy.

Par un arrêt n° 12NC00931 du 1er juillet 2013, la cour administrative d'appel de Nancy, statuant sur le renvoi ainsi opéré, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 12 février 2009, a rejeté la requête présentée par MmeE....

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 septembre et 3 décembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MmeE..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 12NC00931 du 1er juillet 2013 de la cour administrative d'appel de Nancy ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Angélique Delorme, auditeur,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de Mme G...;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société holding MCH Finances, dont le capital était détenu directement ou indirectement par des personnes physiques membres des famillesF..., B..., D...et C...à hauteur respectivement de 38,32 %, de 25,85 %, de 30,53 % et de 5,30 %, détenait plusieurs filiales exerçant leur activité dans le secteur de la grande distribution ; qu'au décès de M. A...D..., les membres des famillesF..., B...etC..., désireux de poursuivre l'activité structurée autour de la société MCH Finances, ont constitué, le 19 juillet 2001, une nouvelle société holding, la société MCH Gestion, qui a procédé le 27 août 2001 au rachat sans paiement immédiat de l'ensemble des filiales détenues par la société MCH Finances moyennant un prix de 58 820 000 de francs, incluant des titres de participations pour 38 137 596 de francs et des créances rattachées d'un montant de 20 682 404 de francs ; que, le 8 septembre 2001, les famillesF..., C...et B...ont fait apport à la société MCH Gestion d'une partie des titres de la société MCH Finances pour un montant total de 37 299 990 de francs, le capital de la société MCH Gestion s'élevant après cette opération à 38 379 427 de francs ; que la totalité des titres de la société MCH Finances a ensuite été cédée, le 11 septembre 2001, à la société financière Fuscoc, spécialisée dans le désinvestissement, pour un prix de 115 952 000 de francs, légèrement inférieur au montant de l'actif net de la société MCH Finances ; que la société MCH Finances a été dissoute par fusion-absorption en décembre 2001, quelques mois après la cession de ses titres à la société Fuscoc ; que l'administration fiscale a regardé ce montage comme constitutif d'un abus de droit au motif qu'il répondrait au but exclusif de permettre aux familles d'actionnaires d'échapper, grâce à la taxation proportionnelle des plus-values sur cessions de titres, à la progressivité de l'impôt sur le revenu à laquelle leurs membres auraient normalement été soumis pour l'appréhension du revenu distribué constitué par les liquidités de la société MCH Finances, imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu'elle a procédé aux redressements correspondants sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles Mme E...a été assujettie au titre de l'année 2001 par suite de ces redressements, ainsi que les pénalités correspondantes, ont été mises en recouvrement le 30 avril 2006 pour un montant total de 258 053 euros ; que, par un jugement du 12 février 2009, le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé Mme E...de ces suppléments d'impôt et de ces pénalités ; que, par un arrêt du 4 février 2010, la cour administrative d'appel de Nancy a confirmé ce jugement ; que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat s'est pourvu en cassation contre cet arrêt ; que, par une décision n° 338503 du 4 mai 2012, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé le jugement de l'affaire à cette cour ; que Mme E...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er juillet 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, statuant sur renvoi, a annulé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg et rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions litigieuses ;

2. Considérant qu'il incombe à l'administration d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent ; que lorsque le contribuable en fait la demande à l'administration, celle-ci est tenue, lorsqu'elle en dispose, de lui communiquer avant la mise en recouvrement des impositions les documents ou copies de documents contenant les renseignements qu'elle a obtenus auprès de tiers et qui lui sont opposés ; qu'il en va ainsi, sauf dans le cas d'informations librement accessibles au public, alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d'entre eux, afin notamment de lui permettre d'en vérifier, et le cas échéant d'en discuter, l'authenticité et la teneur ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration n'a donné aucune suite à la demande, présentée par Mme E...avant la mise en recouvrement de l'imposition, tendant à la communication des renseignements sur lesquels elle s'était fondée pour établir les redressements contestés, obtenus, ainsi que le vérificateur l'a indiqué dans la proposition de rectification, lors de contrôles effectués auprès des sociétés MCH Finances, MCH Gestion et Fuscoc ; qu'après avoir relevé que les informations opposées par l'administration à la contribuable procédaient exclusivement des constatations opérées à l'occasion de l'examen des opérations de cessions d'actions réalisées entre les sociétés MCH Finances, MCH Gestion et Fuscoc, lors de la vérification de la comptabilité de ces sociétés, la cour administrative d'appel de Nancy a jugé que la circonstance que l'administration n'a apporté aucune réponse à la demande que lui avait adressée Mme E...de lui communiquer ces informations, qui ne figuraient dans aucun document particulier en sa possession, n'avait pas privé la contribuable de la possibilité de discuter utilement des rectifications opérées, " compte tenu de la nature des informations en cause, qui figuraient déjà dans la proposition de rectification et étaient nécessairement connues des intéressés qui avaient personnellement participé aux opérations concernées " ; qu'en statuant ainsi, alors qu'en s'abstenant de répondre à cette demande relative à des documents obtenus de tiers et ayant fondé les redressements, mentionnés dans la proposition de rectification, l'administration a entaché la procédure d'une irrégularité alors même que la contribuable a pu avoir par ailleurs connaissance des renseignements contenus dans ces documents ou de certains d'entre eux, la cour a commis une erreur de droit ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme E...est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

5. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé Mme E...des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, ainsi que des pénalités correspondantes, qui lui ont été assignées au titre de l'année 2001 ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 1er juillet 2013 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique devant la cour administrative d'appel de Nancy sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à Mme E...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Madame G... et au ministre des finances et des comptes publics.


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