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Ariane Web: Conseil d'État 369949, lecture du 27 février 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:369949.20150227

Décision n° 369949
27 février 2015
Conseil d'État

N° 369949
ECLI:FR:CESSR:2015:369949.20150227
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
M. Philippe Combettes, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public


Lecture du vendredi 27 février 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 369949 les 5 juillet 2013, 13 septembre 2013 et 9 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Collectif des SEL de pharmaciens demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 relatif aux conditions d'exploitation d'une officine de pharmacie par une société d'exercice libéral et aux sociétés de participations financières de profession libérale de pharmaciens d'officine en tant qu'il remplace les dispositions de l'article R. 5125-18 du code de la santé publique et qu'il insère dans ce code les articles R. 5125-18-1 et R. 5125-24-11 et, d'autre part, le I de l'article 3 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Par une requête, enregistrée sous le n° 370380 le 19 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mlle Y...X...et la SEL Pharmacie des Cordeliers demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370760 les 31 juillet 2013 et 22 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. K...N...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 en tant qu'il remplace les dispositions de l'article R. 5125-18 du code de la santé publique et qu'il insère dans ce code un article R. 5125-18-1 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que le remboursement de la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article R. 761-1 du même code.


....................................................................................

4° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370813 les 1er août 2013 et 28 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme G...P..., M. L...A..., M. AC...T...et M. R...AB...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

5° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370848 les 2 août et 27 décembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. W...B...Mme C...Q..., Mme F...Z..., Mme S...I..., la SELEURL Pharmacie de la Garance, la SELAS Pharmacie de la Meinau, la SELAS Pharmacie de Wolfisheim et la SELAS Pharmacie du Samaritain demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 en tant qu'il remplace les dispositions de l'article R. 5125-18 du code de la santé publique et qu'il insère dans ce code un article R. 5125-18-1 et, d'autre part, le I de l'article 3 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

6° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370849 les 2 août 2013 et 12 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme AA...U...épouse H...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 en tant qu'il insère dans le code de la santé publique un article R. 5125-18-1 et, d'autre part, le I de l'article 3 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

7° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370872 les 2 août 2013 et 12 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. V...E...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 en tant qu'il insère dans le code de la santé publique un article R. 5125-18-1 et, d'autre part, le I de l'article 3 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

8° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370888 les 5 août 2013 et 10 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. M...J...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 en tant qu'il insère dans le code de la santé publique un article R. 5125-18-1 et, d'autre part, le I de l'article 3 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

9° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370908 les 5 août 2013 et 12 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association nationale des sociétés d'exercice libéral (ANSEL) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 en tant qu'il remplace les dispositions de l'article R. 5125-18 du code de la santé publique et qu'il insère dans ce code les articles R. 5125-18-1 et R. 5125-24-11 et, d'autre part, le I de l'article 3 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

10° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370923 les 5 août 2013 et 24 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SELAS Pharmacie de Mittelhausen et Mme O...D...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 du décret n° 2013-466 du 4 juin 2013 en tant qu'il remplace les dispositions de l'article R. 5125-18 du code de la santé publique et qu'il insère dans ce code un article R. 5125-18-1 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que le remboursement de la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article R. 761-1 du même code.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Combettes, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 6 janvier 2015 sous les n°s 369949, 370760, 370813, 370848, 370849, 370872, 370888, 370908 et 370923, présentées par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droit des femmes ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 23 et 27 janvier 2015 sous les n°s 369949, 370848, 370849, 370872, 370888 et 370908, présentés par l'association Collectif des SEL de pharmaciens, M. W...B...Mme C...Q..., Mme F...Z..., Mme S...I..., la SELEURL Pharmacie de la Garance, la SELAS Pharmacie de la Meinau, la SELAS Pharmacie de Wolfisheim, la SELAS Pharmacie du Samaritain, Mme AA... U...épouseH..., M. V...E..., M. M...J...et l'association nationale des sociétés d'exercice libéral (ANSEL) ;




1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant que la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé détermine les conditions dans lesquelles ces professions libérales peuvent être exercées dans le cadre de sociétés commerciales régies par le livre II du code de commerce et permet la constitution de sociétés de participations financières de professions libérales entre personnes physiques ou morales exerçant de telles professions ; que le décret attaqué, pris pour son application, modifie certaines des dispositions applicables aux sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine et précise le régime juridique des sociétés de participations financières de professions libérales de pharmaciens d'officine ;

Sur les moyens dirigés contre le décret en son entier :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1990 : " Des décrets en Conseil d'Etat, pris après avis des organismes chargés de représenter les professions concernées auprès des pouvoirs publics ainsi que des organisations les plus représentatives de ces professions, déterminent en tant que de besoin les conditions d'application du présent titre ", relatif à l'exercice sous forme de sociétés d'exercice libéral des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ; qu'il ressort des pièces du dossier que, pour l'application de ces dispositions, le ministre des affaires sociales et de la santé a consulté, d'une part, le conseil national de l'Ordre des pharmaciens et, d'autre part, les trois organisations reconnues représentatives des pharmaciens titulaires d'officine à la suite de l'enquête de représentativité diligentée au premier semestre 2011, à savoir la fédération des syndicats pharmaceutiques de France, l'union des syndicats de pharmaciens d'officine et l'union nationale des pharmacies de France ; que, par suite, le moyen tiré de ce que, faute de certaines consultations, le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces produites par le ministre chargé des affaires sociales que le décret attaqué ne contient aucune disposition différant à la fois de celles qui figuraient dans le projet soumis par le Gouvernement au Conseil d'Etat et de celles qui ont été adoptées par ce dernier ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen des projets de décrets par le Conseil d'Etat doit être écarté ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution " ; que les ministres chargés de l'exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution des actes en cause ; qu'aucune disposition du décret attaqué n'appelle de mesure d'exécution que le garde des sceaux, ministre de la justice ou les ministres chargés de l'économie, des finances ou du commerce seraient compétents pour signer ou contresigner ; que la circonstance que l'acte par lequel le Président de la République a promulgué la loi du 31 décembre 1990 a été contresigné par certains de ces ministres est sans incidence sur la détermination des ministres chargés de l'exécution du décret attaqué ; qu'il suit de là que le moyen tiré du défaut de contreseing de certains ministres doit être écarté ;

Sur le décret attaqué, en tant qu'il modifie l'article R. 5125-18 du code de la santé publique et qu'il insère dans ce code un article R. 5125-18-1 :

6. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 5 de la loi du 31 décembre 1990 : " Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire des sociétés mentionnées au 4° ci-dessous, par des professionnels en exercice au sein de la société " ; qu'aux termes de l'article 5-1 de la même loi : " Par dérogation au premier alinéa de l'article 5, plus de la moitié du capital social des sociétés d'exercice libéral peut aussi être détenue par des personnes physiques ou morales exerçant la profession constituant l'objet social ou par des sociétés de participations financières de professions libérales régies par le titre IV de la présente loi. / (...) / Des décrets en Conseil d'Etat pourront prévoir, compte tenu des nécessités propres à chaque profession autre que les professions juridiques et judiciaires, que le premier alinéa ne s'applique pas lorsque cette dérogation serait de nature à porter atteinte à l'exercice de la profession concernée, au respect de l'indépendance de ses membres ou de ses règles déontologiques propres. / Sauf pour les professions juridiques et judiciaires, le nombre de sociétés d'exercice libéral constituées pour l'exercice d'une même profession dans lesquelles une même personne physique ou morale exerçant cette profession ou une même société de participations financières de professions libérales peut détenir des participations directes ou indirectes peut être limité dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat selon les nécessités propres de chaque profession " ; que la conformité de ces dispositions à la Constitution ne peut être utilement contestée autrement que par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

7. Considérant que l'article R. 5125-18 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieurement applicable, permettait à un pharmacien d'officine de détenir des parts ou actions dans deux sociétés d'exercice libéral autres que celle où il exerçait et à une société d'exercice libéral exploitant une officine de pharmacie de détenir des parts ou actions dans deux autres sociétés d'exercice libéral exploitant une officine de pharmacie, sans limiter les participations indirectes ; que le décret attaqué modifie cet article pour prévoir qu'un pharmacien d'officine ne peut détenir des participations directes ou indirectes que dans quatre sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine autres que celle au sein de laquelle il exerce, qu'une société d'exercice libéral de pharmaciens d'officine ne peut détenir des participations directes ou indirectes que dans quatre sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine et qu'une société de participations financières de profession libérale de pharmaciens d'officine ne peut détenir des participations que dans trois sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine ; que ce décret insère également dans le code de la santé publique un article R. 5125-18-1 qui dispose que le premier alinéa de l'article 5-1 de la loi du 31 décembre 1990 n'est pas applicable aux sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine et impose ainsi que plus de la moitié du capital social d'une société d'exercice libéral de pharmaciens d'officine soit détenue par des professionnels en exercice au sein de la société ;

8. Considérant, en premier lieu, qu'en adoptant ces dispositions, sur le fondement, pour l'article R. 5125-18, du dernier alinéa de l'article 5-1 de la loi du 31 décembre 1990 et, s'agissant des sociétés de participations financières de profession libérale, de l'article 31-1 de la même loi et, pour l'article R. 5125-18-1, du troisième alinéa de l'article 5-1 de cette loi, le pouvoir réglementaire n'a pas excédé l'habilitation qu'il tenait de ces dispositions législatives ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire doit être écarté ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que la propriété figure au nombre des droits garantis par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de l'article 17, il résulte de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;

10. Considérant que les dispositions critiquées limitent le nombre de participations qu'un pharmacien d'officine, une société d'exercice libéral ou une société de participations financières de profession libérale peut détenir dans des sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine et imposent la détention de plus de la moitié du capital social d'une société d'exercice libéral de pharmaciens d'officine par des professionnels en exercice au sein de la société ; qu'il résulte en outre de l'article 34 de la loi du 31 décembre 1990, rappelées par l'article 3 du décret attaqué, que les sociétés précédemment constituées doivent se mettre en conformité avec ces dispositions dans un délai de deux ans ; que les restrictions que ces dispositions apportent au droit de propriété sont justifiées par la volonté, eu égard aux enjeux de santé publique de la distribution des médicaments et à ses incidences sur les dépenses de l'assurance maladie, d'éviter le risque de pression de la part d'un investisseur extérieur, fût-il lui-même pharmacien, pour préserver l'indépendance professionnelle des pharmaciens d'officine et d'éviter, par la multiplication des participations, le cas échéant croisées ou en cascade, que ne se constituent dans certaines zones des réseaux susceptibles de détenir une part excessive du marché de la vente au détail de médicaments ; qu'un tel but constitue un motif d'intérêt général ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les restrictions qui en résultent, compte tenu notamment du délai de deux ans dont les professionnels disposent pour se mettre en conformité avec la réglementation nouvelle, soient disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;

11. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions critiquées ne portent pas atteinte à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ;

12. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'il résulte de ces stipulations qu'une ingérence dans le droit de propriété doit respecter le principe de légalité, poursuivre un but légitime et ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits individuels ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions critiquées, compétemment prises par le pouvoir réglementaire, poursuivent un objectif de préservation de l'indépendance professionnelle des pharmaciens d'officine, qui présente un caractère légitime ; que les atteintes portées au droit de propriété qui résultent de la limitation des possibilités de détention du capital d'une société d'exercice libéral autre que celle dans laquelle le pharmacien exerce et de l'obligation de céder, dans un délai de deux ans, des participations pour se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation, ne sont pas excessives au regard de l'intérêt général poursuivi ;

13. Considérant en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. / La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux " ; qu'aux termes du 1 de l'article 63 du même traité : " Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites " ;

14. Considérant que les stipulations de l'article 49 s'opposent à toute disposition qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice par les ressortissants européens de la liberté d'établissement garantie par le traité ; que celles de l'article 63 s'opposent à toute disposition susceptible d'empêcher ou de limiter l'acquisition de participations dans les entreprises concernées ou de dissuader les investisseurs des autres Etats membres d'investir dans le capital de celles-ci ; que, toutefois, les restrictions à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux qui sont applicables sans discrimination tenant à la nationalité peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, au nombre desquelles figure la protection de la santé publique, à condition qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment des arrêts C-531/06 et C-171/07 du 19 mai 2009, que si ces stipulations font interdiction aux Etats membres d'introduire ou de maintenir des restrictions injustifiées à l'exercice de ces libertés dans le domaine des soins de santé, il doit cependant être tenu compte, dans l'appréciation du respect de cette obligation, du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et intérêts protégés par le traité et qu'il appartient aux Etats membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et de la manière dont ce niveau doit être atteint ; que ce niveau pouvant varier d'un Etat membre à l'autre, une marge d'appréciation est reconnue aux Etats membres ; qu'au regard des risques que comporte la consommation des médicaments pour la santé publique et pour l'équilibre financier des systèmes de sécurité sociale, les Etats membres peuvent ainsi réserver leur vente au détail, en principe, aux seuls pharmaciens, en raison des garanties que ces derniers doivent présenter et des informations qu'ils doivent être en mesure de donner au consommateur, et prendre les dispositions nécessaires pour qu'ils jouissent d'une indépendance professionnelle réelle ;

15. Considérant que les dispositions de l'article R. 5125-18 du code de la santé publique, qui limitent le nombre de sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine dans lesquelles des participations directes ou indirectes peuvent être détenues, et les dispositions de l'article R. 5125-18-1 du même code, qui imposent la détention de la majorité du capital social d'une société d'exercice libéral par des professionnels en exercice au sein de cette société, ont pour objet et pour effet de renforcer les garanties d'indépendance professionnelle réelle des pharmaciens en exercice dans la société, en évitant que ne se constituent des monopoles d'activité ou qu'une majorité du capital social ne soit détenue par des pharmaciens qui, n'exerçant pas au sein de cette société, développeraient, en dépit de leur formation professionnelle et de leurs obligations déontologiques, un comportement animé essentiellement par un objectif de rentabilité ; que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que des pharmaciens procèdent à des investissements importants dans plusieurs sociétés d'exercice libéral dans lesquelles ils n'exercent pas ; que, sans excéder la marge d'appréciation reconnue aux Etats membres comme il a été dit au point 14, elles sont propres à garantir la réalisation de l'objectif de protection de la santé publique et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 49 et 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être écarté ;

16. Considérant, en sixième lieu, qu'il résulte des dispositions du troisième alinéa de l'article 5-1 de la loi du 31 décembre 1990, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises d'où elles sont issues, que le législateur a entendu permettre au pouvoir réglementaire d'exclure certaines professions du bénéfice des dispositions du premier alinéa du même article en raison du risque, relevé notamment pour les pharmaciens d'officine, qu'une détention majoritaire du capital social des sociétés d'exercice libéral par des personnes n'exerçant pas dans cette société ne D...atteinte à l'indépendance de l'exercice de la profession ; que, par suite, le décret attaqué n'a pas méconnu les dispositions de l'article 5-1 citées ci-dessus de la loi du 31 décembre 1990 en prévoyant qu'il ne pourrait être dérogé, pour les sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine, aux dispositions du premier alinéa de l'article 5 de la même loi, en vertu desquelles plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire d'une société de participations financières de profession libérale, par des professionnels en exercice au sein de la société ;

17. Considérant, en septième lieu, que si, par sa nature et par les besoins de financement qu'elle implique, l'activité des pharmaciens d'officine présente des caractéristiques qui la rapprochent de celle des laboratoires de biologie médicale, le régime applicable aux sociétés exploitant des laboratoires est organisé par des dispositions législatives spécifiques ; que les pharmaciens d'officine sont par ailleurs placés dans une situation différente de celle de la plupart des autres professions libérales ; que le décret attaqué instaure une différence de traitement en rapport direct avec son objet et qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ; qu'ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité entre professionnels libéraux ; que, par ailleurs, les articles R. 5125-18 et R. 5125-18-1 s'appliquant de la même façon à tous les pharmaciens d'officine et à toutes les sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'ils créeraient une rupture d'égalité entre sociétés d'exercice libéral selon la composition de leur actionnariat ou selon le nombre de participations qu'elles détiennent dans d'autres sociétés ;

18. Considérant, en huitième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le décret attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il limite à trois le nombre de participations que peut détenir une société de participations financières de profession libérale, alors même qu'il limite à quatre le nombre de participations directes ou indirectes qu'un pharmacien d'officine peut détenir dans des sociétés d'exercice libéral autres que celle au sein de laquelle il exerce ;

19. Considérant, en dernier lieu, que la circonstance que les associés minoritaires d'une société d'exercice libéral ne peuvent contraindre celle-ci à respecter les limitations relatives au nombre des sociétés dans lesquelles une participation peut être prise ne fait pas obstacle à ce qu'ils se mettent en conformité avec la loi, le cas échéant en cédant leur participation dans cette société ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué serait, pour ce motif, entaché d'erreur de droit ;

Sur le décret attaqué, en tant qu'il insère dans le code de la santé publique un article R. 5125-24-11 :

20. Considérant qu'en vertu de l'article 1844-7 du code civil, une société prend fin notamment par l'extinction de son objet ; qu'il résulte des dispositions de l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 que les sociétés de participations financières de professions libérales " doivent être inscrites sur la liste ou au tableau de l'ordre ou des ordres professionnels concernés " et qu'un décret en Conseil d'Etat précise, pour chaque profession, les conditions d'application des dispositions de cet article, notamment les modalités de contrôle de ces sociétés ; que, dès lors, en ce qu'il prévoit que les sociétés de participations financières de profession libérale de pharmaciens d'officine sont constituées sous la condition suspensive de leur inscription au tableau de l'ordre des pharmaciens et que si une telle société, après avoir cessé de se conformer aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, n'a pas régularisé sa situation à l'expiration du délai imparti par une mise en demeure du président du conseil de l'ordre compétent, ce conseil prononce sa radiation, le décret attaqué n'est entaché d'aucune incompétence ; qu'une telle radiation faisant obstacle à ce que la société poursuive l'objet social fixé par ses statuts, il en a exactement déduit, à l'article R. 5125-24-11 du code de la santé publique, que la radiation de la société du tableau emporte sa dissolution ; que, par suite, les moyens tirés, d'une part, de l'incompétence du pouvoir réglementaire pour adopter les dispositions de l'article R. 5125-24-11 et, d'autre part, du caractère incohérent de ces dispositions doivent être écartés ;

Sur le I de l'article 3 du décret attaqué :

21. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la loi du 31 décembre 1990 : " Les sociétés constituées avant l'entrée en vigueur des décrets prévus aux deuxième et troisième alinéas de l'article 5-1 doivent, dans un délai de deux ans à compter de cette date, se mettre en conformité avec les dispositions de ces décrets. A l'expiration de ce délai, si un ou plusieurs associés ne satisfaisant pas aux conditions fixées par ces décrets n'ont pas cédé les parts ou actions qu'ils détiennent, la société peut, nonobstant leur opposition, décider de réduire son capital du montant de la valeur nominale des parts ou actions de ceux-ci et de les racheter à un prix fixé, sauf accord entre les parties, dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du code civil. A défaut, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. La dissolution ne peut être prononcée si, au jour où il est statué sur le fond, cette régularisation a eu lieu " ; que la référence aux deuxième et troisième alinéas de l'article 5-1 doit s'entendre, compte tenu du décalage résultant de l'introduction d'un nouvel alinéa par la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, comme une référence aux troisième et quatrième alinéas de cet article ;

22. Considérant que la conformité de ces dispositions à la Constitution ne peut être utilement contestée autrement que par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

23. Considérant que les nouvelles dispositions relatives à la détention du capital des sociétés d'exercice libéral de pharmaciens d'officine que prévoit le décret attaqué sont intervenues sur le fondement des troisième et quatrième alinéas de l'article 5-1 de la loi du 31 décembre 1990 ; que le I de l'article 3 du décret impartit un délai de deux ans aux sociétés constituées avant sa publication pour se mettre en conformité avec ces dispositions et rappelle les conséquences qui s'attachent à la méconnaissance de cette obligation à l'expiration du délai ainsi prévu ; qu'il se borne ainsi à réitérer les dispositions de l'article 34 de la loi du 31 décembre 1990 ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire ne peut qu'être écarté ; qu'il en est de même du moyen tiré de la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des actes administratifs ainsi que du moyen tiré du caractère disproportionné des dispositions prévoyant la dissolution de la société en justice ; que, de même, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de la méconnaissance des exigences de nécessité et de proportionnalité résultant de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, dès lors que les requérants ne critiquent pas l'article 34 de la loi du 31 décembre 1991 ; qu'enfin, s'agissant d'une dissolution judiciaire, le décret attaqué n'avait pas, en tout état de cause, à prévoir une procédure contradictoire particulière ;

24. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions du décret du 4 juin 2013 qu'ils attaquent ;


Sur les dépens :

25. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser la contribution pour l'aide juridique à la charge, d'une part, de M. N...et, d'autre part, de la SELAS Pharmacie de Mittelhausen et Mme O...D... ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

26. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, les sommes que les requérants demandent à ce titre ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Collectif des SEL de pharmaciens, de MlleX..., de la SEL Pharmacie des Cordeliers, de M.N..., de MmeP..., de M.A..., de M. T..., de M.AB..., de M.B..., de M.Q..., de MmeZ..., de Mme I..., de la SELEURL Pharmacie de la Garance, de la SELAS Pharmacie de la Meinau, de la SELAS Pharmacie de Wolfisheim, de la SELAS Pharmacie du Samaritain, de MmeU..., de M.E..., de M. J..., de l'association nationale des sociétés d'exercice libéral, de la SELAS Pharmacie de Mittelhausen et de Mme D...sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Collectif des SEL de pharmaciens, à Mlle Y...X..., à la SEL Pharmacie des Cordeliers, à M. K...N..., à Mme G...P..., à M. L...A..., à M. AC...T..., à M. R...AB..., à M. W...B..., à M. C...Q..., à Mme F...Z..., à Mme S...I..., à la SELEURL Pharmacie de la Garance, à la SELAS Pharmacie de la Meinau, à la SELAS Pharmacie de Wolfisheim, à la SELAS Pharmacie du Samaritain, à Mme AA...U...épouseH..., à M. V...E..., à M. M... J..., à l'association nationale des sociétés d'exercice libéral, à la SELAS Pharmacie de Mittelhausen, à Mme O...D..., au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.


Voir aussi