Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 384143, lecture du 23 mars 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:384143.20150323

Décision n° 384143
23 mars 2015
Conseil d'État

N° 384143
ECLI:FR:CESJS:2015:384143.20150323
Inédit au recueil Lebon
2ème SSJS
Mme Dominique Bertinotti, rapporteur
M. Xavier Domino, rapporteur public
SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, avocats


Lecture du lundi 23 mars 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°, sous le n° 384143, le pourvoi, enregistré le 2 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur qui demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler l'arrêt n° 13BX03418 du 30 juin 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement n° 1301506 du 16 octobre 2013 du tribunal administratif de Toulouse ayant rejeté la demande de M. A...B...tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 décembre 2012 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

2°) à titre subsidiaire, de différer les effets d'un revirement de jurisprudence aux décisions administratives postérieures à la décision du Conseil d'Etat ;



Vu 2°, sous le n° 384145, le recours, enregistré le 2 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur, qui demande au Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du même arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux ;

....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dominique Bertinotti, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk-Lament, avocat de M. B...;




1. Considérant que le pourvoi et le recours visés ci-dessus sont dirigés contre le même arrêt ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.B..., de nationalité malgache, est entré en France, selon ses déclarations, le 18 décembre 2000 sous couvert d'un visa touristique de court séjour ; que, le 3 avril 2012, il a sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par un arrêté du 12 décembre 2012, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays vers lequel il pourrait être reconduit d'office à l'issue de ce délai ; que M. B...a relevé appel du jugement du 16 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté ; que le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 juin 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a fait droit à l'appel de M. B... ;

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir (...) " ; qu'aux termes du 1° de l'article L. 313-10 du même code : " La carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée : / 1° A l'étranger titulaire d'un contrat de travail visé conformément aux dispositions de l'article L. 341-2 du code du travail. / Pour l'exercice d'une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et figurant sur une liste établie au plan national par l'autorité administrative, après consultation des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives, l'étranger se voit délivrer cette carte sans que lui soit opposable la situation de l'emploi sur le fondement du même article L. 341-2 (...) " ;

4. Considérant que, dans le cas où un texte prévoit l'attribution d'un avantage sans avoir défini l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre, l'autorité compétente peut, alors qu'elle ne dispose pas en la matière du pouvoir réglementaire, encadrer l'action de l'administration, dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en oeuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation ; que, dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l'avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées ; qu'en revanche, il en va autrement dans le cas où l'administration peut légalement accorder une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit ; que s'il est loisible, dans ce dernier cas, à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures, l'intéressé ne saurait se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif ;

5. Considérant, s'agissant de la délivrance des titres de séjour, qu'il appartient au législateur, sous réserve des conventions internationales, de déterminer les conditions dans lesquelles les étrangers sont autorisés à séjourner sur le territoire national ; que, si les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile régissant la délivrance des titres de séjour n'imposent pas au préfet, sauf disposition spéciale contraire, de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui ne remplit pas les conditions auxquelles est subordonné le droit d'obtenir ce titre, la faculté pour le préfet de prendre, à titre gracieux et exceptionnel, une mesure favorable à l'intéressé pour régulariser sa situation relève de son pouvoir d'appréciation de l'ensemble des circonstances de l'espèce ; qu'il est loisible au ministre de l'intérieur, chargé de mettre en oeuvre la politique du Gouvernement en matière d'immigration et d'asile, alors même qu'il ne dispose en la matière d'aucune compétence réglementaire, d'énoncer des orientations générales destinées à éclairer les préfets dans l'exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation, sans les priver de leur pouvoir d'appréciation ; que c'est toutefois au préfet qu'il revient, dans l'exercice du pouvoir dont il dispose, d'apprécier dans chaque cas particulier, compte tenu de l'ensemble des éléments caractérisant la situation personnelle de l'étranger, l'opportunité de prendre une mesure de régularisation favorable à l'intéressé ;

6. Considérant qu'en dehors des cas où il satisfait aux conditions fixées par la loi, ou par un engagement international, pour la délivrance d'un titre de séjour, un étranger ne saurait se prévaloir d'un droit à l'obtention d'un tel titre ; que s'il peut, à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision préfectorale refusant de régulariser sa situation par la délivrance d'un titre de séjour, soutenir que la décision du préfet, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, il ne peut utilement se prévaloir des orientations générales que le ministre de l'intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans la mise en oeuvre de leur pouvoir de régularisation ;

7. Considérant, par suite, qu'en jugeant, par l'arrêt attaqué, que les énonciations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constituaient des lignes directrices dont les intéressés pouvaient utilement se prévaloir devant le juge, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ; qu'il n'y a plus lieu, dès lors, de statuer sur les conclusions présentées par le ministre tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cet arrêt ;

9. Considérant que les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par la SCP Potier de la Varde, Buk-Lament, avocat de M. B...;


D E C I D E :
--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 30 juin 2014 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du recours du ministre de l'intérieur tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'arrêt attaqué.

Article 4 : Les conclusions de la SCP Potier de la Varde, Buk-Lament présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et à M. A...B....