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Ariane Web: Conseil d'État 364708, lecture du 4 février 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:364708.20150204

Décision n° 364708
4 février 2015
Conseil d'État

N° 364708
ECLI:FR:CESSR:2015:364708.20150204
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème / 10ème SSR
Mme Séverine Larere, rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public
SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats


Lecture du mercredi 4 février 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 19 novembre 2013, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a admis le pourvoi de la société Alcatel Lucent France en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt n° 10VE01908 de la cour administrative d'appel de Versailles du 16 octobre 2012 en tant qu'il statue sur les impositions et les pénalités correspondantes, résultant des redressements opérés par l'administration fiscale au titre des commissions versées au Costa-Rica et n'a pas admis le surplus des conclusions du pourvoi.


Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Alcatel Lucent France.


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a notamment réintégré aux résultats déclarés par la société Alcatel CIT, devenue Alcatel Lucent France, au titre des exercices clos en 2002 et 2003, des commissions versées à trois sociétés établies au Costa-Rica ; que, par un jugement du 1er avril 2010, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Alcatel Lucent tendant à la décharge des impositions et pénalités résultant notamment de ce redressement ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Versailles a confirmé ce jugement ;

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs du redressement envisagé. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la notification " ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'après avoir rappelé qu'il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile mais que sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs, la cour a jugé que les propositions de rectification adressées à la société Alcatel Lucent France le 22 décembre 2005 et le 10 mai 2006, qui mentionnent la nature des redressements, l'année d'imposition et le montant des rehaussements, comportaient la nature et les motifs des rehaussements envisagés et étaient ainsi suffisamment motivées ;

4. Considérant qu'en statuant ainsi, la cour a suffisamment motivé son arrêt ; qu'en précisant que la régularité de la proposition de rectification ne dépendait pas du bien-fondé de ses motifs, elle a, implicitement mais nécessairement, écarté comme inopérante l'argumentation de la société requérante à l'appui du moyen tiré d'une insuffisance de motivation de la proposition de rectification, selon laquelle l'administration avait fondé les redressements sur des coupures de presse et des allégations non démontrées qui ne pouvaient constituer des preuves ;

5. Considérant, en second lieu, que si l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, cité au point 2, impose à l'administration de faire connaître au contribuable, dans la proposition de rectification, les éléments de droit et de fait sur lesquels elle entend fonder les redressements, les dispositions de cet article ne sauraient faire obstacle à ce qu'elle réunisse, postérieurement à l'achèvement de la procédure de redressement, des renseignements complémentaires corroborant ceux qui ont été déjà portés à la connaissance du contribuable ; que la cour n'a, par suite, pas méconnu ces dispositions en jugeant que l'administration avait pu, postérieurement à la procédure de redressement, obtenir, par l'exercice de son droit de communication, des éléments de fait complémentaires, non mentionnés dans la proposition de rectification, dès lors que, ce faisant, l'administration n'a pas, contrairement à ce que soutient le pourvoi, procédé à une substitution de motifs ;

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le bien-fondé des impositions contestées :

6. Considérant qu'aux termes du 2 bis de l'article 39 du code général des impôts : " A compter de l'entrée en vigueur sur le territoire de la République de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, les sommes versées ou les avantages octroyés, directement ou par des intermédiaires, au profit d'un agent public au sens du 4 de l'article 1er de ladite convention ou d'un tiers pour que cet agent agisse ou s'abstienne d'agir dans l'exécution de fonctions officielles, en vue d'obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans des transactions commerciales internationales, ne sont pas admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt " ; qu'il résulte de ces dispositions que la règle de non-déductibilité qu'elles prévoient s'applique dès lors que l'administration établit que les sommes dont le contribuable demande la déduction ont été versées pour son compte, directement ou indirectement, à des agents publics dans le but de les corrompre ;

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la circonstance, à la supposer établie, que les sommes versées pour le compte de la société auraient été détournées de leur objet à son insu et qu'elle ne pourrait, ainsi, pas être regardée comme ayant eu, par elle-même, une intention de corruption, était sans incidence sur l'application des dispositions précitées du 2 bis de l'article 39 du code général des impôts ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration (...) " ; que si l'instruction administrative référencée 4 C-4-00 publiée le 14 novembre 2000 énonce que : " La convention OCDE vise le fait intentionnel pour toute personne, d'offrir, de promettre ou d'octroyer un avantage indu, pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public, à son profit ou au profit d'un tiers, pour que cet agent agisse ou s'abstienne d'agir dans l'exécution de fonctions officielles, en vue d'obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le cadre de transactions commerciales internationales ", ce passage de l'instruction ne comporte aucune interprétation des dispositions précitées du 2 bis de l'article 39 du code général des impôts sur lesquelles sont fondées les impositions contestées ; que, par suite, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que cette instruction ne comportait aucune interprétation de la loi fiscale dont la société Alcatel Lucent France aurait pu se prévaloir sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

9. Considérant, enfin, qu'après avoir indiqué que l'administration avait remis en cause la déduction des commissions versées par la société requérante à trois sociétés de consultants établies au Costa Rica au motif que les sommes versées à ces sociétés avaient été transférées à des agents de l'entreprise publique dénommée Institut Costaricain d'Electricité en charge de l'attribution de marchés publics et que ces versements étaient en rapport direct avec les marchés obtenus par la société Alcatel Lucent France au Costa Rica, la cour a d'abord relevé que, pour établir le bien fondé des redressements en litige, l'administration se prévalait notamment d'une déclaration faite, sous serment, le 1er décembre 2006 par un agent du Federal Bureau of Investigation (FBI) dans le cadre d'une procédure judiciaire ouverte aux Etats-Unis à l'encontre d'un ancien dirigeant de la société Alcatel Lucent France au Costa Rica, ainsi que d'un accord de " plaider coupable " de ce même dirigeant indiquant que l'intéressé avait " effectué ou fait effectuer des paiements illicites à un agent public étranger du Costa Rica et (...) autorisé des virements internationaux pour verser les dessous-de-table, afin d'obtenir des contrats de télécommunications au Costa-Rica " ; que la cour a, ensuite, indiqué que ces éléments étaient corroborés par les résultats de l'enquête interne diligentée par la société Alcatel Lucent France à l'encontre de certains de ses responsables en poste au Costa Rica ainsi que par l'engagement d'une procédure pénale à l'encontre de la société par les autorités costaricaines ; qu'elle a, par ailleurs, constaté que, pour sa part, la société Alcatel Lucent France ne justifiait pas que ces commissions correspondraient à la réalisation de prestations immatérielles que lui auraient effectivement rendues les sociétés de consultants établies au Costa Rica ; que, c'est sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve, que la cour a pu déduire de l'ensemble de ces circonstances que l'administration fiscale établissait que les sommes en litige avaient été versées à des agents publics étrangers en vue de l'obtention de marchés et que l'administration était, dès lors, fondée à réintégrer ces sommes dans le bénéfice imposable de la société Alcatel Lucent France ; que, contrairement à ce que soutient le pourvoi, l'arrêt attaqué, est suffisamment motivé sur ce point ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Alcatel Lucent France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Alcatel Lucent France est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Alcatel Lucent France et au ministre des finances et des comptes publics.


Voir aussi